• Numéro 10
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    Canada-Québec-Caraïbe: Connexions transaméricaines
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    Canada-Québec-Caraïbe: Connexions transaméricaines

Canada-Québec-Caraïbe : un espace relationnel à géométrie variable. Introduction au dossier.


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Violaine Jolivet

Professeure adjointe
Département de géographie de l'Université de Montréal

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Canada-Québec-Caraïbe : un espace relationnel à géométrie variable. Introduction au Dossier.

 

          Les textes réunis dans la section Thema du numéro 10 de RITA sont issus d’une conférence qui s’est tenue à l’Université de Montréal les 9 et 10 octobre 2015(1). Elle a été organisée avec la collaboration précieuse de Robin Ménard (IdA, pôle Canada) et de Marie-Noëlle Carré (Université de Montréal et CREDA) qui ont également rendu possible la publication de ce dossier. L’objectif de cette conférence internationale en trois langues (français, espagnol et anglais) était de souligner les liens entre la région Caraïbe, la province de Québec et le Canada et de prendre en considération leur ancienneté, leur renouvellement et leur diversité. En effet, qu’il s’agisse du tourisme, des réseaux religieux, de la coopération scientifique, des questions énergétiques, des ressources, ou encore des trajectoires et des histoires migratoires, nombreux sont les ponts et routes tracés entre le centre géographique des Amériques et son extrémité septentrionale. Á partir des années 1960-1970, dans les grandes métropoles canadiennes, la présence de communautés caribéennes, notamment étudiantes, rend visible ces connexions entre les territoires des Amériques. Des populations d’origine caribéenne s’insèrent dans la société canadienne non sans heurts, comme le souligne le documentaire de Mina Schum Ninth Floor (2015). Celui-ci dénonce le racisme subi par des étudiants afro-caribéens et l’occupation de l’université Sir George Williams à Montréal en 1969 par ces derniers, afin de dénoncer les discriminations dont ils font l’objet. Les communautés caribéano-canadiennes s’organisent et résistent pour faire du Canada leur terre. Auteures d’écritures et de réflexions politiques et artistiques, elles vont peu à peu brouiller les frontières des territoires et faire entendre leurs voix. Ce sont alors ces géographies multiples, ces espaces « entre », faits d’allers et de retours que la conférence souhaitait aborder.

Ces connexions transaméricaines sont souvent méconnues, à l’inverse de la relation que les États-Unis entretiennent avec la Méditerranée américaine depuis le 19e siècle. Elles s’inscrivent pourtant dans le temps long. Historiquement, leurs racines sont nombreuses et elles ont tissé des territoires et des quotidiens partagés entre le Canada, le Québec et la Caraïbe. En témoignent les mobilités des colons français et britanniques dès les XVIIe et XVIIIe siècles ou encore celles des Acadiens mais aussi les allées et venues de jésuites et de missions catholiques entre ces régions (Mills, 2016, LeGrand, 2009). De même, des relations économiques et commerciales anciennes existent. Elles furent d’abord incarnées par les marchands de rhum et de poissons, pour devenir peu à peu des relations institutionnalisées à force de traités commerciaux entre le Canada et les gouvernements du Commonwealth ainsi que les gouvernements indépendants. Ces relations économiques sont aussi, comme l’a souligné A. Deneault (2014), structurées par l’implantation et le développement d’un système financier et bancaire dirigé par des firmes et des banques canadiennes qui exercent un quasi-monopole sur le système bancaire des petits territoires caribéens. C’est par exemple le cas de la Halifax Banking Company qui deviendra la CIBC plus tard. C’est aussi celui de la Banque Royale, de la Banque Impériale de Commerce mais aussi de la Bank of Nova Scotia qui deviendra la Scotia Bank.

