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Méga-événement et multiculturalisme canadien : négocier l’identité nationale dans les défaites du Canada à la Coupe du Monde de soccer masculine 2022

Résumé

Les méga-événements internationaux comme la Coupe du Monde de soccer participent aux économies politiques et culturelles qui ont encore des effets tangibles dans les façons de raconter les évènements sportifs dans les médias locaux et internationaux. Dans cette étude, nous profitons du contexte récent de développement du soccer spectacle au Canada afin de nous consacrer à l’analyse de la couverture de presse de l’équipe canadienne de soccer lors de la Coupe du Monde masculine de la FIFA de 2022. Le matériau recueilli concerne tous les médias traditionnels canadiens. L’analyse permet de dégager une série de thèmes : identité nationale, célébrité, gestion de la défaite et le soccer comme sport de la diversité. L'analyse révèle que pendant la phase précédant l'événement, une identité multiculturelle nationale canadienne apparaît clairement et est articulée par la majorité des médias canadiens ; elle a ensuite été utilisée comme point de référence pour la couverture médiatique qui a suivi les trois défaites consécutives du Canada contre la Belgique, la Croatie et le Maroc. L'objectif de cet article est d'étudier le rôle joué par les médias canadiens dans la représentation, la production et la construction de l'identité nationale canadienne dans le contexte d'une compétition internationale comme la Coupe du Monde. La représentation médiatique du nationalisme sportif canadien est utilisée comme une loupe permettant d'examiner comment les éléments de l'identité nationale canadienne ont été représentés, reproduits et renforcés par les médias à la suite des performances et des défaites sportives de l'équipe canadienne de soccer. 

Mots clés : Méga-événements, médias sportifs, identité nationale, Canada, soccer 

 

Megaeventos, e multiculturalismo canadiano: negociação da identidade nacional nas derrotas do Canadá no Campeonato do Mundo de Futebol Masculino de 2022

Resumo 

Os megaeventos internacionais, como o Campeonato do Mundo de Futebol, contribuem para economias políticas e culturais que têm ainda efeitos tangíveis na forma como os eventos desportivos são noticiados nos meios de comunicação social locais e internacionais. Neste estudo, aproveitamos o recente desenvolvimento do futebol espetáculo no Canadá para analisar a cobertura da imprensa sobre a equipa de futebol canadiana no Campeonato do Mundo de Futebol Masculino da FIFA de 2022. O material recolhido abrange todos os meios de comunicação social tradicionais canadianos. A análise revela uma série de temas: identidade nacional, celebridade, lidar com a derrota e o futebol como desporto da diversidade. A análise revela que, no período que antecedeu o evento, a identidade nacional canadiana multicultural foi claramente evidente e articulada pela maioria dos meios de comunicação social canadianos; foi depois utilizada como ponto de referência para a cobertura mediática que se seguiu às três derrotas consecutivas do Canadá para a Bélgica, Croácia e Marrocos. O objetivo do presente artigo é estudar o papel desempenhado pelos meios de comunicação social canadianos na representação, produção e construção da identidade nacional canadiana no contexto de uma competição internacional como o Campeonato do Mundo. A representação mediática do nacionalismo desportivo canadiano é utilizada como uma lente para analisar a forma como os elementos da identidade nacional canadiana foram representados, reproduzidos e reforçados pelos meios de comunicação social na sequência dos desempenhos desportivos e das derrotas da equipa de futebol canadiana.

Palavras-chave: Mega-eventos, media desportivos, identidade nacional, Canadá, futebol

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Bachir Sirois-Moumni

Postdoctorant à la Faculté des sciences de la Santé, Université d’Ottawa. 

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Méga-événement et multiculturalisme canadient: négocier l'identité nationale dans les défaites du Canada à la Coupe du Monde de soccer masculine 2022 

Bien que l'histoire du soccer au Canada remonte à la deuxième moitié du XIXe siècle (Jose et Rannie, 1982), ce sport a connu un développement inégal et irrégulier dans la culture populaire canadienne, c'est-à-dire dans les pratiques et représentations culturelles largement diffusées et appréciées par la population, notamment à travers les médias de masse, les loisirs et les cultures de consommations sportives. Apparu d'abord comme une pratique populaire, le soccer a évolué au gré des vagues successives d'immigration en provenance d'Europe, d'Afrique et d'Amérique latine (Day, 1981). Devenu un sport amateur de prédilection depuis les années 1990 (Fédération de Soccer du Québec, 2018), il a progressivement dépassé le cadre strict de la pratique sportive pour s'imposer comme un sport-spectacle1 de plus en plus apprécié à l'échelle nord-américaine. L'intérêt médiatique croissant et l'élargissement des publics associés aux compétitions internationales, aux Coupes du Monde ainsi qu'aux équipes et aux célébrités de la Major League of Soccer (MLS) ont contribué à sa popularisation au Canada (Sirois-Moumni, 2018, 2022). Cependant, si les performances de l'équipe féminine canadienne aux Coupes du Monde et aux Jeux olympiques ont grandement contribué à la reconnaissance internationale du soccer canadien, l'équipe masculine n'a participé qu'une seule fois à la Coupe du Monde, en 1986, avant de revenir sur la scène internationale en 2022.

Ce retour de l'équipe masculine canadienne à la Coupe du Monde 2022 offre un contexte propice pour explorer les relations entre sport, médias et identité nationale, car les méga-événements sportifs internationaux constituent des moments clés de construction et de célébration des identités nationales, où les médias jouent un rôle central dans la représentation et la mise en récit de ces identités (Wenner et Billings, 2017). Ce contexte est d’autant plus intéressant au Canada où le soccer, historiquement pratiqué et apprécié par les communautés immigrantes, a contribué à une « réimagination multiculturelle » du pays tout en étant paradoxalement marginalisé en tant que sport « ethnique » (Fielding, 2017), révélant ainsi les limites et les ambivalences de la politique officielle de multiculturalisme qui occulte des disparités et inégalités persistantes (Joseph et al., 2022). Dans ce contexte, comment la couverture médiatique canadienne de l'équipe masculine lors de la Coupe du Monde 2022 a-t-elle représenté, reproduit et reconstruit l'identité nationale canadienne ? Plus précisément, comment une certaine vision du Canada multiculturel a-t-elle été mobilisée pour représenter l'équipe, en particulier à la suite des trois défaites consécutives contre la Belgique, la Croatie et le Maroc ?

Cette étude se structurera en quatre parties principales. Dans un premier temps, une revue de littérature sera menée pour contextualiser la recherche, en abordant la particularité propre des enjeux liant le soccer et le multiculturalisme au Canada. Puis, dans un deuxième temps, le rôle des méga-événements sportifs et des médias dans la construction de l'identité nationale sera soumis à l’examen afin de constater l’importance de la production de textes, des discours, des limites et des ambivalences de tels évènements sur les contextes nationaux. La troisième partie exposera la méthodologie employée, détaillant la sélection et la présentation du corpus de couverture médiatique canadienne du Mondial 2022, ainsi que la méthode d'analyse utilisée. Les résultats seront ensuite présentés dans une quatrième partie, mettant en lumière les représentations de l'identité nationale canadienne dans la couverture médiatique, notamment à travers la célébration de la diversité et du multiculturalisme avant la Coupe du Monde mais aussi les marginalisations et ambivalences observées, ainsi que la reconfiguration des discours suite aux défaites de l'équipe. La conclusion synthétisera les principaux apports de cette recherche qui, en utilisant le cas de la couverture médiatique canadienne du Mondial 2022 comme une loupe, vise à analyser les relations complexes entre sport, médias et identité nationale, et à contribuer aux réflexions sur le rôle des discours médiatiques dans la (re)définition des contours de l'identité nationale, en soulignant les enjeux sociaux et politiques qui traversent la célébration sportive.

I. Le soccer au Canada, entre identité nationale et multiculturalisme  

Il est généralement accepté que l'identité nationale est construite à travers un processus « d'imagination », de « reproduction », « d'invention » et de « (re)construction » de la nation (Bairner, 2001; Cronin et Mayall, 1998 ; Dyerson, 2003 ; Jarvie, 2003 ; Maguire, 1999 ; Miller, Lawrence, McKay, & Rowe, 2001). L'importance du hockey sur glace dans la construction symbolique de la nation canadienne ne peut être ignorée. Car, comme institution, le hockey sur glace et ses célébrités, comme Maurice Richard ou Wayne Gretzky, ont servi à « dramatiser » l'expérience canadienne et à naturaliser le hockey comme sport « moderne » au Canada (Gruneau et Whitson, 1993), tant dans le travail promotionnel entourant le sport-spectacle qu'est le hockey sur glace au Canada, dans les productions populaires entourant ce sport, que dans les travaux savants qui lui sont consacrés (Melançon, 2008). Ces contributions ont permis de comprendre comment le hockey et ses vedettes ont établi leur omniprésence dans les récits nationaux, les cultures sportives populaires et les épistémologies de l'espace culturel sportif canadien. Cependant, cette lecture étroite du sport au Canada a conduit à l'exclusion, intentionnelle ou non, d'autres événements sportifs et d'autres athlètes, notamment des femmes et des personnes racisées. En outre, l'utilisation du hockey pour définir la communauté nationale canadienne dans le contexte nord-américain a nécessité l'exagération de la différence à l'échelle internationale (Watson, 2016, p. 289). C'est précisément parce que le hockey sur glace a longtemps dominé l'essentiel des récits médiatiques sur le sport, ses célébrités et la nation au Canada qu'il est pertinent d'examiner d'autres sports pourtant populaires comme le soccer. Bien qu’il ait émergé relativement récemment en Amérique du Nord en tant que sport-spectacle, le soccer est un sport pratiqué et apprécié à travers le monde.  À travers ses franchises, ses produits et ses stars, ce sport tente de trouver sa propre position au sein des récits identitaires canadiens (Sirois-Moumni, 2022, p.254-255).

Parallèlement, comme l’indiquent Paraschak et Tirone (2015), le soccer est l’un des exemples les plus évidents de « sports ethniques » au Canada, c'est-à-dire des sports particulièrement populaires au sein des communautés immigrantes ou minoritaires (Paraschak et Tirone, 2015, p. 97). Que ce soient les communautés européennes, sud-américaines ou africaines, plusieurs auteurs ont suggéré que les communautés immigrantes ont contribué au développement des cultures du soccer au Canada à travers les années (Metcalfe, 1987; Buma, 2009; Fielding, 2017; Golob et Giles, 2011; Lo, 2011; Zine, 2009; Hsoumi, 2012; Walter et al, 1991). Ces travaux soulignent que le soccer au Canada a été pratiqué, joué, apprécié, consommé et reconnu comme un sport populaire depuis le XIXe siècle, mais principalement parmi une frange de la population canadienne considérée comme marginalisée, immigrante, ethnique ou perçue comme étrangère. En ce sens, le soccer aurait contribué à symboliser la réimagination multiculturelle du Canada (Fielding, 2017). Toutefois, qualifier le soccer de sport « ethnique/immigrant/multiculturel » demeure problématique notamment dans le rapport avec l’identité nationale canadienne. Développé à travers les études du sport au Canada mais aussi dans le langage populaire et médiatique, le caractère « ethnique » du soccer participe à réifier des catégories organisantes entre groupes majoritaires et groupes minorisés (Juteau, 2015). Selon Brubaker (2004), ces catégories organisantes peuvent être appréhendées comme des « catégories pratiques, langages culturels, schémas cognitifs, cadres discursifs, routines organisationnelles, formes institutionnelles, projets politiques et événements contingents » (Brubaker, 2004, cité dans Juteau 2015, p. 12). Dans cette perspective, la catégorisation du soccer en tant que sport « ethnique » opère comme un cadre discursif et une forme institutionnelle structurant les relations entre les groupes majoritaires et minoritaires. Cependant, comme le soulignent Ahmed (2019) ainsi que Buu-Sao et Léobal (2020), la majorité est rarement spécifiée, tandis que les groupes minorisés sont constamment reconstruits dans ces termes. Cette dynamique tend à positionner le soccer comme un sport minoritaire et potentiellement « étranger » au Canada, ayant pour effet de (ré)affirmer implicitement la prééminence du hockey en tant que sport dominant.

La position marginale des immigrants dans la société canadienne aurait contribué à la mise en altérité du soccer lui-même en tant que « sport multiculturel », ce qui met en lumière les limites de la politique canadienne du multiculturalisme. Établie en 1971 et codifiée dans la loi sur le multiculturalisme de 1985, cette politique vise à reconnaître et à préserver les différentes origines raciales, nationales, ethniques, langues et religions, mais néglige les disparités économiques, politiques et culturelles qui peuvent entraver l'engagement des citoyens. Bien que le Canada prône la diversité et l'acceptation des traditions et des coutumes multiples, cet idéal reste essentiellement blanc, et les attitudes envers la diversité raciale ne se sont pas améliorées de manière significative au cours des trois dernières décennies malgré l'augmentation de l'immigration (Besco et Tolley, 2018). Pour cet article, il est important de prendre en compte que le multiculturalisme ne peut être compris que si l’on examine les nouvelles formes d’exercice du pouvoir, la domination économique néolibérale et la reconfiguration de la nation. En ce sens, selon Joseph et al. (2022), la prédominance des discours sur le multiculturalisme canadien occulte les questions de racialisation et réduit les préoccupations sur le racisme (Joseph et al, 2022, p. 869). 

