• Numéro 16
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    Crise dans les Amériques
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    Crise dans les Amériques

Edito n°9

Dans les Amériques, comme en Europe, le thème de la sécurité est particulièrement récurrent dans les médias, dans le milieu politique, mais aussi dans les conversations et pratiques quotidiennes. En Amérique du Nord, il semblerait que le facteur déclenchant de la rhétorique sécuritaire soit étroitement lié aux répercussions des attentats du 11 Septembre 2001. En Amérique latine, la menace terroriste semblant moins immédiatement prégnante, le thème sécuritaire émerge plutôt « à la faveur » d’une approche nouvelle de la violence : ici liée aux trafics de drogue, là à la circulation d’armes, ailleurs à une population échappant au contrôle social lors de manifestations notamment. Mais ne nous y trompons pas, la notion de sécurité n’est pas neutre ; elle n’évolue pas per se. Au contraire, elle navigue au gré des évolutions politiques et idéologiques, est – et a été – mobilisée pour légitimer la mise en place de certaines politiques. Hier la doctrine de « sécurité nationale » et aujourd’hui « la guerre contre le terrorisme » ou « contre la drogue » sont ainsi trois des concrétisations les plus connues de l’usage du terme de sécurité.

Aussi, si ce numéro 9 de RITA est consacrée dans sa partie thématique aux « (In)sécurités dans les Amériques : schèmes idéologiques, politiques publiques et réalités citoyennes », c’est parce que plusieurs évènements relativement récents, largement médiatisés nous ont incité-e-s à nous interroger sur les questions d’insécurité et les politiques de sécurité des sociétés américaines. L’attentat de Boston de 2013 ou celui de Buenos Aires contre l’AMIA (Asociación Mutual Israelita Argentina) en 1994, les violences policières aux Etats-Unis donnant naissance en 2013 au mouvement Black Lives Matter ou encore la « disparition » de 43 étudiants mexicains dans le Guerrero en 2013, mais aussi la violence carcérale sont autant d’événements qui invitent au questionnement. Au-delà de la violence des faits et de leur récurrence, que peuvent-ils nous apprendre sur les sociétés américaines ? Comment se met en place le triptyque violence – sécurité – politique sécuritaire ? Que révèle une telle approche ?

Chacune des contributions présentes dans ce numéro interroge la notion de sécurité et la façon dont la notion est construite et utilisée en fonction de différents contextes pour légitimer l’emploi de politiques locales, nationales ou internationales, mais aussi la manière dont le recours à ce vocable traduit un univers idéologique.

Bien que mobilisée dans des contextes souvent complexes, la notion tend à dessiner les contours d’un univers en noir et blanc, créant des frontières nettes entre les parties en présence, et développant un champ lexical propre. De nombreuses expressions, n’utilisant donc pas directement le terme de sécurité ou d’insécurité, apparaissent pour définir des situations où se dessinent, en creux, les normes sociales et son corollaire, la déviance.

Le domaine du droit et de la justice n’est pas exempt de normes sociales, même si normes juridiques et normes sociales ne se confondent pas complètement. En revanche, la justice définit ce qui, dans une société donnée et à un moment donné, est acceptable ou non. En ceci, l’article de José Saldaña, « Violencia simbólica del derecho penal », est exemplaire : il explore la criminalisation des manifestations contre les activités minières dans la région de Cajamarca au Pérou. Il montre notamment, à travers l’analyse du discours juridique, des documents produits par la Cour et des entretiens conduits sur le terrain, comment ce conflit social reproduit les relations de pouvoir asymétriques des parties en présence et se transforme, via le truchement de la justice, en « crime ».

Avec un article intitulé « Transformations étatiques au Venezuela et en Equateur à la lumière des politiques de sécurité citoyenne », Mila Ivanovic analyse, quant à elle, les changements institutionnels, idéologiques et pragmatiques des politiques de sécurité en rendant compte plus généralement de la nature des transformations de l’État en contexte « révolutionnaire », à travers les discours, les réformes entreprises et l’implication des acteurs.