L’importance de ces liens anciens explique en partie pourquoi, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le développement de recherches universitaires sur les liens Canada-Caraïbe est d’abord le fait d’économistes, d’historiens et de politistes. Ces travaux se développent au Canada et portent majoritairement sur les Antilles britanniques, les deux entités étant unies par une allégeance commune. La création d’un Centre de Recherches Caraïbes (CRC) à l’Université de Montréal dès 1969 autour de la figure de J. Benoist change peu à peu la donne notamment en prônant des approches critiques de l’impérialisme et des politiques d’immigration du Canada dans la région. Le collectif de chercheurs souligne également les liens qui unissent les terres francophones des Amériques en développant dès les années 1970 des collaborations universitaires avec les universités de Bordeaux, d’Haïti et des Antilles-Guyane ainsi que de nombreuses études dans les territoires caribéens francophones et créolophones (CRC, 1974). Les axes de recherche privilégiés pour l’étude des liens Canada-Québec-Caraïbe sont alors ceux qui portent sur les migrations et le développement, l’histoire économique des Antilles ainsi que sur les relations Canada-Antilles à travers l’étude des entreprises et des investissements canadiens. Les incidences de ces dynamiques sur l’accroissement des inégalités fait l’objet d’une grande attention, tout particulièrement dans les études qui portent sur la création de nouveaux secteurs économiques comme le tourisme ou la dévalorisation des petites paysanneries (Baril, 1981). Le CRC publie alors de nombreux rapports, articles et thèses universitaires sur les transformations survenues de 1960 à 1980 dans les sociétés de la Caraïbe et du Québec. Il propose des approches jusqu’alors ignorées, comme le démontrent ses programmes « traditions orales et musicales », « paysanneries » ou « études des petites populations et minorités ethniques » (CRC, 1983). La retranscription de la table ronde qui s’est tenue en 1984 autour des personnalités de Georges Anglade, Emerson Douyon, Serge Larose, Kari Polanyi Levitt et Victor Piché souligne l’existence d’un réseau universitaire et intellectuel dynamique autour des questions caribéennes au Québec. Elle met aussi en évidence la diversification des disciplines académiques mobilisées : géographie, anthropologie, ethnopsychologie, musicologie, sociologie, démographie et travail social. À plusieurs reprises les intervenants de cette table ronde évoquent un dynamisme des recherches renouvelé par les professeurs et étudiants caribéens et soulignent la réelle volonté de situer le discours des chercheurs et de donner la parole aux Caribéens (Anglade, 1984).

Ce rapide tour d’horizon des écrits et des expériences du Centre de Recherches Caraïbes à l’Université de Montréal (1969-1989) ne doit pas occulter cependant que les travaux portant sur ces connexions transaméricaines restent peu nombreux. En outre, ils continuent, pour la plupart, à envisager ces relations à une échelle macro-régionale, privilégiant l’étude de l’État fédéral canadien avec l’ensemble de la Caraïbe ou avec les Antilles britanniques en particulier. Les thèmes privilégiés dans les ouvrages publiés sont alors essentiellement les unions politiques, les coopérations et les accords commerciaux bi- ou multi-nationaux entre le Canada et les États de la Caraïbe. Ainsi, en 1990 l’ouvrage dirigé par B.D. Tennyson « Canadian-Caribbean Relations : Aspects of a Relationship » est publié depuis la Nouvelle Ecosse. Il traite essentiellement des liens historiques économiques et politiques induits par l’appartenance commune au Commonwealth. Cependant, cet ouvrage a le mérite d’accueillir dans un de ses chapitres le regard critique que porte Harold Barratt sur les politiques d’immigration du Canada à l’égard des Antillais anglophones, au travers de la description et de l’analyse des discriminations vécues par ces migrants. Vingt-cinq ans plus tard ou presque, l’édition d’un ouvrage par le CEDEM à La Havane La Conexión Canadá-Caribe: política, economía, historia y migraciones recientes témoigne des mêmes orientations thématiques. Ce livre retrace les relations économiques et historico-politiques du pays du Nord avec la macro-région et évoque les courants migratoires et les diasporas qui tissent les liens entre ces territoires. Cependant, en raison de son  lieu d’édition, il a la particularité de laisser une place de choix aux relations cubano-canadiennes, lesquelles illustrent la spécificité de la construction du lien en dehors des règles du jeu de l’Oncle Sam. Il renoue alors avec les préceptes du CRC sur la nécessité de donner la parole aux Caribéens du « dedans » et du « dehors » pour penser les évolutions des sociétés et des espaces caribéens.

La conférence Canada-Québec-Caraïbe. Connexions transaméricaines a permis de mettre en lumière les enjeux contemporains de ces questions en donnant la parole à des chercheurs, des créateurs et des passeurs qui se situent « entre »  la Caraïbe, le Québec et le Canada, ou bien qui observent depuis l’un les autres. Avec deux conférences plénières, cinq panels, deux tables rondes et une exposition photographique sur la présence noire au Québec mise en œuvre par le CIDIHCA, nous avons souhaité mettre en lumière les multiples facettes des relations entre le Canada, le Québec et la Caraïbe, à la fois ici et là-bas, entre et par des territoires, tantôt bornés, tantôt réticulés, tantôt fluides.