Certains récits médiatiques sur les athlètes canadiens racisés ont contribué à les maintenir dans une position marginale, en les présentant comme des « étrangers » ou en insistant sur leur différence (Jackson, 1998; Abdel-Shehid, 2005; Lorenz et Murray, 2014). Les athlètes racisés sont constamment renvoyés à leur altérité au sein du complexe culturel médiatico-sportif, un processus qui dépasse le racisme explicite. Ce complexe opère comme un système de régulation qui marque et remarque perpétuellement ces athlètes comme des personnes étrangères ou non-citoyennes. Comme l’affirment Sirois-Moumni et St-Louis (2023) à propos de la célébration de stars sportives racisées présentées comme des figures de la diversité au Canada, elles révèlent les tentatives de reproduire et maintenir les asymétries raciales, les inégalités socio-économiques et de pouvoir (Sirois-Moumni et St-Louis, 2023, p.97). Ces propositions invitent à analyser les discours raciaux persistants (racialisation, ethnicisation, folklorisation, etc.) et leur évolution au-delà des dichotomies ou des stéréotypes tout comme il importe de ne pas sous-estimer la complexité du multiculturalisme canadien en le réduisant à des visions simplistes. Les athlètes, comme les équipes nationales, peuvent être envisagés comme des unités organisantes des discours sur la nation et la race, non pas en eux-mêmes, mais à travers les récits qui les façonnent et par lesquels ils sont façonnées. Ces athlètes, actualisés par le complexe culturel média/sport, invitent à une complexification des contours de la nation et de la race. Le soccer apparaît donc comme un espace de négociation du nationalisme canadien, particulièrement lors de compétitions internationales où le Canada est rarement présent. À ce titre, il constitue un terrain propice à l’analyse des récits entourant le nationalisme et le multiculturalisme au Canada. En nous intéressant au multiculturalisme canadien en tant que catégorie organisante structurant un discours célébrant la diversité par le biais du soccer à la Coupe du Monde, nous souhaitons approfondir la compréhension de certaines dimensions politiques, économiques et culturelles sous-jacentes à ces mouvements.

II. Méga-événement et complexe culturel média/sport national

Les méga-événements sportifs tels que la Coupe du Monde ou les Jeux Olympiques sont considérés comme des événements culturels majeurs ayant un impact significatif sur l’identité nationale (Gruneau & Horne, 2015 ; Wenner & Billings, 2017). Roche les définit par leur dimension dramatique et leur popularité internationale (2000, p.1). Fortement médiatisés, ces événements combinent récits sportifs, marchandisation et nationalisme (Brown & O’Rourke, 2003; Roche, 1998) et offrent aux nations une plateforme culturelle spectaculaire pour se distinguer et affirmer leur singularité2. Comme événements médiatiques « vortextuels », c'est-à-dire des événements qui génèrent un effet de tourbillon médiatique en aspirant et en concentrant temporairement toute l'attention des médias (Whannel, 2001), ils occupent de vastes zones de contenu médiatique qui sont culturellement hégémoniques (Haynes et Boyle, 2017).

Le sport, les médias et les méga-événements entretiennent une interdépendance où chacun contribue à la prospérité des autres (Wenner et Billings, 2017). À travers le concept de complexe culturel sport/média (Rowe, 2013), cette symbiose entre le sport et les médias fait des textes médiatiques sportifs des sources précieuses pour explorer la construction discursive de l'identité nationale. En tant qu’acteurs influençant l'opinion publique, les médias sportifs participent à façonner les perceptions des identités. Leur rôle dans la représentation, la reproduction et la reconstruction de l'identité nationale est incontestable (Rowe, 2013). Selon Ben Carrington (2010), bien qu'ils ne soient pas les seuls espaces où les individus acquièrent des notions sur l'identité et la différence, les médias sportifs émergent comme l'une des institutions les plus influentes pour diffuser des idées populaires sur soi et sur l’Autre

Pour Wenner et Billings (2017), les méga-évènements sportifs ont gagné en importance culturelle grâce à leur capacité à capter l’attention des médias et du public d’une manière qui dépasse le sport quotidien. Ils définissent des moments marquants inscrits dans la mémoire collective, au-delà des supporters les plus fervents (Wenner et Billings, 2017, p.34). Ces événements favorisent aussi une réflexion sur l'identité nationale en réponse aux dynamiques internationales (Morgan 1997, p. 9-11) qui offrent des occasions périodiques propices à la construction de l’identité nationale. Cette régularité favorise l’émergence de récits nationaux continus, marqués par les succès et échecs, souvent réduits à une dichotomie « nous vs eux », contribuant à leur histoire. 

Les chercheurs s'intéressent depuis longtemps à la façon dont les méga-événements sportifs sont utilisés pour servir des objectifs qui dépassent le simple cadre du sport (Budd 2004 ; Cha 2009). Si de nombreuses études dans différentes disciplines ont analysé comment les méga-événements sportifs peuvent être instrumentalisés à des fins politiques ou économiques, souvent en lien avec des enjeux d'identité nationale et de puissance étatique (Pasynkova, 2013), peu de recherches se sont penchées sur la manière dont ces logiques de construction identitaire peuvent se manifester dans le contexte spécifique du Canada, en particulier dans la couverture médiatique des méga-événements.

Au Canada, les travaux en études du sport se sont intéressés à divers aspects des cultures médiatiques sportives, tels que leur dimension marchande (Gruneau et Whitson, 1993), le lien entre identités de supporters et logiques de consommation (Sirois-Moumni, 2018), l'économie politique de la mondialisation du sport et la naturalisation des nationalismes corporatistes (Jackson & Andrews, 2005; Silk, Andrews, & Cole, 2005), ou encore la construction et la signification culturelle de la célébrité sportive, notamment en lien avec les enjeux de masculinité et de race (Andrews & Jackson, 2001; Whannel, 2005). Carrington (2010) a également souligné la normalisation des préjugés sexistes, raciaux et nationaux dans la couverture médiatique ainsi que la pression croissante sur les journalistes sportifs. Cependant, peu d'études se sont concentrées spécifiquement sur le rôle des médias dans la formation de l'identité nationale canadienne à travers la couverture des méga-événements sportifs, et ce particulièrement dans un contexte francophone.

Cet article se propose de problématiser le rôle des médias dans la couverture sportive des méga-événements et la formation de l’identité nationale. Si la théorie démontre les liens étroits entre la construction identitaire, le sport et les médias, l'étude de cas de la Coupe du Monde de Soccer, telle que la couverte par les médias canadiens, offre une approche empirique pour combler l’écart de connaissance dans notre compréhension de ces dynamiques à l’échelle des méga-événements. Nous nous concentrons sur une étude de cas sur l’identité nationale canadienne plutôt que sur des généralisations en nous attardant sur des formats spécifiques de diffusion de l'information. Plus spécifiquement, cet article analyse la couverture de la Coupe du Monde masculine de la FIFA 2022 par la presse écrite canadienne afin d'identifier et d'analyser les façons dont l'identité nationale est racontée, (re)construite et renforcée dans la couverture d'un événement sportif international par les médias sportifs canadiens.

III. Méthode

Le matériau a été collecté à partir de la base de données regroupant l’ensemble des médias canadiens de l'Observatoire de la circulation de l'information (OCI)3, comprenant les articles de presse canadiens publiés entre octobre 2022 et janvier 2023, soit avant, pendant et après la Coupe du Monde 2022. Les mots clés « Coupe du Monde 2022 », « soccer » et « Canada » ont permis d'identifier un total de 1583 articles pertinents après réduction qualitative et élimination de doublons. Provenant de l’ensemble des médias canadiens, en français et en anglais, constituant un échantillon national aussi complet que possible, ce matériau a fait l’objet d’une analyse thématique de contenu. Partant du principe que le contenu des principaux organes d’information tend à refléter des normes culturelles, mais aussi que ces représentations médiatiques populaires sont le fruit du travail des professionnels des médias qui exercent une influence dans la manière de s’imaginer la/les communautés, la place du nationalisme a été examinée en retenant l’analyse textuelle de contenus de médias (sportifs et non sportifs) canadiens. Cinq thèmes clés ont émergé : identité nationale (541 articles), célébrité (321 articles), gestion de la défaite (232 articles), soccer comme sport d’étranger (312 articles) et couverture de la controverse (177 articles). Chaque article a été codé selon l’un de ces thèmes dominants (Cresswell, 2014). L'analyse s’appuie sur une approche méthodologique combinant analyse critique de discours et analyse de contenu d’un cas particulier, dans le but d’examiner la construction médiatique des récits et représentations autour de l’équipe canadienne. L’objectif n’est pas de définir la signification objective des parcours de cette équipe canadienne. Notre rôle consiste à examiner comment ces « faits » sont construits, encadrés, mis en avant, occultés et oubliés, plutôt que de rechercher simplement les faits de leur vie (Birrel et McDonald, 1999, p.292). Dans cette optique, l’analyse cherche à mettre en évidence les mécanismes inhérents au régime de multiculturalisme canadien, reproduisant des inégalités et des discriminations malgré le discours d’ouverture et de bienveillance qui les accompagne.

IV. Résultats 

A. Une identité canadienne négociée avant la Coupe du Monde

La qualification du Canada à la Coupe du Monde de la FIFA 2022, grâce à une victoire contre la Jamaïque en mars 2022, marque la fin d’une absence de 36 ans à cette compétition (depuis 1986). En novembre 2022, les médias canadiens se réjouissaient de ce retour, anticipant le dépassement de la performance de 1986 en inscrivant au moins le premier but de son histoire au sein de la compétition. Une journaliste de Radio-Canada déclarait que « le Canada était de retour » (Roger, 2022). Le Toronto Sun annonçait « l’équipe canadienne la plus talentueuse de tous les temps » et une attente du public « beaucoup plus importante qu'il y a 36 ans » (Van Diest, 2022). Encouragé par une victoire face au Japon, un journaliste de La Presse suggérait que le Canada (pouvait) rivaliser avec les meilleures nations au monde (Téotonio, 2022). Toutefois, le Canada a d’abord enregistré deux défaites contre la Belgique et la Croatie, éliminant ses chances d’avancer dans la compétition. Une troisième défaite de l'équipe canadienne, face au Maroc, a mis fin à ses espoirs d'égaler ou de dépasser sa performance de 1986. Le manque de succès du Canada a entraîné un changement significatif dans le ton et le contenu de la couverture médiatique dans les journaux.  

Avant la compétition, la couverture médiatique canadienne présentait l’équipe comme « unie dans sa diversité »4. Bien que le Canada ne fût pas favori pour gagner la Coupe ni même passer la phase de groupe, les médias dépeignent le pays comme animé par des aspirations de succès sur la scène internationale. Dans ce contexte d'anticipation, le Canada était caractérisé comme: « a band of unselfish brothers who play for each other and country » (Houpts, 2022). La couverture véhiculait un optimisme, suggérant que la nation était prête à triompher de l'adversité : « Canada enters the group as firm underdogs, but John Herdman’s side has a knack for upsetting the proverbial apple cart » (Jacques, 2022). Cette unité était caractérisée par des valeurs d’équipes plutôt qu’individuelles. Certains articles décrivaient l’effectif et l'entraîneur comme des « symboles de la diversité » (Kloke, 2022) représentatifs du pays et de son modèle d'intégration canadienne (Desrosiers, 2022) : « That’s because they boast a diverse group of 26 players whose families have emigrated from all over the world, making them truly representative of the country’s multicultural makeup » (Devji, 2022). Certains articles attribuaient même la participation à la Coupe du Monde aux politiques d’immigration canadiennes (Omotoye, 2022; Sivakumar, 2022) comme en témoigne l’extrait suivant: « Cette remarquable diversité est le fruit d’un pays aux ‘politiques d’immigration généreuses’ [...]. Le Canada est un pays multiculturel. Il nous a donné la paix, de meilleures écoles, une meilleure vie. [Nos efforts sur le terrain] sont seulement une façon pour nous de lui donner en retour » (Milan Borjan cité par Desrosiers, 2022).

Tous les auteurs semblaient d’accord sur le fait que la diversité de l’équipe de même que l’immigration et le multiculturalisme serait une chose positive et enrichissante pour le Canada et son équipe de soccer. Cette couverture a permis d’établir un portrait d’équipe retraçant l’origine de certains joueurs à travers leurs familles ou lieux de naissance. Par exemple, « le jeune homme (Koné) est né en Côte d’Ivoire en 2002. Sa mère et lui sont arrivés au Canada alors qu’il avait 7 ans, pour fuir la guerre civile » (Téotonio, 2022b). Certains articles présentaient leurs parcours migratoires, comme « A kid born in a refugee camp wasn't supposed to make it! But here we are going to the World Cup » (Davidson, 2022). Ces constructions présentaient les joueurs canadiens comme « véritablement représentatifs de la composition multiculturelle du pays » (Devji, 2022). Comme procédé médiatique, les témoignages des joueurs sur leur parcours d’émigration, marqués par la gratitude et la reconnaissance envers le Canada, appuient l’effet que le pays est non seulement une terre d’accueil pour les immigrants et les réfugiés mais qu’il offre des occasions et sauve des vies. Le contexte de la compétition génère une assignation nationale marquée par la domestication et la localisation de ces athlètes, présentés à un public local/canadien, mais également soumis à une tension constante liée à leur perception en tant qu’« étrangers » dans le pays. Dans les articles se consacrant à présenter l’effectif du Canada, les joueurs sont également étiquetés comme Caribéens (Barbades, Haïti, Jamaïque, Trinité et Tobago) ; Africains (Côte d’Ivoire, Ghana, Libéria) ; Européens (Irlande du Nord, Portugal, Royaume-Uni, Yougoslavie) ; Sud-Américains (Argentine) ; comme « immigrants » de première ou deuxième génération, « réfugiés » ; « Noirs » ou « Mixtes ». Ces marqueurs d'identité révèlent et éludent des histoires et des hiérarchies géopolitiques complexes qui ne sont pas racontées, expliquées ou détaillées dans la couverture médiatique de l’origine de ces joueurs. 