Dans un tout autre contexte, Malka Older propose, dans son article « Securitization of Disaster Response in the United States : the case of Hurricane Katrina », une analyse de la sécurité en contexte de crise. L’auteure y explore l’évolution de l’approche politique des catastrophes naturelles, dont la gestion est prise en charge par le gouvernement central dans un contexte post 11 Septembre. Elle analyse en particulier comment ce passage s’effectue grâce à un changement discursif, la sûreté (safety) laissant place à la sécurité (security).

Dans un autre contexte, l’article d’Amélie Férey souligne également l’importance du discours – et notamment le concept de sécurité – dans la légitimation de la politique d’assassinats ciblés. Avec cet article, « De l’antiterrorisme à la contre-insurrection : les indéterminations stratégiques des politiques d’assassinats ciblés aux États-Unis », nous plongeons dans le domaine des relations internationales ; ce sont les notions de terrorisme, de contre-terrorisme, d’insurrection et de contre-insurrection d’une part, et les effets de leur usage, d’autre part, qui sont au cœur de l’analyse.

Ces quatre articles montrent comment, à différentes échelles, le discours politique sur la sécurité – et l’insécurité – est non seulement rhétorique mais aussi performatif, définissant normes et déviances d’une part, et politiques en adéquation avec cette distinction d’autre part.

Ces discussions sur la sécurité et l’insécurité dans les Amériques sont prolongées par une rencontre avec Dorothée Delacroix, qui partage son expérience et ses analyses sur le Pérou avec Bruno Hervé. Cet entretien questionne notamment les rapports qu’une société entretient avec la mémoire des violences en général, et ceux de la société péruvienne avec son conflit armé en particulier.

La partie hors thématique de la revue accueille, quant à elle, un résumé de mémoire et une note de recherche qui font écho à la rubrique Thema. Laure Guillot Farnetti livre un résumé de ses recherches sur les représentations journalistiques brésiliennes et françaises des favelas cariocas, à l’aune de la Coupe du monde 2014 et des Jeux Olympiques 2016 dans trois journaux français et trois journaux brésiliens. Représentées à la fois comme des états de violence au sens de Hobbes et Spinoza, et comme faisant partie de l’État de droit brésilien, les favelas cariocas font l’objet de deux formes de discours contradictoires, liés à la mise en place de nouvelles politiques publiques. Quant à Nicolás Zevallos, il analyse les facteurs favorisant ou non la mise en œuvre des actions d’éradication de la production illégale de coca dans deux régions péruviennes. Il met ainsi en avant trois principaux facteurs : les résistances ou l’appui local, le degré de coopération dans la prise de décision entre les échelons locaux, et enfin le positionnement et la collaboration entre les agences publiques impliquées.

Dans notre partie hors thématique, vous pourrez également lire un nouvel article de la  « Fabrique de la recherche ». Pour ce numéro, Maxime Quijoux a rédigé une version allégée et remaniée de son intervention réalisée dans le cadre d’une présentation de RITA à l’IHEAL en 2015. En tant que jeune chercheur et membre de notre comité de lecture, nous l’avions convié à soumettre des conseils relatifs à la publication. Pour celles et ceux qui auraient manqué son intervention, en voici donc une version écrite : « Publier un article : Pourquoi ? Comment ? Où ? ».

Enfin, nous accueillons deux contributions dans Regards. Toutes deux ont pour objectif d’éclairer les développements de l’actualité brésilienne. En effet, Oliver França Scarcelli analyse la relation entre politiques publiques urbaines et le développement des mouvements sociaux d'une part, tandis que Laion Castro examine les ressorts légaux et socio-historiques du processus d'impeachment engagées contre la Présidente Dilma Roussef, mais aussi les mobilisations populaires actuelles. 

Nous tenons enfin à remercier une nouvelle fois nos auteur-e-s et nos lecteurs et lectrices pour leur collaboration et nous vous souhaitons une agréable découverte de ce nouveau numéro.

Aurélie Le Lièvre pour le Comité de rédaction de RITA