Les échanges lors de la conférence furent l’occasion de revenir sur ce que nous avons nommé les mémoires trans-caribéennes du Canada et de souligner les apports caribéens au sein d’une mémoire collective québécoise mais aussi d’une scène artistique et littéraire qui souvent les rend invisibles. La variété des mobilités, des coopérations et des réseaux entre le Canada, le Québec et la Caraïbe a également été au centre des discussions et des présentations en prenant en compte à la fois l’épaisseur temporelle de ces derniers mais également leurs renouvellements et leurs évolutions. Les deux conférences plénières qui ont ponctué les panels ont ainsi abordé des sujets cruciaux. L’intervention de A. Deneault portait sur la filière canadienne des paradis fiscaux et retraçait les connexions crimino-financières entre la Barbade, les îles Caïmans, l’Ontario et la Nouvelle Écosse. Kari Polanyi est aussi venue partager son parcours de femme engagée, véritable témoin de liens intellectuels ténus entre le Canada et les West Indies, cherchant dès les années 1960 à sortir de modes coloniaux de pensée et de l’impérialisme des grands Nords sur ces micro-territoires.

L’approche transdisciplinaire de cet événement a permis d’explorer et de définir les attaches et les interactions entre le Canada, le Québec et la Caraïbe afin de mieux analyser les ancrages et les routes entre ces régions. Celles-ci ont été appréhendées comme les territoires-supports d’une relation inédite qui se noue dans la rencontre de l’autre, du différent, du divers qui sont reconnus comme tels (Glissant, 1990).

Les textes rassemblés dans le dossier sont issus des différents panels et ont privilégié les travaux des jeunes chercheur-e-s ainsi que la retranscription d’une table ronde nommée par son organisatrice S. Martelly «Parcours haïtiens au Québec : Rencontres, connivences, coïncidences, conflits et malentendus ». Ils permettent de donner un aperçu de la diversité des disciplines représentées lors du colloque (Géographie, Histoire, Sociologie, Anthropologie, Économie, Sciences Politiques, Sciences de l’éducation, Arts et Lettres) mais également des intervenants, et ce afin de faire varier les échelles et les perspectives abordées en considérant l’impact de ces connexions transaméricaines depuis le local jusqu’au global.

L’article de Laneydi Martínez Alfonso ouvre ce dossier en proposant une approche macro-économique et politique des relations du Canada avec le CARICOM. En situant son analyse depuis les années 1970 jusqu’à aujourd’hui, elle présente trois moments de la politique étrangère des États-Unis et du Canada envers les pays du CARICOM. L’auteure démontre comment l’évolution du rôle du Canada au sein des États membres de la communauté caribéenne est influencée par le processus d’intégration économique du Canada avec les États-Unis et, d’autre part, par la volonté des gouvernements canadiens successifs d’avoir une politique étrangère indépendante, ce afin de rester un partenaire autonome dans une région où le pays est perçu comme moins menaçant que les États-Unis.

La contribution de Luc Renaud apporte un éclairage géographique sur des mobilités spécifiques. Il présente une comparaison entre le Québec et le Belize afin d’analyser l’impact du tourisme de croisière et de ses mécanismes sur le développement d’enclaves territoriales. Il démontre que les expériences caribéennes et, en l’occurrence, celle du Bélize, peuvent être un outil d’analyse précieux pour le développement d’une industrie de la croisière dans la région de Gaspé. Elles permettent de saisir les processus d’exclusion spatiale, de prédation environnementale et de privatisation qui découlent de ces pratiques touristiques.

L’article de Xiomara Romero Pérez s’intéresse aux questions de coopération  et de collaboration dans les domaines de l’énergie et de l’environnement. Il aborde les relations qu’entretient le Canada, et plus particulièrement le Québec, avec les pays de la Caraïbe, au prisme du développement des énergies renouvelables et des petits territoires insulaires. Alors que le Canada est un acteur majeur de l’énergie à l’échelle planétaire et que le Québec a développé un réel savoir-faire en termes d’énergies renouvelables, l’auteur note que le pays se tient en retrait dans cette sous-région américaine et analyse ce manque à gagner à travers des cadres géoéconomiques et géopolitiques à l’échelle des Amériques.       