Ces façons de présenter les joueurs ainsi que le Canada se fait dans une négociation de leur appartenance en mettant en évidence leurs origines contribuant à la présentation de l’équipe canadienne comme un « symbole de la diversité » (Kloke, 2022). Selon Ahmed, la diversité est souvent utilisée pour accumuler de la valeur en ajoutant de la valeur à quelque chose (Ahmed, 2019, p.7). Dans ce contexte, la mobilisation de la diversité de l'équipe permet de parler du Canada et de la contribution de ses immigrants et réfugiés à la valorisation du pays. Cette approche s'inscrit dans une forme de « corporatisme multiculturel » qui appréhende la contribution des personnes migrantes presque exclusivement en termes de travail et d'avantages économiques, voire sportifs, qui en découlent pour la nation. Cette perspective est illustrée dans l'extrait suivant : « One is left to wonder how many future stars, both girls and boys in any endeavour, are among the 400,000-plus immigrants Canada plans to welcome every year » (Brown, 2022). Il semble exister une croyance que ces mouvements de population produisent des citoyens canadiens qui seraient « les talents » d’aujourd’hui et de demain et qui seraient incarnés par les joueurs de cette équipe : « Canada have become a team that reflects the country: ‘Our greatest strength is our diversity’» (Kloke, 2022). Ces derniers extraits nous apprennent comment la diversité devient un attribut voire même une force qui conduit à la création d’un corps singulier (Ahmed, 2019). 

Si les joueurs du Canada viennent de pays différents, ils sont présentés, appréhendés et traités comme des corps divers mais productifs. La diversité crée un certain type de corps qui se devine dans le traitement médiatique de l’équipe canadienne. En ce sens, la diversité comme technique d’attribution se transforme ainsi en contenant permettant la présentation d'un corps « unifié dans sa diversité » comme « symbole du Canada » et qui de surcroît en serait « sa force ». Loin d’épuiser la complexité de cette diversité, sa célébration à travers l’équipe canadienne de soccer occulte les barrières systémiques et les préjugés implicites persistants qui demeurent encore aujourd’hui au Canada des problèmes cruciaux pour plusieurs groupes en quête d’équité, notamment les femmes, les minorités racialisées, les peuples autochtones et les personnes vivant avec un handicap qui ne semblent pas faire partie de la définition de la diversité telle que présentée à travers l’équipe masculine de soccer canadienne. Campée dans cet horizon restreint, la définition de diversité promue occulte le fait que les joueurs restent des hommes dont les origines sont mises en avant. 

Cette diversité promue par les médias couvrant l’équipe canadienne est aussi mise en avant à travers une quantité importante d’articles présentant un public multiculturel. Dans un article de La Presse, un chroniqueur suggère à propos de la Coupe du Monde de soccer: « D’habitude, on regarde ça en touristes. En se joignant à nos amis français, italiens, espagnols ou brésiliens, selon que l’on aime boire du vin, manger des pâtes, de la paella ou danser la samba. C’est dépaysant » (Laporte, 2022). Au-delà des clichés et des stéréotypes, l’auteur affirme, au nom d’une majorité de lecteurs, que suivre la Coupe du Monde au Canada serait habituellement une affaire propre à des communautés diasporiques. Différents portraits de communautés diasporiques, à travers des lieux, des personnes et des ambiances dans les grandes villes canadiennes renforcent l’idée du soccer comme un sport de la diversité et présente des communautés ayant parfois une plus grande allégeance envers leur pays d’origine que le Canada (Mussett, 2022). Des articles titrés « Le Canada, bon deuxième pour certains binationaux amateurs de soccer » (Bordeleau, 2022) ou encore « Who is your 'home team' this World Cup? For many Montrealers, it's complicated » (Lapierre, 2022) corroborent cet effet en suggérant « les choix difficiles » que devront faire les citoyens bi-nationaux. La Coupe du Monde devient un prétexte pour présenter un public canadien ayant des liens avec de nombreuses diasporas, mais propose également qu’il s’agirait là du véritable marché du soccer au Canada. Plus encore, la représentation des supporters de soccer suggère même que le soccer serait un sport pour d’autres personnes, que ce serait en quelque sorte, « leur sport » et « leur Coupe du Monde ». Cette représentation renforce l'idée du soccer comme un sport des diasporas et contribue à perpétuer la perception du soccer comme un sport d'étrangers voire un sport associé à « la diversité ».

B. Gestion de la défaite : entre négociation et attribution

La gestion de la défaite a été un élément central de la couverture médiatique de la Coupe du Monde de la FIFA au Canada. Les dernières semaines de couverture ont été marquées par la déception des résultats internationaux du Canada, mais aussi par des tentatives d’expliquer et de justifier la défaite. Alors que certains journalistes suggèrent que le résultat final était attendu, d’autres avancent l’idée que les résultats sont « en deçà des attentes » (Pratt, 2022). Après des performances moins bonnes que prévu sur le terrain, un recalibrage du succès a été réalisé par un changement tangible d'orientation vers la participation du Canada à la Coupe du Monde prévue pour 2026. Ces trois défaites sont présentées comme une occasion d’apprentissage suggérant que le Canada est en train de devenir « une véritable Nation de soccer » (Rebelo, 2022) par cette participation à la Coupe du Monde. Plus encore, la couverture médiatique de la Coupe du Monde 2022 après l’élimination du Canada s’est surtout consacrée à couvrir le reste de la compétition notamment à travers les membres des diasporas (marocaines, croates, françaises, argentine) qui faisaient encore partie de la compétition, de même que s’attribuer une partie du mérite à cette Coupe du Monde puisque le Canada faisait partie du « groupe de la mort », c’est-à-dire un groupe particulièrement compétitif, composé d'équipes de haut niveau et parmi les meilleures de la compétition.

Parmi les exemples de gestion de la défaite du Canada, on peut retrouver des tentatives de blâmer les décisions du personnel d’arbitrage, blâmer l’âge ou les qualités techniques de certains joueurs, blâmer le groupe difficile dans lequel était le Canada. Cependant, l’attribution la plus flagrante de la défaite se fait à travers la négociation du travail de l'entraîneur et de ses joueurs vedettes. 

Suite à leur première défaite qualifiée d’« honorable » face à la Belgique (La Presse Canadienne, 2022), les méthodes de l’entraineur John Herdman ont été vivement critiquées. Les critiques se sont intensifiées lorsque Herdman est devenu le centre de l'attention médiatique pour avoir proféré des propos controversés qui visaient (in)directement leurs prochains adversaires (« F*** Croatia » repris par différents médias canadiens). Dans plusieurs articles, on suggère que la confiance voire l’arrogance de Herdman aurait contribué directement à la défaite du Canada (Damms, 2022). Un journaliste du Journal de Montréal affirme: « Herdman a le don d’avoir ce petit sourire en coin, une sorte de confiance qui flirte avec la limite de l’arrogance sans jamais vraiment la dépasser. Sauf une fois après le match contre la Belgique » (Lévesque, 2022). Un auteur du Réseau des Sports (RDS) affirme que John Herdman est arrivé au tournoi avec une excellente réputation mais qu'il en ressort critiqué et remis en question. Son image est comparée à celle d'un boxeur qui a été mis KO sans s'y attendre (Landry, 2022). Plus encore, certains journalistes estiment que cette façon de faire pourrait mettre en péril la réputation sportive et extra-sportive du Canada. Illustré plus clairement dans un article du Globe and Mail : « Coach Herdman’s bombastic Croatia insult could cost Canada its dignity on Sunday » (Kelly, 2022). L’auteur y remet en question les tactiques psychologiques employées par l'entraîneur du Canada et suggère que le match contre la Croatie serait un référendum sur l'état du programme de football masculin canadien avec le risque que le Canada sur la scène internationale puisse avoir l’air : « vaguely ridiculous. Like a bunch of jumped-up, indecorous pipsqueaks » (Kelly, 2022). La couverture médiatique suivant la défaite de 4-1 a accordé une place importante aux réactions des entraîneurs et des joueurs croates. Un article de Sportsnet.ca illustre cet effet de la façon suivante : « After thrashing Canada 4-1 in their World Cup match on Sunday, Croatian player Andrej Kramaric had some pointed words for his opponents and, more specifically, head coach John Herdman. “I want to thank the (Canada) coach for the motivation. In the end, Croatia demonstrated who eff'd whom » (Sportsnet Staff, 2022). L’ensemble de la couverture médiatique suivant le match face à la Croatie laisse entendre que la défaite est largement attribuable à Herdman. 

Parallèlement, une couverture visant la célébrité d’Alphonso Davies comme un potentiel problème a retenu l’attention (Jones, 2022). Présenté comme « The Face of Canada’s World Cup Dream » (Ngabo, 2022) avant le début de la Coupe du Monde, Davies était placé au sein d’un panthéon d’athlètes canadiens marquants les domaines du hockey, de l’athlétisme et du basketball. Davies y était célébré comme une star de classe mondiale pouvant rivaliser sur la scène internationale, à l’image de grandes figures sportives canadiennes comme Wayne Gretzky, Gordie Howe, Clara Hughes, Fergie Jenkins et Steve Nash. Toutefois, après les défaites, certains journalistes ont questionné sa célébrité. Ceci est très explicite dans un article de la CBC où on suggère que Davies serait « une Diva » et « doté d’un égo démesuré ». Le journaliste place Davies à un niveau différent des autres joueurs en suggérant que son statut de célébrité serait expliqué par son talent, mais également par son argent comme dans l’extrait suivant : « Davies wears diamond earrings that probably cost more than James Pantemis's annual salary » (Jones, 2022). Cette « célébrité » lui confèrerait un statut particulier au sein même de l’équipe du Canada mais corrobore aussi le personnage de « diva » que plusieurs médias participent à construire après la première défaite du Canada. Ainsi, on le présente dans ses différentes façons de n'en faire qu’à sa tête, ses prises de décisions au-delà des enjeux tactiques décidés par l'entraîneur, son entente avec Soccer Canada qui lui permet de vendre ses propres maillots, d’avoir ses propres contrats publicitaires indépendamment de la fédération canadienne (ce qui ne serait pas le cas d’autres coéquipiers), sa façon de procéder à travers son propre système de relations publiques selon ses conditions et selon ses envies, sans se plier aux règlements établis, son refus de s’adresser aux journalistes, et ce tout en étant protégé par l’organisation. Ces différentes façons de représenter Davies sont en tension avec les récits de «  héros canadiens » et de « Face of Canada’s World cup Dream » évoqués avant la Coupe du Monde. 

En somme, les mêmes éléments qui faisaient les qualités de l’entraîneur et des joueurs avant la compétition sont devenus des caractéristiques qui se sont retournées narrativement contre eux. La passion et la fougue de John Herdman sont devenues de la naïveté, de l’excès de confiance et de l’arrogance. Le talent de même que la célébrité de Davies sont devenus un problème capable d’expliquer les insuccès du Canada à la Coupe du Monde. Ces différents traits de comportements relevés par les journalistes à propos de Davies ou Herdman contrastaient avec la représentation par les médias des valeurs de respect, d’unité, d’humilité et de camaraderie de l'équipe canadienne, soulignant ainsi efficacement une incohérence entre Herdman, ses joueurs vedettes et peut-être même les valeurs canadiennes projetées autour du sport dans la construction des masculinités hégémoniques canadiennes autour de la modestie, l’humilité et l’accessibilité (Allain, 2011; 2016). 

Cette mise en tension entre ces figures et les récits hégémoniques du sport au Canada s'inscrit dans la continuité des travaux montrant que les différentes façons d’appartenir au Canada sont construites de façon à réguler et à (re)marquer les personnes qualifiées d’étrangères ou de « non citoyennes » (Abdel-Shehid, 2005). Qualifier certains athlètes de « différents » influence la présentation des évènements sportifs aux publics. Dans notre corpus, l’accent mis sur l’origine immigrante des joueurs (et des supporters) révèle la persistance d’une représentation du soccer comme sport « étranger ». Cette altérité, de même que la mise en avant de leurs attitudes et allégeances changeantes souligne indéniablement les écarts culturels avec la culture sportive hégémonique canadienne, positionnant ces acteurs du soccer comme des figures potentiellement « autres ». 

Le processus médiatique de « domestication » d’Alphonso Davies opéré par les médias en le comparant à des figures comme Wayne Gretzky est éclairant à cet égard. D’une part, il peut être analysé comme une tentative de l’affirmer comme un héros national. Cependant, en soulignant son appartenance au soccer, perçu comme « étranger » dans notre corpus, il devient en quelque sorte un « Wayne Gretzky de l’étranger ». Même si Davies a grandi au Canada et qu’il est un héros international reconnu, s’il « ne pense pas comme nous », s’il « ne parle pas comme nous », s’il « ne fait pas comme nous », cela est suffisant pour le considérer comme un étranger potentiel et quelqu’un de « différent ». Cet élément ressort plus clairement à travers sa figure de célébrité qui semble faire à sa guise, ne s’adressant pas aux médias et gagnant plus d’argent que la plupart de ses coéquipiers. Cette notion de différence peut être délicate à établir une fois pour toutes mais rappelle les travaux de Jackson (1998) montrant la fluctuation des récits médiatiques présentant certains athlètes tantôt comme « des nôtres » dans les succès, tantôt comme figures d’altérité lors de scandales. Similairement, on peut étendre notre compréhension de cet effet aux succès et aux défaites alors qu’on observe un changement de tonalité dans la couverture de l’équipe canadienne entre l’euphorie pré-compétition et l’attribution de la faute après les défaites. Cela témoigne de la fragilité du processus d’identification à une équipe perçue comme porteuse d’une différence due à l’origine immigrée de ses joueurs qui les rendraient plus vulnérables à ces changements de significations. 

Conclusion

Cet article a examiné la (re)construction identitaire canadienne à travers la couverture médiatique de l’équipe de soccer masculine lors de la Coupe du Monde 2022. Alors que le hockey sur glace a historiquement dominé les récits médiatiques servant à narrer la nation canadienne (Gruneau et Whitson, 1993), le soccer émerge progressivement comme un sport spectacle populaire au Canada. Le contexte du méga-évènement sportif a offert une plateforme pour présenter une réimagination multiculturelle du Canada reflétant « sa diversité ». 

Un élément clé de la couverture médiatique résidait dans la gestion de la « défaite », définie comme l’incapacité à progresser en compétition. Avant la compétition, les médias canadiens présentaient l’équipe comme une équipe ambitieuse et réelle « nation de soccer » marquée par la diversité de son effectif. Cependant, les défaites ont entraîné un changement de ton dans la couverture médiatique. Cette couverture a brossé un portrait du soccer, de la Coupe du Monde, de ses pratiquants et de ses amateurs en contradiction avec la culture sportive hégémonique canadienne. La critique exacerbée envers l'entraîneur et certains joueurs a négligé la nature inhérente de la défaite. Le revers contre la Croatie a confirmé ce revirement, avec une couverture négative de l’équipe et une requalification du soccer comme sport des diasporas suivant la compétition. Ces observations suggèrent que les mécanismes médiatiques promouvant le sentiment national et marginalisant le soccer étaient liés à la gestion sous-jacente de la défaite. Les médias ont donc joué un rôle significatif dans la reconstruction de l'identité nationale à travers les résultats sportifs.

Cet article démontre le rôle des populations immigrantes/réfugiées/racisées dans la redéfinition des identités canadiennes, à la fois dans les récits médiatiques ordinaires et spectaculaires autour d'athlètes et supporters de diverses origines. Bien que certains sports comme le soccer aient une importance moindre dans les récits nationaux, cette étude révèle une transformation récente de leur visibilité dans les médias sportifs canadiens lors de méga-événements tel que la Coupe du Monde. Toutefois, ces représentations tendent à reconduire des stéréotypes vis-à-vis du soccer comme un sport « d'étranger » ou « de la diversité », révélant ainsi les limites de l'inclusion dans le paysage sportif canadien. En représentant l'équipe canadienne et les publics locaux comme « différents » et « non traditionnels », les journalistes ayant couvert la Coupe du Monde au Canada reconnaissent implicitement ces personnes comme étant différentes et non conformes à l'image du sport au Canada. Le revers de la diversité se retrouve donc à travers cette mise en évidence de la différence qui renforce l'idée que le soccer est encore et toujours associé à l'immigration, voire qu'il est encore perçu comme un sport étranger dans le langage médiatique canadien. Cette perception contribue à la dévalorisation potentielle du soccer dans la culture sportive hégémonique du Canada, facilitant ainsi une dissociation et un désengagement avec ce sport comme « non-canadien » dans les insuccès de l’équipe. 

Plus encore, ces représentations contribuent à la perpétuation de la marginalisation des groupes minorisés, tandis que la notion de « majorité » reste prise pour acquise, floue et indéfinie. Si les identités nationales sont le résultat de processus pluriels et changeants, elles se (trans)forment donc sous l’effet des politiques de la représentation du moment. Cependant, cette transformation se produit tout en étant renforcée par un désaveu constant de la différence. En ce sens, le contexte pourtant célébratoire de la Coupe du Monde participe d’une certaine manière à la production de nouvelles formes d’altérisation de certains groupes de citoyens canadiens alors qu’ils sont sans cesse reconduits dans les marges de l’appartenance à la nation par rapport à leurs origines, leurs couleurs de peau et leurs trajectoires d’immigration. Le nationalisme, lorsqu'il aborde des idées liées à la différence sociale, tend souvent à se concentrer sur la distinction entre « nous » et « eux », c'est-à-dire les « autres ». Cela se traduit par la création de frontières culturelles, où certaines personnes sont considérées comme faisant partie intégrante de la nation (« intérieures ») tandis que d'autres sont perçues comme extérieures à celle-ci. Comme nous avons pu le constater dans cet article, le contexte de la compétition participe à reconstruire les contours de la nation alors que les joueurs et l’équipe sont au centre de débats incessants autour de la citoyenneté : qui est reconnu (ou non) en tant que citoyen, qui est inclus et selon quelles conditions, ainsi que dans quelle mesure - et qui en est exclu (Juteau 2015). Les récits accompagnant cette équipe de soccer à la Coupe du Monde masculine de soccer 2022 participent ainsi à mettre au jour les limites du régime de représentations au Canada. 

Notes de fin

(1) J’entends « sport-spectacle » ici comme l’articulation entre le sport, sa commercialisation et les industries du divertissement qui reproduisent les valeurs dominantes d’une société. Voir les pages 65-89 du livre Media Spectacle de Douglas Kellner, 2003.

(2) L'affiliation sportive prime sur l'appartenance religieuse et l'engagement politique dans de nombreuses sociétés (Dyreson 2001)

(3) Un grand merci à Sylvain Rocheleau qui a effectué le forage du matériau à travers l'Observatoire de la circulation de l'information (OCI). L’OCI a une base de données qui répertorie l’ensemble du contenu médiatique journalistique canadien. Il faut savoir qu’une recherche sur la base de données Eureka.cc aurait également pu être envisagée. Toutefois, par manque de certaines informations comme les archives du Journal de Montréal, ainsi que plusieurs contenus sportifs comme les sites du Réseau des Sports (RDS) et TVA Sport, il était préférable de procéder à travers l’OCI. 

(4) Dans un souci de concision, nous n’aborderons pas dans cet article la couverture médiatique canadienne des controverses avant l'événement entourant l’organisation de la Coupe du Monde de soccer au Qatar, notamment en lien avec les droits humains, les conditions de travail des migrants et les enjeux environnementaux et LGBTQ+. Loin de minimiser ces aspects, une étude future pourrait analyser de façon plus approfondie ce pan de la couverture.

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Pour citer cet article :

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Racismo Institucional e a Subjetivação do Atleta Negro no Futebol Brasileiro no Séc. XXI

Resumo

Neste estudo são apresentadas considerações sobre a repercussão dos racismos sistêmico e institucional na subjetivação ao atleta negro no Brasil. Tal investigação adota como enquadramento teórico-analítico a sociologia do guichet e como objeto de estudo os dados produzidos pelo Observatório da Discriminação Racial no Futebol entre os anos de 2016 e 2023.

Palavras-Chave : racismo sistêmico, racismo institucional, sociologia do guichet, participação democrática, burocracias

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Humberto Machado Lima Junior

Chercheur Invité - Laboratoire de Direitos Humanos da Universidade Federal do Rio de Janeiro (LADIH/UFRJ)

Docteur en Sociologie IESP/UERJ 

 

Racismo Institucional e a Subjetivação do Atleta Negro no Futebol Brasileiro no Séc. XXI

Este artigo traz reflexões sobre as características dos conceitos de racismo sistêmico e institucional adquiridas na formação da estrutura social brasileira e procura identificar os desdobramentos destes modelos de segregação racial sobre a construção da subjetividade do jogador de futebol negro no Brasil. Com este intuito, adota como objeto de estudo os dados produzidos por uma pesquisa sobre o monitoramento dos casos de discriminação racial no futebol brasileiro realizada pelo Observatório da Discriminação Racial no Futebol entre os anos de 2016 e 2023. A investigação adota como enquadramento teórico a produção científica sobre Racismo Institucional e Racismo Sistêmico, bem como, a Sociologia do Guichet (uma metodologia fundada no Interacionismo Simbólico e na tese marxista sobre Classe Social).

A partir deste enfoque analítico-metodológico, e da hipótese de que tanto a subjetivação desvalorativa do atleta negro quanto a segregação sofrida pelos jogadores de futebol negros no Brasil são alicerçadas no Racismo Institucional (reproduzido nos diversos setores da gestão pública), este estudo aponta para a direção de que a solução efetiva para o controle da violência racial no esporte tem uma relação direta com a criação de mecanismos de conscientização e regulação das burocracias, bem como de suporte psicológico para vítimas de modo a reconfigurar sua subjetivação. Neste sentido, o artigo inicia com a explanação dos conceitos de Racismo Sistêmico e Racismo Institucional abordando o impacto destes fenômenos sociais na construção da estrutura social brasileira. Em seguida, trata da sociologia do futebol e da formação identitária do atleta negro no Brasil tendo em vista os racismos sistêmico e institucional. Na terceira seção é feita uma análise dos dados apresentados pelo Observatório da Discriminação Racial no Futebol e posteriormente o artigo conclui com considerações sobre o Programa Nacional de Combate ao Racismo Institucional.   

1 – Notas sobre os conceitos de Racismo Sistêmico, Racismo Estrutural, Racismo Institucional e seus reflexos sobre a estrutura social brasileira.

A subjetivação do atleta negro no futebol brasileiro do início do século XXI é um fenômeno social que se desdobra da lógica de hierarquia racial vigente na sociedade brasileira legada tanto do pensamento coletivo supremacista – que advém do período colonial escravista - quanto do racismo científico do final do século XIX absorvido na fundação das instituições políticas no Brasil que reproduzem práticas segregacionistas (Silva & Paula, 2020). Desse modo, o racismo sistêmico no Brasil é exercido tanto pelos indivíduos imersos em um campo cultural marcado pela supremacia branca quanto através instituições sociais e políticas no campo macroestrutural. Nesse sentido, em uma acepção bourdieusiana, o racismo sistêmico no Brasil é tanto estruturante quanto estruturado, na medida em que ao mesmo passo em que é parte constitutiva da estrutura da sociedade (enquanto um sistema de signos, habitus e práticas gerados socialmente) também dá sustentação à formação e reprodução dessa mesma estrutura (Bourdieu, 1989).

Compreendido enquanto um sistema social (em contraposição à ideia de um conjunto de atos individuais), o conceito de racismo sistêmico no Brasil consiste em um processo no qual se reproduzem condições e oportunidades sociais de maneira diferenciada segundo critério racial através de práticas conscientes ou inconscientes. Desse modo, não se refere a uma ação individual de um sujeito originário de uma determinada raça sobre outra que lhe seja subjugada, mas a uma ação coletiva de um grupo racial sobre outro dentro de um cenário de assimetria de poder construída historicamente. A partir deste quadro sobre a dimensão coletiva do racismo sistêmico, a noção de racismo estrutural traz a perspectiva de que o exercício da supremacia racial depende do controle direto ou indireto do conjunto das instituições sociais (Almeida, 2019). Nesse sentido, as instituições sociais e políticas exercem um papel fundamental na reprodução da segregação racial. 

Surgido nos anos 1960 com o Movimento Black Power e introduzido no debate político e acadêmico estadunidense durante os anos 1990 – tendo entre suas principais referências teóricas KwameTure e Charles Hamilton – o conceito de racismo institucional se refere basicamente ao procedimento através do qual uma dada sociedade internaliza a produção de desigualdades e a reproduz em suas instituições (Souza, 2011).  

A ideia é simples. Os aparatos institucionais de uma dada sociedade encontram-se a serviço dos grupos hegemônicos que os criam e fazem com que funcionem para a reprodução do sistema que lhe confere significado e existência. Alguém que esteja operando esse sistema poderá produzir resultados raciais injustamente diferenciados ainda que não tenha intenção de fazê-lo. Embora esse tipo de racismo possa ser de difícil detecção, suas manifestações são observáveis por meio dos padrões de sistemática desigualdade produzida pelas burocracias do sistema, que, por sua vez, ao lado das estruturas, formam as instituições (Sousa, 2011: 80).

Segundo os autores acima mencionados, o racismo institucional envolve a interação entre uma dimensão sistêmica (que corresponde a um complexo amplo de instituições imateriais no qual se incluem crenças, valores, elementos culturais, etc) e uma dimensão estrutural (referente a instituições materiais específicas, como burocracias e partidos políticos, que tem por função fazer com que o sistema funcione). Assim como no enquadramento teórico marxista da reciprocidade entre estrutura e superestrutura, há uma interdependência na relação entre as dimensões sistêmica e estrutural do racismo institucional em que a estrutura está baseada na legitimidade do sistema ao qual deve dar sustentação. Portanto, não seria possível promover transformações no sistema sem alterar as estruturas que lhes dão alicerce (Hamilton & Ture, 1992).

No caso da sociedade brasileira, na qual a construção histórica do racismo desde o período despótico colonial se edificou no sistema social, o racismo institucional se refletiria na maneira como as estruturas racializadas (burocracias, organizações policiais) reproduzem práticas discriminatórias no exercício das suas funções em desacordo com a orientação política e jurídica que deveriam seguir. Tal insubordinação não expressaria uma manifestação individual, mas a reprodução irreflexiva do conjunto de práticas constitutivas do fluxo de valores e crenças do sistema social na qual estas estruturas e os sujeitos que as compõem estão imersos (Sousa, 2011). Sob tais aspectos, o enquadramento do racismo institucional é complementado pela sociologia do guichet (a qual será analisada na próxima sessão) no tocante à capacidade de emancipação das burocracias perante às políticas públicas às quais deveriam se subordinar em virtude do conjunto de valores e crenças do sistema social de que fazem parte. 

Após o seu surgimento no cenário acadêmico francês e internacional durante os anos 1990, a Sociologia do Guichet rompe com a noção weberiana de uma burocracia neutra racional-legal e traz a perspectiva de um sistema burocrático intersubjetivo constituído de interações simbólicas segundo uma ordem materialista de dominação e luta de classes (Rocha Pires, 2017). Nesse sentido, a construção da identidade e dos papéis sociais tanto de burocratas quanto de beneficiários de serviços públicos está baseada nas relações assimétricas de poder entre as classes sociais a que pertencem. Nesse processo, os signos das máscaras sociais de burocratas e usuários são definidos na interação entre os atores e manipulados de acordo com a defesa dos interesses de classe de cada um (Dubois, 2010). Segundo uma lógica de expectativas sociais criadas de modo interacional (Goffman, 1967), tanto beneficiários quanto burocratas podem manipular suas imagens de acordo com a expectativa do outro (do interlocutor) acerca da sua identidade e, dessa maneira, satisfazer seus interesses durante o contato no guichet.