Le texte de Malik Noël-Ferdinand analyse les circulations poétiques et politiques à travers une analyse du long poème en vers, Land to Light on, publié en 1997 par Dionne Brand. Dans ce texte, souligne l’auteur, on voit comment la narratrice, qui réside au Canada, interroge les travaux de grandes figures révolutionnaires caribéennes comme Frantz Fanon et C.L.R James pour confronter l’histoire coloniale canadienne et celle de la Caraïbe. La langue polyglossique convoquée par Brand lui permet de dénoncer les oppressions et les détours, lesquels fondent une poétique de la relation en terres américaines.

L’article de Marie Meudec part d’une interrogation de l’anthropologue : comment concevoir les discours racistes et les dynamiques de la stigmatisation à l’égard des membres de la communauté haïtienne? Comment étudier la perpétuation des préjugés à l’égard d’Haïti dans des contextes caribéens (Sainte Lucie) et nord-américains (au Québec notamment) ? À travers une analyse de discours littéraires, quotidiens et humanitaires sélectionnés, l’auteure analyse le rôle des processus de stigmatisation, d’altérisation (othering), de l’imaginaire colonial et de l’hégémonie blanche (white supremacy) sur la perpétuation actuelle des représentations négatives à l’égard des Haïtien.ne.s.

Enfin, la retranscription de la table-ronde nommée « Parcours haïtiens au Québec. Rencontres, connivences, coïncidences, conflits et malentendus » permet de présenter une autre facette de ces relations. Stéphane Martelly, qui a réuni les intervenant.e.s, décrivait ainsi son intention : « l’objet de cette table ronde est de présenter différents parcours de personnes d’origine haïtienne au sein de la société québécoise et canadienne. À travers le témoignage et la réflexion sur leur parcours, les participant.e.s nous brosserons un portrait complexe de ce que représente Haïti dans le contexte nord-américain où, comme l’exprimait feu Émile Ollivier, ils se sont retrouvés à la fois « otages et protagonistes ». Les « traces » d’Haïti se retrouveront dans leurs présentations à travers l’histoire, la littérature, les mouvements intellectuels et sociaux, la militance, le vécu migratoire et/ou minoritaire qui ont durablement marqué l’évolution de notre société. Aborder ces parcours sous le titre de « rencontres, connivences, coïncidences, conflits et malentendus » nous permettra aussi de nous questionner, depuis la perspective haïtienne, sur les modalités et la nature des rapports tissés entre les peuples sur le territoire transaméricain du Québec en examinant à la fois les moments où la rencontre a été possible et porteuse, ceux où elle a été plus trouble et ambiguë, ainsi que les points de violence ou d’achoppement de cette rencontre ».

Notes
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(1) La conférence a reçu le soutien de l’Université de Montréal, du CéRIUM (UdeM) de l’Institut des Amériques (IdA, pôle Canada), de l’IHEAL et du Réseau des Études sur l’Amérique latine de Montréal (RELAM).

Bibliographie

Anglade, Georges, Douyon, Emerson, Piché, Victor, Larose, Serge, Levitt, Kari (1984). "Table ronde sur la recherche caraïbéenne au Québec", Anthropologie et Sociétés, 82 : 189–200.

Deneault, Alain (2014). Paradis Fiscaux: La Filière Canadienne : Barbade, Caïmans, Bahamas, Nouvelle-Écosse, Ontario-Montreal.  Montréal, Écosociété.

Haar, Jerry and Bryan, Anthony  (dir.) (1999). Canadian-Caribbean relations in transition: trade, sustainable development and security. New York : Springer.

LeGrand, Catherine (2009). "L’axe missionnaire catholique entre le Québec et l’Amérique latine. Une exploration préliminaire". Globe: Revue internationale d’études québécoises, 12 (1) : 43-66.

Martínez, Reinosa Milagros (dir.) (2013). La Conexión Canadá-Caribe: política, economía, historia y migraciones recientes. La Habana : Universidad de La Habana.

Mills, Sean (2016). A Place in the Sun: Haiti, Haitians, and the Remaking of Quebec. Montréal : McGill-Queen's Press-MQUP.

Tennyson, Brian Douglas (1990). Canadian-Caribbean relations: aspects of a relationship. Sydney, NS : Centre for International Studies, University College of Cape Breton.