Assim, em virtude do poder de sua posição de conceder ou não o benefício ao utilizador do serviço público, o burocrata teria a capacidade de exercer uma violência simbólica impondo suas expectativas sobre o papel social do usuário. Por outro lado, o assistido sabe como se portar segundo as expectativas do burocrata para conseguir a aprovação de suas solicitações. 

À la fiction du bureaucrate impersonnelrépondcelle de l’usagerstandardisé, tout particulièrement remise en cause dans le cas des caissesd’allocations familiales. En premier lieu, dans ces institutions oùsontversées à la fois des prestations qui concernent des personnes en situation précaire (revenu minimum d'insertion, allocation de parent isolé, allocation pour les adulteshandicapés), des allocations perçuesquel que soit le niveau de revenu (prestationsfamiliales) et dans une moindremesurecertaines aides qui, commel'aide pour la garded'enfants à domicile, bénéficient aux catégoriesaisées, les écarts socio-économiques entre allocatairessonttels que des ajustements sont nécessaires à leurtraitementadministratif. En second lieu, dèslors que ces prestations concernentcequ’il y a de plus intimement « privé » dans la vie des personnes – la naissance des enfants, le mariage, la séparation, la structure familiale, le décès, etc. – leuroctroi engage nécessairement des récitssinguliers et un minimum de considération à leurégard. Des ajustementssontlà encore nécessaires, cettefois entre lesspécificitésbiographiquesdesindividus et les catégories prévuespourleurtraitement (Dubois, 2010: 3-4).

Estudos sobre a insubordinação das burocracias em relação às Políticas de Estado no cenário global (Luca, 2016) indicam estratégias de controle da capacidade dos funcionários públicos em se contraporem às orientações da governança. Como forma de regular a reprodução de práticas preconceituosas e segregacionistas por parte dos agentes de Estado, são apresentadas experiências de inclusão de participação democrática de modo a trazer a sociedade civil, ONGs, organizações e movimentos sociais para dentro da gestão pública com o objetivo de fiscalizar seus trâmites internos. No que tange a mecanismos que evitem a cooptação da burocracia por partidos políticos ou oligarquias que aparelhem o Estado através de ações patrimonialistas, inovações na gestão pública nos governos nacional desenvolvimentistas da Turquia indicam como resposta o aumento da autonomia burocrática e um plano de carreira baseado na meritocracia tecnocrática (Luca, 2016).

Assim, sob o enquadramento da sociologia do guichet, o racismo institucional é compreendido como uma insubordinação dos burocratas e agentes institucionais de uma maneira geral perante às leis, políticas públicas ou estatutos e regimentos que deveriam seguir. Tal insubordinação se daria em virtude da assimilação coletiva dos arquétipos do racismo sistêmico e se manifestaria em procedimentos de subversão das regras para reproduzir a segregação racial através do exercício das funções burocráticas.

Diante do exposto, o racismo institucional exerce ação estruturante da lógica social racista no Brasil. Segundo a visão foucaultiana, entendemos a lógica (social) como um conjunto de pensamentos, paradigmas, valores que orientam os meios de normatização da sociedade, isto é, suas leis, normas e instituições (Maia & Zamora, 2018). A partir de uma análise da influência do racismo científico no Brasil entre o final do século XIX e meados do século XX podemos identificar o papel determinante das narrativas de hierarquia racial na formação de assimetrias sociais em códigos legais, políticas públicas, estabelecimentos de ensino, prisões, hospitais entre outras instituições sociais brasileiras.O positivismo racial de Arthur de Gobineau (expresso em sua obra Ensaio sobre as Desigualdades entre as Raças Humanas, 1853-1855), o Evolucionsimo Social de Herbert Spencer, além do degeneracionismo e dos princípios eugenistas de Nina Rodrigues e Oliveira Vianna foram preponderantes para a construção da narrativa de inaptidão da raça negra para o trabalho regular e sistemático, bem como para a ideia de inferioridade intelectual e moral do negro que o tornava propício à delinquência e ao crime  - sendo portanto inadequado à recuperação pelo sistema prisional (Maia & Zamora, 2018).

Defensor da tese da inimputabilidade penal do negro, segundo a qual os descendentes de africanos não estariam aptos a cumprir o Código Penal elaborado por brancos, Nina Rodrigues (jurista criminalista, médico legista, psiquiatra e um dos fundadores da instituição criminológica brasileira e do Código Penal republicano) defendia que indivíduos da mesma raça tinham características comuns.

Ninguem pode duvidar tão pouco de que anatomicamente o negro esteja menos adiantado em evolução do que o branco. Os negros africanos são o que são: nem melhores nem piores que os brancos; simplesmente elles pertencem a uma outra phase do desenvolvimento intellectual e moral. (...) ... Ora, como estes estados psychicos dominam os crimes contra pessoas (impulsividade, força física, incapacidade mental e sexualidade exacerbada), tanto quanto os crimes contra propriedade, é intuitivo que por defeito de organisação, por insufficiencia e desharmonia de desenvolvimento physiopsychologico, não só o índio e o negro, mas ainda os seus mestiços devem ser menos responsaveis do que os brancos civilizados (Rodrigues, 1956:120).

Esta Criminologia Positivista defendida por Nina Rodrigues produziu efeitos na avaliação psicológica dos encarcerados previstas no Código Penal de 1940. Modulações e benefícios como mudança de regime penitenciário e concessão de livramento condicional passaram a ser condicionadas a laudos psicológicos que mediam o grau de periculosidade do criminoso baseados em conceitos do racismo científico – dados que repercutem na alta proporção de negros no sistema carcerário brasileiro do início do século XXI (Maia & Zamora, 2018).

Por outro lado, as narrativas de racismo científico repercutiram nos entraves à incorporação do negro no processo de industrialização ao longo do século XX (sendo tendencialmente relegado às ocupações subalternas ou informais) e nos índices de exclusão social da população negra no que tange à habitação, educação e saúde pública (Maia & Zamora, 2018).  

Todavia, não é difícil se obter dados que comprovem que a ideia de harmonia racial é falaciosa. As marcas deixadas pelos mais de 300 anos de escravidão e pela produção científica de autores como Nina Rodrigues e Sylvio Romero, no período republicano (Maia & Zamora, 2018), permanecem visíveis na nossa estrutura social. Porém, como mostram os indicadores dos últimos Censos apresentados pelo Instituto Brasileiro de Geografia e Estatística (IBGE), as maiores taxas de analfabetismo, analfabetismo funcional, baixos rendimentos, acesso reduzido à educação e à cultura em geral, maiores riscos de vulnerabilidade das famílias, posições e ocupações inferiores e outros dados sociais desfavoráveis, são encontradas entre os negros (IBGE, 2018) (Vaz & Matias & Maia & Zamora, 2019: 04).

O racismo institucional brasileiro, alicerçado na herança dos paradigmas do racismo científico, estabeleceu um modelo de socialização fundamentado na supremacia branca que estruturou no imaginário social processos de subjetivação - no que se refere à construção da imagem social, bem como, da auto-imagem - tanto do negro quanto do branco. No que se refere à subjetividade do negro, os arquétipos de inferioridade reproduzidos no imaginário social geram graves problemas psicológicos, de baixa auto-estima e de negação da condição de negro. A rejeição da própria etnia, por parte do negro, se deve tanto à violência simbólica no campo social brasileiro quanto à escassez de referências negras que tenham uma imagem social positiva e valorativa (Vaz; Matias; Maia & Zamora, 2019).

A maioria da população brasileira, negra e branca, introjetou o ideal do branqueamento. Esse ideal, inconscientemente, interfere no processo de construção da identidade da pessoa negra, pois o sentimento de solidariedade e pertencimento de grupo entre a população negra acaba por se enfraquecer (Pinto & Ferreira, 2014: 262).

A reprodução dos racismos sistêmico e institucional na sociedade brasileira adquire contornos próprios mediante à fusão com a tradição nacional de discriminação construída historicamente a partir, sobretudo, dos paradigmas da “democracia racial” e do “branqueamento”. O primeiro arquétipo, da “democracia racial”, parte da ideia de que as relações sociais (e raciais) no Brasil seriam pautadas pelos princípios de cordialidade e harmonia e encontra fundamento teórico e analítico, particularmente, nas obras de Gilberto Freire (1933), Sérgio Buarque de Holanda (1936) e Joaquim Nabuco (1922). Já o ideal do branqueamento, nos estudos precursores de João Batista Lacerda (1911) se reporta ao desaparecimento das características da raça negra por meio da miscigenação como algo positivo no processo civilizatório brasileiro (Hofbauer, 1999). Entretanto, o tratamento da noção de “branqueamento” adota nesta pesquisa remota a uma abordagem psicológico-social que envolve a adequação do indivíduo aos padrões comportamentais, cognitivos e identitários atribuídos socialmente à raça branca.           

Na próxima seção, serão apresentadas observações sobre a sociologia do futebol e a incorporação e subjetivação do atleta negro a partir da reprodução da lógica racista.

 

2 – Considerações sobre a sociologia do futebol e a subjetivação do atleta negro no Brasil

Até meados dos anos 1960 o futebol era considerado pelo ambiente acadêmico internacional como um fenômeno social a político. Apenas a parir da década de 1970 essa modalidade esportiva se ao objeto de estudo da teoria social, em partícula da Teoria Crítica da Escola de Frankfurt sob o enquadramento marxista das teorias da “alienação” e da “coisificação”. No Brasil, apesar da grande importância que adquiriu para o povo brasileiro, o futebol torna-se um tema relevante para os estudos sociais também a partir dos anos 1970 (Vieira, 2003).

Precedido pelos estudos de Mário Filho (1964) em O Negro no Futebol Brasileiro, que adotavam categorias analíticas como elitismo, racismo e luta de classes, o livro Futebol Brasileiro e Dança, de Gilberto Freyre (1971) marca o início das pesquisas sociológicas sobre o futebol brasileiro.  Nesta obra, o autor entende o referido esporte (assim como o conjunto da sociedade brasileira) sob o prisma da democracia racial, destacando que a maneira artística de jogar – através das danças, gingados, criatividade, malemolência – são elementos resultantes da miscigenação e constitutivos da identidade nacional. Com base nesta tese, Roberto DaMatta em O Universo do Futebol (1982) conclui que o futebol, além de definidor da identidade nacional, concorre para a aproximação entre Estado Nacional e sociedade. Posteriormente, o enquadramento teórico-analítico delineado por Freyre e DaMatta norteou grande parte da produção sociológica brasileira sobre o futebol ao longo dos anos 1980 e 1990. Perante o conjunto desta produção científica, a obra de Roberto Ramos Futebol: Ideologia do Poder (1984) segue uma perspectiva crítica em relação ao papel social harmonizador do futebol (Vieira, 2003). 

Segundo uma visão althusseriana (Althusser, 1970), Roberto Ramos entende o futebol enquanto um aparelho ideológico de Estado. Assim, no quadro marxista (do qual parte a teoria althusseriana) de relação entre estrutura e superestrutura, em que a superestrutura seria composta por uma série de instituições sociais que ao mesmo tempo em que estariam baseadas na estrutura teriam a função de lhe dar sustentação, o futebol seria uma destas instituições que teriam o papel de legitimar a estrutura social. Desse modo, uma vez que a estrutura social da sociedade contemporânea é marcada pelo modo de produção capitalista, o futebol seria um instrumento de reprodução da ideologia do capitalismo para o conjunto da sociedade sendo uma ferramenta de poder utilizado pela burguesia na opressão e alienação do proletariado. Por esta tese, através dos elementos e regras da organização do futebol os princípios definidores do modo de vida no capitalismo (como o trabalho sistemático e alienado) seriam difundidos socialmente (Vieira, 2003).     

Os argumentos de Roberto Ramos encontram apoio na linha analítica da Teoria Crítica da Escola de Frankfurt, em particular, na obra de Theodor Adorno A Industria Cultural (1986) segundo a qual o esporte teria a função social de disciplinar o trabalhador através de relações de manipulação e dominação. Esta concepção do esporte como mecanismo de manipulação e dominação da classe trabalhadora é desenvolvida em Microfísica do Poder de Michael Foucault (1979) mediante a ideia de internalização por parte dos indivíduos das estruturas de opressão as quais passariam a operar dentro do psiquismo de cada indivíduo (Rodrigues, 2001).              

Nos EUA, a partir dos anos 1970, os estudos em sociologia dos esportes sobre a participação de atletas negros, abordando temas como discriminação e preconceito, são marcados pelas lutas por igualdade racial e pelos movimentos por direitos civis – destacando-se neste período o trabalho de Harry Edwards Sociology of Sports (1973). Tal influência tende a orientar estas pesquisas no sentido de identificar o grau de representatividade de cada grupo ético – divididos entre brancos e negros –  no campo esportivo tendo em vista a variação entre brancos e negros na distribuição de cargos de ocupação esportiva por escala de importância. Nesse sentido, tais pesquisas convergem para a indicação da sub-representação dos não-brancos nas ocupações esportivas mais importantes (Rodrigues, 2001). Segundo Harry Edwards, padrões subjetivos supremacistas levariam dirigentes esportivos a entender que características necessárias para a ocupação de postos centrais tais como liderança, inteligência e controle emocional fossem atribuídas aos atletas brancos. (Edwards, 1973).

 A trajetória da participação do negro no futebol no caso brasileiro apresenta contornos distintos daqueles vistos no caso estadunidense na medida em que a construção do racismo, bem como, da luta por igualdade racial, teve aspectos diferentes nas duas sociedades. No Brasil, a incorporação do atleta negro se deu ao longo da primeira década do século XX através da profissionalização do futebol (induzida para este fim pelos dirigentes de clubes) que permitiu a remuneração e a estabilidade profissional necessária para aquele segmento racial poder se dedicar ao esporte. Entretanto, foi apenas a partir das vitórias da seleção brasileira durante a segunda metade do século XX que a imagem negativa dos jogadores não-brancos começou a ser revista (Vieira, 2003).           

No que se refere à subjetivação inferiorizada do atleta negro no futebol brasileiro, esta se manifesta nos altos índices de casos de injúria racial, de escassez de oportunidade de cargos que possibilitem uma ascensão profissional dentro do futebol (como árbitros e técnicos), da falta de apoio dos clubes aos atletas negros discriminados e de falta de punição legal para os casos de violência racial – como veremos mais detalhadamente na parte seguinte deste artigo (Silva & Paula, 2020). Para reverter os efeitos do racismo institucional sobre a subjetivação do atleta negro no Brasil, o Conselho Federal de Psicologia (CFP) lançou, em 2017, uma cartilha com referências técnicas de compreensão e combate à segregação racial para orientar as instituições esportivas. O documento define três formas principais de impacto do racismo na construção identitária do negro. 

A primeira delas, classificada como crescimento e questionamento, refere-se ao quadro em que o indivíduo tem a percepção da violência racial sofrida e adota uma postura pró-ativa de criação de mecanismos sociais e psicológicos de enfrentamento da questão. O crescimento pela afirmação valorativa da sua autoestima, advém da potencialização da discriminação sofrida e do engajamento na luta contra o que lhe fere seja no campo político, familiar ou das relações interpessoais e profissionais. A segunda, utilização de mecanismos psíquicos defensivoscontra o racismo, é marcada pela negação do preconceito experimentado. Tal atitude é um modo de proteção para que a vítima não precise lidar com os sentimentos de rejeição e discriminação. Por fim, a terceira, dilaceramento psíquico, se caracteriza pela desestabilização traumática da subjetividade de quem experimenta o racismo (Silva & Paula, 2020). 

A partir desta tipificação ideal, o Conselho Federal de Psicologia (CFP) apresentou um conjunto de propostas de psicologia clínica de combate ao racismo no esporte - em construção desde 2010. Com este propósito, uma rede de pesquisadores sobre a questão racial na psicologia se reuniram a partir do pressuposto de que a psicologia, enquanto ciência da subjetividade humana deve se comprometer com o fornecimento de subsídios teóricos para a compreensão de fenômenos sociais tais como os resultados psíquicos do racismo nas relações humanas. Entretanto, a exigüidade de referências teóricas que fundamentem a análise clínica do sofrimento psíquico causado pela violência racial da sociedade impõe limites aos objetivos científicos da cartilha. Desse modo, as propostas do CFP para erradicação do racismo no futebol se concentram em um conjunto de ações afirmativas que envolvem tanto o desvelamento do preconceito quanto a promoção da igualdade de oportunidades. Nesse sentido, sugere objetivamente a adoção de sistema de cotas para a contratação de profissionais negros em áreas predominantemente racializadas (Silva & Paula, 2020).  

Após as considerações sobre os reflexos dos racismos sistêmico e institucional na subjetivação do (atleta) negro no Brasil, passaremos à abordagem dos dados produzidos pelo Observatório da Discriminação Racial no Futebol referente aos casos de intolerância entre 2014 e 2023. Neste cenário, trataremos também dos desafios para a penalização dos crimes de violência racial no futebol brasileiro.

 

3 – Reflexos dos racismos sistêmico e institucional no futebol brasileiro segundo dados do Observatório da Discriminação Racial no Futebol 

Fundado em 2014, o Observatório da Discriminação Racial no Futebol consiste em um projeto de coleta, divulgação e monitoramento dos casos de racismo no futebol brasileiro, bem como, de promoção de debates, publicações e programas educativos que visem a conscientização popular sobre a segregação racial no esporte e a erradicação do racismo. Em decorrência de seus objetivos, o projeto se engaja na ação política de reivindicar junto ao poder público a reparação jurídica para os atletas negros vítimas de intolerância racial (Castro, 2023). Desde a sua fundação, o projeto produz relatórios anuais detalhando os casos de injúria, insultos, agressões e demais formas de violência racial – a separação da coleta por categorias busca favorecer o acompanhamento da evolução dos casos – coletados junto a profissionais atuantes nas ‘series A e B do campeonato brasileiro masculino, bem como das séries A1 e A2 do campeonato feminino.  

Entre os dados gerais coletados entre julho e agosto de 2023 com 508 profissionais do futebol, tendo em vista que 56% da população brasileira é negra (segundo os números mais recentes do IBGE), o fato do relatório indicar que 41%dos profissionais negros do universo da pesquisa terem sofrido racismo no exercício de suas funções revela um alto grau de intolerância racial no futebol brasileiro – do mesmo modo, o índice de 2,75% dos praticantes de religião de matriz africana declararem ter sua crença respeitada no ambiente de trabalho. Neste contexto, 53% dos casos de racismo ocorreram dentro dos estádios de futebol (Castro, 2023).

Apesar de 41% dos negros atuantes no futebol terem sofrido racismo, apenas 1,74% dos participantes da pesquisa disseram ter cometido discriminação racial. A discrepância entre estes dados demonstra uma falta de consenso sobre o significado de racismo. De acordo com os pesquisadores do relatório, o conjunto da população brasileiro está de tal forma imerso no campo de signos e práticas do racismo sistêmico (os quais reproduz de maneira irrefletida) que considera como violência racial apenas os atos físicos e empíricos, desconsiderando as formas verbais, simbólicas, emocionais, psicológicas, epistêmicas, etc. Assim, as formas não físicas de racismo são compreendidas como “piadas” (Meireles, 2021).

É possível observar no relatório de 2023, uma falta de compreensão e empenho das diretorias dos clubes em relação à apuração e ao julgamento dos casos de racismo – haja visto que 15,8% dos atletas negros que sofreram violência racial declararam terem sido atacados por funcionários dos próprios clubes em que trabalham. Segundo a análise dos pesquisadores do Observatório, a omissão dos clubes constrange as vítimas a não denunciarem os casos de racismo junto ao poder público e à justiça comum. Por outro lado, nota-se o despreparo das autoridades policiais em relação à conscientização sobre o racismo e ao acolhimento adequado das vítimas de modo a permitir que estas registrem as ocorrências corretamente. Entre os casos monitorados pela pesquisa, foram observados empecilhos para que os jogadores registrassem o boletim de ocorrência referente à violência racial tais como, não apresentar comprovante de residência do local aonde a queixa estava sendo prestada ou falta de testemunhas que acompanhassem a vítima até a delegacia. 

Nesta pesquisa, analisando os relatórios anuais do Observatório, ficou em evidência a maneira como o negro é visto perante nossa sociedade em que o racismo persiste. Foram dezoito (18) casos analisados, de 2014 a 2019, em dezesseis (16) o negro foi associado ao macaco: quatro imitações de macacos – todas por torcedores argentinos –, um (1) caso em que a atleta Ester foi chamada de “gorila” e os outros onze (11) casos de pessoas que usaram o termo “macaco” para ofender um atleta ou árbitro negro. Apenas em dois incidentes, não se usou a comparação entre o negro e um animal, que, como anteriormente apontado, reduz o negro a uma condição não-humana. A análise, assim, demonstrou que as manifestações racistas seguem à risca o que Kilomba (2020) afirma sobre o regime discursivo, quando acontece uma cadeia de palavras e imagens por associação, que ao longo do tempo se tornaram convincentes, tornando-as afins: ao se pensar no negro, vai se pensar no africano, na África, chegando-se até a selva e, depois, ao selvagem, para se chegar ao macaco, ao primitivo, ao não evoluído (Meireles, 2021: 81).

A omissão das autoridades desportivas e os obstáculos a denúncia dos casos de racismo se refletem nos índices de punição dos clubes. Entre os casos analisados entre 2016 e 2023 apenas 03 clubes foram punidos por discriminação racial sendo que em um dos casos (Friburguense-RJ), a punição incorreu em multa e perda de mando de campo, mas posteriormente foi revertida. A carência de condenações reforça o receio dos jogadores negros de denunciarem os ataques sofridos pelo medo da exposição ao ridículo e ao constrangimento público, bem como pelo descrédito da justiça desportiva e da justiça comum (Meireles, 2021). Por outro lado, a diferença de tratamento do sistema judiciário aos jogadores segundo clivagem racial denota um quadro social de cidadania diferenciada no qual a garantia aos direitos civis é desigual em virtude da raça.     

A tese sobre a cidadania diferenciada se baseia no argumento de que a formação das instituições democráticas brasileiras após a instauração da República foi construída sobre um conjunto de signos e práticas socais legados do regime despótico do período colonial e reproduzidos tanto pelo conjunto da população quanto pelos servidores públicos. Assim, as instituições políticas do Brasil têm o seu modus operandi deturpado pelo fluxo de práticas sociais despóticas e racistas herdadas do colonialismo subjacentes ao arcabouço institucional moderno (Araújo, 1994). 

A tendência complacente da Justiça Desportiva quanto à contenção do racismo se expressa na priorização à sanção pecuniária aos clubes, a qual se mostra ineficaz na coibição do racismo (uma vez que os valores das multas não são significativos para fazer com que as entidades esportivas sintam o peso das penas). Sob outro aspecto, a penalização monetária é inócua por não atingir a dimensão simbólica do racismo perante a sociedade. Nota-se, contudo, no cenário da justiça desportiva brasileira contemporânea, que as ações integrativas entre múltiplas fontes normativas de estruturação da Lex Sportiva, tanto concernentes às previsões antirracistas do regulamento da FIFA (preceitos de base internacional privada) quanto à Lei Pelé e ao disposto no artigo 243-G do Código Brasileiro de Justiça Desportiva, podem oferecer respostas ao problema de eficácia na apuração e punição do racismo (Lima, 2020). 

Na parte seguinte iremos analisar as respostas ao problema de eficácia na regulação da segregação na gestão pública a partir das políticas de combate ao Racismo Institucional no Brasil. Tal análise parte do monitoramento realizado pelo Instituto de Pesquisas Econômicas Aplicadas (IPEA) durante os dois primeiros governos do presidente Lula da Silva.   

4 – Observações sobre o Programa de Combate ao Racismo Institucional no Brasil

A partir do levantamento de dados sobre a desigualdade racial no acesso à saúde pública e à justiça realizado pelo Instituto de Pesquisas Econômicas Aplicadas (IPEA) (Jaccoud, 2009), o Estado Brasileiro, em 2003, passou a reconhecer o Racismo Institucional e seus efeitos na reprodução das diferenças de oportunidades e condições de vida segundo raça. Diante desta constatação foi lançado o Programa de Combate ao Racismo Institucional no Brasil (PCRI) para atuar de forma integrada e pluri-institucional na capacitação e adaptação do setor público para a prevenção da segregação racial praticada pelas burocracias no exercício da gestão pública.  O PCRI foi fundado como uma parceria entre o Ministério da Saúde, a Secretaria Especial de Políticas para Promoção da Igualdade Racial (Seppir), o Ministério Público Federal (MPF), a Organização Panamericana de Saúde (Opas), o Ministério Britânico para o Desenvolvimento Internacional e Redução da Pobreza (DFID) e o Programa das Nações Unidas para o Desenvolvimento (PNUD) (Jaccoud, 2009).

Dentre as principais atividades do programa é possível destacar a realização de cursos e oficinas de sensibilização com os burocratas nos quais os participantes entram em contato com temas do imaginário social acerca da representação do que é “ser negro’ e “ser branco” no Brasil, são instruídos sobre a história da população negra no Brasil e refletem sobre a discriminação racial reproduzida no cotidiano e no trabalho. Por outro lado, o programa promove o monitoramento da segregação racial no atendimento ao cidadão e a informação dos usuários sobre seus direitos civis e procedimentos para acesso ao serviço público (Jaccoud, 2009).

Em sua estrutura organizacional, o programa constitui espaços institucionais participativos que congregam tecnocratas, agentes de governo, entidades do movimento negro, ONGs e associações civis em Fóruns e Comitês populares com o objetivo de aprimorar a representação política no que se refere ao combate às desigualdades raciais. Contudo, tais espaços sofreram os mesmos problemas apresentados pelos demais mecanismos de participação democrática criados ao longo do período de redemocratização do país quanto clientelismo, patrimonialismo e cooptação do governo e partidos políticos.

Com seus parâmetros definidos a partir da Constituição de 1988, os Fóruns e Conselhos de gestão pública teriam por objetivo aperfeiçoar e legitimar a representação política através da inserção da sociedade civil no aparato estatal. Todavia, a assimetria de poder entre os membros destas instituições participativas (nas quais os agentes de governo têm uma capacidade maior de deliberação do que os representantes da sociedade organizada) faz com a função de legitimar a governança seja cumprida, porém frustra as expectativas de empoderamento das organizações sociais perante as elites políticas. 

A expectativa de efeitos positivos da participação da sociedade civil na máquina estatal, no que se refere ao aumento da legitimidade das ações governamentais, se defronta com o caráter “despolitizador” das instituições democráticas participativas. Tal propensão à despolitização causada pelo arcabouço do quadro funcional dos Fóruns e Conselhos estaria baseada na fragmentação das reivindicações (com a perda de centralidade das associações civis e dos movimentos sociais), na elitização da representação dentro das instituições participativas, e na burocratização da apresentação de demandas ao Estado (Machado Lima Junior, 2020).

 Assim, a versão do aprimoramento da democracia representativa pela ampliação da democracia participativa foi desgastada durante os anos 1990 e 2000 quando movimentos sociais que integravam os conselhos de gestão pública se depararam com uma assimetria de poder na estrutura representativa interna dos conselhos que privilegiava a capacidade deliberativa de agentes de Estado e de membros de grupos econômicos que manipulavam a governança por práticas clientelistas e patrimonialistas em detrimento das associações civis. A confrontação com mecanismos de corrupção na organização das instituições de participação democrática despertou nos movimentos sociais a visão de que a entrada da sociedade civil na burocracia estatal cumpria mais uma função de legitimar as ações governamentais do que propriamente empoderar as bases populares e incorreu na saída das organizações populares dos conselhos gestores (Machado Lima Junior, 2020: 220). 

 

Considerações Finais

A transversalidade na gestão do Programa de Combate ao Racismo Institucional que busca ampliar o tratamento da questão em diversas áreas sociais traz, por outro lado, problemas de gestão referentes a impasses e sobreposições de responsabilidade administrativa e transferência de verbas para pastas com menos capital político. Sob outro aspecto, as políticas de erradicação do Racismo Institucional enfrentam o crescimento do neofascismo no Brasil que resgata o mito da democracia racial que nega o preconceito e a discriminação de modo a reforçar a dominação étnica já existente, uma vez que, para reverter a hierarquia racial é preciso que a dominação seja reconhecida e que os grupo étnicos subjugados sejam empoderados.  

No que tange à erradicação do racismo institucional no futebol, para além dos mecanismos de regulação da burocracia, o acompanhamento psicológico oferecido pelo Conselho Federal de Psicologia - em um modelo de gestão pública híbrida entre Estado e associações civis - desempenha um papel fundamental para a reconstrução da subjetividade do atleta negro com uma perspectiva socialmente valorativa.  

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Pour citer cet article:

Humberto Machado Lima Junior, « Racismo Institucional e a Subjetivação do Atleta Negro no Futebol Brasileiro no Séc. XXI», RITA [en ligne], n°17 : septembre 2024, mis en ligne le 30 septembre 2024. Disponible sur:  http://www.revue-rita.com/dossier-thematique-n-17-articles/racismo-institucional-e-a-subjetivacao-do-atleta-negro-no-futebol-brasileiro-no-sec-xxi-humberto-machado-lima-junior.html

Raquettes antifascistes et maillots rouges. Le dilemme italien face à la finale de la Coupe Davis de 1976 à Santiago du Chili

Résumé

En décembre 1976, à Santiago du Chili, l'équipe italienne de tennis remporte une victoire historique et controversée en finale de la Coupe Davis. Ce match se déroule à l'Estadio Nacional, un lieu tristement célèbre pour avoir été le théâtre de répression sanglante contre les opposants politiques sous la dictature. La participation de l'équipe italienne suscite une vive controverse. Une grande partie de l'opinion publique en Italie, ainsi que les partis de gauche comme le PCI et le PSI, voient ce déplacement comme un acte de légitimation du régime chilien. Les critiques s'intensifient à travers des manifestations, des interventions syndicales, et des prises de position de personnalités publiques relayées dans la presse. Selon les détracteurs, un boycott aurait renforcé la position italienne contre le régime, surtout que la Péninsule se distinguait au sein de l'OTAN par sa ferme opposition à la Junte militaire, étant le seul pays à ne jamais reconnaître le gouvernement issu du coup d’État, et ce, jusqu'au retour à la démocratie. Cette finale devient ainsi un point focal des tensions, comme le montrent les articles de presse, les documents gouvernementaux et les archives des ministères des Affaires étrangères consultés jusqu’à ce jour.

Mots-clés : Diplomatie ; Tennis ; Dictature ; Relations italo-chiliennes ; Guerre froide.

 

Raquetas antifascistas y camisetas rojas. El dilema italiano ante la final de la Copa Davis de 1976 en Santiago de Chile

Resumen

En diciembre de 1976, en Santiago de Chile, el equipo italiano de tenis consiguió una histórica y controvertida victoria en la final de la Copa Davis. Este partido se celebró en el Estadio Nacional, un lugar tristemente célebre por haber sido escenario de la represión sangrienta contra los opositores políticos bajo la dictadura. La participación del equipo italiano generó una gran controversia. Gran parte de la opinión pública en Italia, así como los partidos de izquierda como el PCI y el PSI, vieron este viaje como un acto de legitimación del régimen chileno. Las críticas se intensificaron a través de manifestaciones, intervenciones sindicales y declaraciones de personalidades públicas difundidas en la prensa. Según los detractores, un boicot habría reforzado la postura italiana contra el régimen, especialmente porque Italia se distinguía dentro de la OTAN por su firme oposición a la Junta militar, siendo el único país que nunca reconoció al gobierno surgido del golpe de Estado, hasta el retorno a la democracia. Esta final se convirtió así en un punto focal de tensiones, como lo demuestran los artículos de prensa, los documentos gubernamentales y los archivos de los ministerios de Relaciones Exteriores consultados hasta el día de hoy. 

Palabras clave: Diplomacia; Tenis; Dictadura; Relaciones italo-chilenas; Guerra Fría).

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Elisa Santalena

Maîtresse de conférences HDR

Université Grenoble Alpes

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Raquettes antifascistes et maillots rouges. Le dilemme italien face à la finale de la Coupe Davis de 1976 à Santiago du Chili

Je suis toujours stupéfait d’entendre des gens déclarer que le sport favorise l’amitié entre les peuples.

George Orwell

Introduction

Depuis des millénaires, le sport représente l'un des critères par lesquels chaque pays démontre sa force, sa richesse et sa vigueur face à l'adversaire. Mais où s'arrête le sport et où commence la politique ?

Il est indéniable que le sport occupe une place centrale au XXème siècle, lors duquel il est devenu un lieu privilégié pour véhiculer des messages politiques. L’écrivain George Orwell affirmait même que « le sport, c'est la guerre sans les coups de feu »[1]. Le romancier britannique en savait quelque chose, lui qui fut d'ailleurs parmi les premiers à utiliser l'expression « Guerre froide »[2]. Pendant la guerre froide, le sport est devenu un terrain de confrontation symbolique entre les blocs de l’Est et l’Ouest, afin de montrer la supériorité idéologique et politique de chaque camp.

Dans ce contexte, la participation à un événement international devint de plus en plus un gage de légitimité et de reconnaissance internationale, et l'exclusion d’une compétition, un signe de faiblesse, voire de culpabilité. C'est à ce moment que l’utilisation du boycott s’intensifia, devenant l’instrument privilégié pour exprimer une position politique tranchée. La compétition athlétique fut souvent reléguée au second plan, et l’organisation des négociations ou la transmission des informations entre les délégations des États prit parfois le dessus. Pour ne citer qu’un exemple emblématique parmi tant d’autres, il est intéressant de mentionner les Jeux olympiques de Moscou en 1980, où les États de l'OTAN retirèrent leurs délégations en raison de l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS. Quatre ans plus tard, à Los Angeles, ce fut aux membres du Pacte de Varsovie de ne pas se présenter, en représailles contre le sentiment antisoviétique occidental (Vonnard, 2018).

Parmi les effets les plus recherchés par le boycott, il y a donc la volonté de pousser l'ennemi à assouplir sa position politique dans le but d’entamer un dialogue ou, faute de mieux, de couper toute communication par une démonstration de force qui explicite l'hostilité à son égard, faisant preuve de supériorité morale.

Mais pourquoi la diplomatie devrait-elle s'appuyer sur des événements sportifs pour parvenir à ses fins ?

L'une des raisons réside dans la grande visibilité des compétitions, souvent mise en relation avec le rôle joué par les sportifs eux-mêmes, qui servent d’amplificateurs d’un affrontement lorsqu’ils véhiculent des messages politiques. Cependant, il ne faut pas oublier l'imprévisibilité des manifestations sportives, surtout celles de grande envergure, qui échappent souvent au contrôle des fédérations et des pays hôtes. Cette imprévisibilité réside dans la liberté d'action des athlètes eux-mêmes, dont la volonté peut devenir une variable décisive dans la diffusion de messages parfois contraires à ceux de l'État qu'ils représentent en compétition. Évoquons à ce propos les Jeux olympiques de Mexico en 1968 : lors de la cérémonie de remise des prix de l'épreuve masculine du 200 mètres, les athlètes étasuniens Tommie Smith et John Carlos baissent la tête en signe de protestation contre leur propre pays et lèvent leurs poings gantés de noir, symbole des Black Panthers, le parti d'action pour les droits des afro-américains. Ce geste, qui eut des répercussions considérables tant au niveau national qu’international, n'avait été ni orchestré par le mouvement des droits civiques afro-américains ni prévu par la délégation américaine. Comme nous le savons, les athlètes subirent de lourdes conséquences pour leur acte de militantisme, étant déchus de leurs médailles.

Un dernier facteur que nous voulons évoquer avant de rentrer dans le mérite de cette recherche, et qui contribue à son tour à faire du sport un outil diplomatique, est sa nature hautement combative.

Délimité par des règles précises, l’objectif principal du sport, n’en déplaise à Pierre de Coubertin, est celui de gagner une compétition. Il s’agit alors d’une véritable transposition d’un rituel guerrier, une bataille où la seule chose qui compte est de réussir à disqualifier, sportivement et politiquement, l'adversaire. Bien que l'on tente de le présenter comme neutre, le sport demeure encore de nos jours un outil puissant pour afficher la supériorité d'une idéologie politique sur une autre, ou pour dénoncer les violations des droits humains perpétrées par un gouvernement. Les récents débats autour de l'exclusion des athlètes russes des compétitions internationales en sont une preuve éclatante.

Analysons à présent les événements qui jettent un éclairage sur notre sujet et enrichissent notre compréhension des relations entre l'Italie et le Chili durant la période de la dictature chilienne. Dans ce puzzle complexe et multiforme, comme nous allons le voir, nous souhaitons ajouter une nouvelle pièce en retraçant l'histoire d'une finale de Coupe Davis qui a marqué durablement l'histoire sportive et diplomatique italo-latino-américaine. Ce match s'est déroulé à Santiago du Chili le 19 décembre 1976, trois ans après le coup d'État civil-militaire. Les protagonistes principaux de cet événement ne sont pas, comme on pourrait le penser, uniquement les joueurs. La Junte militaire, la Démocratie chrétienne chilienne et italienne, tout le spectre politique de la gauche italienne, sans oublier Moscou et le Parti communiste chilien (PCCH) clandestin, ont été les acteurs les plus représentatifs de cette histoire.

Cette finale, contre toute attente, devint un indicateur de la sensibilité sociale et politique de la Péninsule, mettant en lumière les tensions liées aux droits de l'homme et aux relations diplomatiques avec le Chili, ces dernières ayant été suspendues depuis le 11 septembre 1973. Dans les heures qui suivirent le coup d'État, en effet, le gouvernement italien, dirigé depuis l'après-guerre par la Démocratie chrétienne (DC) et soutenu à l'époque par le Parti socialiste (PSI), dut avancer avec une grande prudence sur plusieurs fronts[3]. Il ne s'agissait pas seulement de gérer les tensions avec ses alliés, mais aussi, et peut-être plus encore, de répondre aux pressions exercées par le Parti communiste italien (PCI) et la gauche extra-parlementaire – notamment Lotta Continua – qui exhortaient le Premier ministre Mariano Rumor et le ministre des Affaires étrangères Aldo Moro à refuser de reconnaître le gouvernement issu du putsch. Il était également crucial de maintenir des relations avec le Partido Demócrata Cristiano (PDC) chilien, un parti que la Démocratie chrétienne italienne avait toujours soutenu, aussi bien moralement que financièrement, malgré les prises de position embarrassantes qu'il avait adoptées durant son opposition farouche au gouvernement de l'Unidad Popular (Giorgi Luigi, 2018 : 28-31)[4].

Avant d'entrer dans le vif de cette situation inédite, et plus précisément de cette finale, il convient de mentionner un dernier événement qui ferma la porte à toute reconnaissance du nouveau régime. L'ambassadeur Norberto Behmann Dell'Elmo, socialiste convaincu et fervent soutien d'Allende, avait quitté l'ambassade d’Italie à Santiago le 7 septembre 1973 pour des raisons familiales urgentes. Son retour n’eut jamais lieu, car un tel geste aurait pu être interprété par la Junte comme une reconnaissance politique et diplomatique, une situation que Rome voulait à tout prix éviter. Dès lors, seules des diplomates de rang inférieur étaient restés sur place, chargés de la gestion des affaires courantes, puis de l’arrivée massive des chiliens et chiliennes fuyant la répression et se cachant dans les différentes ambassades (De Masi, 2013).

En décembre 1976, les rapports bilatéraux étaient donc paralysés depuis trois ans. Un déplacement de l'équipe de tennis à Santiago paraissait difficilement envisageable.

 

I. Sport ou diplomatie ? Le spectre de la dictature chilienne s’avance sur la finale

En 1976, la Coupe Davis, la plus prestigieuse compétition de tennis par équipe masculine, a représenté un tournant décisif pour l'équipe italienne, qui a enchaîné une série de victoires historiques, gravant son parcours dans les annales du sport. Cependant, dès les premiers matchs, le spectre d’une finale dans l’Estadio Nacional de Santiago du Chili se dessine, le plus grand centre de détention clandestine et de torture mis en place par la dictature dès les premières heures qui suivent le coup d’État[5].

Dès le 9 août 1976, après la victoire à Wimbledon qui laisse entrevoir une participation à la finale, Il Corriere della Sera, alerte ses lecteurs sur un éventuel problème qui, à première vue, a peu à voir avec le sport. D'après le journal, le secrétaire de la fédération italienne de tennis, Gianfranco Cameli, ne doit pas seulement s'inquiéter du résultat du match opposant son équipe à l'Australie mais aussi, voire surtout, en cas de qualification, du fait que l'Italie n’a pas de représentation diplomatique au Chili. Selon le journaliste Daniele Parolini, le tennis italien doit donc se préparer « à affronter une histoire politique peu réjouissante » en soulignant que, dans ce genre de situation, « le sport est généralement condamné »[6]. Cette déclaration pourrait sembler incongrue si l'on ignore les tensions diplomatiques et politiques sous-jacentes depuis septembre 1973. Depuis trois ans, la Junte chilienne se heurte à l'absence de reconnaissance officielle de la part de l'Italie, une situation qui se révèle être une épine dans le pied sans solution apparente. Cependant, selon l'article, qui ne fournit pas davantage de détails, la rigidité de la position italienne commencerait à montrer des signes de faiblesse.

Une éventuelle finale Italie-Chili pourrait-elle permettre de sortir de l'impasse et de rétablir les relations bilatérales entre les deux pays ? Il est encore trop tôt pour le savoir, mais il est certain que la presse italienne, ainsi que, comme nous le verrons, tous les partis politiques, s'interrogent sur cette situation diplomatique – et désormais sportive - sans précédent. Si, comme le suggère le journaliste du Corriere, le sport est la première victime dans ce genre de situation, une possible finale ne pourrait pas-t-elle, au contraire, se transformer en une opportunité à exploiter pour changer cette situation ? Après tout, si diplomatie est bloquée, les relations commerciales avec le Chili, notamment l’importation du cuivre, n’ont jamais été totalement interrompues[7].

Le second spectre qui plane sur cette finale est la possible défection de l'Union soviétique, qui, en cas de victoire contre la Hongrie, pourrait refuser d'affronter le Chili.

Les Soviétiques avaient déjà boycotté l'équipe andine lors des éliminatoires de la Coupe du monde de football en 1974. À cette occasion, il était prévu que les deux formations jouent un match de barrage le 26 septembre 1973, peu de jours après le golpe qui avait, par ailleurs, provoqué la rupture des relations diplomatiques avec le Kremlin. Le nouveau régime, qui avait décrété l'interdiction pour tous les Chiliens de quitter le territoire, autorisa l’équipe à se rendre à Moscou avec l'intention de donner une image de normalité, mais à une condition ferme : aucun commentaire politique (Vilches, 2017 : 133). Le match aller, qui se termina sur le score de 0-0, se joua dans un stade Lénine vide, les autorités soviétiques ayant interdit aux journalistes et aux caméras d'entrer dans l’enceinte. Quant au retour, la fédération chilienne avait initialement envisagé la possibilité de déplacer le match à Viña del Mar, pour vaincre la résistance de l'URSS à jouer dans un stade taché du sang des Chiliens torturés et tués par la dictature[8]. Cependant par décision d’Augusto Pinochet, le match se déroula à Santiago[9]. L’équipe soviétique ou, plutôt, sa fédération, décida de ne pas faire le déplacement, invoquant des raisons éthiques. Le match, qui prendra le nom de partido fanstasma, eut tout de même lieu le 21 novembre : l’équipe chilienne joua contre un adversaire inexistant en marquant un but dans une cage vide, en se qualifiant pour la Coupe du monde en Allemagne de 1974. Par cette même occasion, le Chili décrocha le triste record du match de football le plus court de l'histoire de la FIFA (Pickett Lazo, 2003)[10].

Pour revenir à la Coupe Davis, les règles concernant le boycott, pour ceux qui renonçaient à jouer, y compris pour des raisons humanitaires, étaient sans appel. Si l'URSS décidait de ne pas disputer le match à Santiago, elle risquait d'être suspendue comme l'avait déjà été le Mexique, qui préalablement avait refusé de rencontrer l'Afrique du Sud pour manifester son opposition à l'Apartheid. En vue des Jeux olympiques que Moscou allait accueillir en 1980, Brežnev semblait, dans un premier temps, favorable à un match sur terrain neutre contre l’équipe andine, annonçant que son pays accueillerait tout le monde, le moment venu. Mais le 1er septembre, l'URSS annonça son retrait du match contre le Chili : la tant attendue détente sportive n’allait pas avoir lieu. Ce ne fut que le début des péripéties : les Sud-Américains, désormais finalistes par défaut, allaient devoir affronter, et qui plus est à domicile, l’équipe gagnante entre l'Italie et l'Australie. La menace d’une possible victoire du saladier d’argent par forfait, comme en 1974 quand l’Inde s’était refusée de jouer contre l'Afrique du Sud, refaisait surface, avec le risque de dénaturer de façon permanente le tournois[11].

L’Italie, pouvait-elle adopter la même position que l’URSS qui, entre temps, avait été évincée par le comité de direction de la Coupe Davis de l’année suivante ?[12] Cette mesure constituait une menace d'exclusion à peine voilée à l'encontre de l'Italie en cas de refus de se rendre à Santiago pour disputer la finale.

Quant à la communauté italienne vivant au Chili, elle réclamait une normalisation des rapports entre les deux pays depuis la première heure, et ses représentants ne cessaient d’envoyer des réclamations aux institutions italiennes. Lettres dans lesquelles, justement, on accusait le gouvernement italien – alors qu’il était dirigé par la DC – de sympathies marxistes[13].

En décembre 1973, une quarantaine d’italiens menés par Luigi Di Castri, ancien fasciste et président du « Comitato Tricolore », étaient passé à l’acte après les menaces, et avaient occupé les bureaux de l’ambassade à Santiago en prétendant assumer le contrôle des activités diplomatiques. Piero De Masi, chargé d’affaires qui assurait la gestion des asilados cachés dans la Résidence dans l’attente des sauf-conduits qui les amène en Italie, fut accueilli par des crachats, au cri de « servo di Mosca, tornatene in Russia ! »[14].

Trois ans après ces événements, était-il vraiment judicieux de risquer de nouveaux incidents de ce genre, alors que le monde du sport et les gouvernements internationaux observaient de près la décision de l'Italie de participer ou non ?

Bien que l’équipe péninsulaire ne soit pas encore qualifiée pour la finale, les relations italo-chiliennes occupaient désormais toutes les pages sportives des grands journaux italiens, d’autant que la Péninsule était liée au sous-continent par des liens d'amitié traditionnels découlant des origines culturelles communes, de l'absence d'héritage colonial, de la présence de nombreuses communautés d'origine italienne bien intégrées, des investissements importants réalisés au fil du temps par les grandes entreprises italiennes et des initiatives de coopération culturelle, universitaire et technologique (Serafín, 2010).

Le « nouveau monde » était apparu à l’horizon de la politique étrangère et culturelle nationale avec la visite officielle du ministre des Affaires étrangères Giuseppe Pella à Montevideo, en novembre 1957[15]. Depuis ce moment, les rapports n’avaient cessé de croître et de se structurer, touchant également le Chili, notamment lors de la naissance du Partido Democrata Cristiano. Ce dernier était rapidement devenu un allié de taille pour la DC en Amérique latine (Nocera, 2015). Toutefois ce rapport privilégié avait risqué de voler en éclats le 13 septembre 1973, quand Patricio Aylwin, président du PDC et futur premier Président chilien après la fin de la dictature, avait publié un communiqué. Dans celui-ci, il attribuait les événements qui secouaient le Chili aux désastres économiques, au chaos institutionnel, à la violence armée et à la crise morale engendrés par le gouvernement d’Allende[16]. Ce document assurait le nouveau gouvernement de la pleine coopération du parti, dans l’indispensable effort de reconstruction nationale, tout en ambitionnant que les militaires ne tardent pas à laisser la place à un gouvernement reflétant la volonté du peuple par le biais de élections libres. Amintore Fanfani avait immédiatement fait savoir – haut et fort – que la réaction du parti-frère « n’était pas appropriée à la gravité des événements »[17]. Quant aux socialistes et aux communistes italiens, ils définissaient le communiqué du PDC de « honteux »[18].

Cette non-reconnaissance, véritable la toile de fond de la vie à l’ambassade d’Italie à Santiago, qui sera privée de son ambassadeur jusqu’au retour de la démocratie, en 1989, avait fini par provoquer une réaction explosive au fil du temps, en raison des actions humanitaires menées par les diplomates italiens en faveur des asilados cachés dans la légation. La légitimité de la mission italienne avait été à plusieurs reprises remise en question par le gouvernement militaire. La politique intérieure de la Péninsule était également discutée en profondeur dans la presse andine, notamment concernant les grèves, les manifestations et la violence politique montante[19], dans le but de montrer à la population chilienne que l’Italie ne reconnaissait toujours pas la Junte, ce n'était pas à cause d'un désaccord avec les actions de cette dernière, mais à cause du marxisme qui dominait la sphère politique péninsulaire.

Cette situation hors du commun, bien loin d’être résolue en 1976, ne pouvait qu’envenimer le tournoi international en cas de finale entre les deux pays.

 

II. Une défaite sportive équivaut-elle à une victoire ?

En Italie, la nouvelle du forfait soviétique entraîna la demande de disputer le match sur terrain neutre, alors qu’Adriano Panatta, le joueur le plus représentatif de l’équipe ainsi que ses coéquipiers, n’avaient toujours pas disputé le match contre l’Australie. L’éventualité de ne pas jouer, et donc d’un boycott, semblait toutefois exclue, tant par la direction de la Fédération italienne (Federtennis) que par Nicola Pietrangeli, capitaine non joueur. Adopter une attitude similaire à celle de l'URSS aurait nui au tennis italien en le privant d'une victoire prestigieuse, la première de son histoire. En revanche, les opposants à la participation estimaient qu'un boycott aurait renforcé la position de l'Italie en réaffirmant son rejet de la Junte militaire.

Dans les colonnes du quotidien Repubblica, Pietrangeli balaya la controverse en qualifiant de « bouffons » ceux qui mêlaient politique et sport, ajoutant que l'Italie devait laver son linge sale chez elle, notamment au sein du ministère des Affaires étrangères. Il maintint cette position jusqu'à la fin du tournoi, ce qui lui valut des accusations de filo-fascisme et même des menaces de mort[20]. Ce « linge sale », à savoir la non-reconnaissance du gouvernement chilien, ne cessait de refaire surface dans la presse et, surtout, dans les coulisses du Parlement. Le gouvernement se trouvait ainsi pris en otage par les partis communiste et socialiste, qui prônaient le boycott et continuaient à faire pression pour empêcher le déplacement de l'équipe à Santiago. Cette pression était particulièrement forte du côté du PCI, qui avait obtenu 34,4 % des voix lors des élections législatives de juin 1976, un score en hausse de 5 points par rapport aux élections précédentes et le plus élevé de son histoire. Un Italien sur trois votait donc pour le parti communiste, et pour la première fois dans l'histoire de la République, un membre du PCI, Pietro Ingrao, avait été élu à la présidence de la Chambre des députés. Le gouvernement formé à l'été 1976, dirigé par Giulio Andreotti, un démocrate-chrétien de centre-droite, était ainsi le fruit de ce que l'on appelait la non-sfiducia. Cette « non-défiance » émanait des socialistes, des communistes, des sociaux-démocrates, des républicains et des libéraux, qui s'étaient abstenus de voter pour le nouveau gouvernement, sans pour autant vouloir provoquer une crise institutionnelle en cette période politiquement et économiquement délicate[21]. Cette démarche s'expliquait par le fait que le PCI n'était pas seulement le principal parti d'opposition, mais représentait également une menace croissante pour le pouvoir démocrate-chrétien et pour l'équilibre du pacte atlantique. En pleine guerre froide il était inconcevable que l'Italie soit dirigée par des communistes, dont l'influence ne cessait pourtant pas de croître. Il était primordial que l'Italie ne devienne pas un deuxième Chili, comme l'avaient compris dès le début Enrico Berlinguer et Aldo Moro. Ces deux figures ont incarné le pivot autour duquel se construirait cette alliance « contre-nature » entre la DC et le PCI, connu sous le nom de « compromis historique »[22].

On comprend alors pourquoi le gouvernement italien se montrait extrêmement prudant par rapport à la participation ou non de l'Italie à la finale de Santiago, tiraillé par des considérations politiques internes, humanitaires, ainsi que par des enjeux de politique étrangère.

Quant à la Fédération chilienne, ou plutôt la Junte, elle était pleinement consciente que les règles du jeu lui étaient favorables et qu’ils allait s’en servir pour faire pression sur l’Italie en vue d’accélérer une possible reconnaissance. Elle déclara donc, dès le départ, son intention d'accueillir la finale. De plus, c’était la première fois qu’une finale de Coupe Davis se jouait en Amérique latine, une opportunité que le régime ne pouvait laisser passer, avec les projecteurs du tennis international, et pas seulement, braqués sur lui.

Pour revenir aux questions purement sportives, le Chili disposait d'une équipe solide, avec des joueurs tels que Jaime Fillol, Patricio Cornejo, Jaime Pinto et Hans Gildemeister. Sur le papier, elle avait donc le potentiel d'aller loin, d'autant plus qu'elle avait bénéficié d'un match en moins en raison du boycott de l'URSS. De plus, la finale, prévue pour décembre en plein été austral, risquait de désavantager les adversaires en raison des fortes chaleurs. Quant à l’équipe italienne, elle se trouvait au meilleur de sa forme. Adriano Panatta, Corrado Barazzutti, Tonino Zugarelli et Paolo Bertolucci formaient une team redoutable ayant déjà battu la Pologne, la Yougoslavie, la Suède et l'Angleterre. Pour Panatta en particulier, qui avait avoué à la presse de voter socialiste, il s’agissait une année extraordinaire : il avait gagné les Internationaux de Rome ainsi que Roland Garros. Il était donc impensable que l'équipe renonce volontairement à la conquête du Saladier d'argent. Seul le gouvernement pouvait empêcher ce voyage, qui pourrait la consacrer au sommet du tennis mondial.

La demi-finale contre l'Australie se jouait à Rome du 24 au 27 septembre et, comme prévu, l'Italie l'emporta 3-2, entraînant des polémiques de plus en plus vives. Le monde sportif et politique se partageait désormais entre ceux qui éprouvaient un « malaise moral »[23] à l’idée du déplacement à Santiago, et ceux qui ne voulaient pas renoncer à la possibilité d'arracher la finale au Chili, tant sportivement que politiquement.

Sous l'impulsion des mouvements extra-parlementaires et des forces d'opposition, le mouvement « anti’Italie » prit de l'ampleur et se propagea à travers toute l'Italie. Les dirigeants des partis, le CONI (Comité national olympique italien), les fédérations sportives nationales, ainsi que les forces sociales, syndicales, la télévision et la presse ne pouvaient plus se permettre de rester dans l'attente sans prendre position.

La CGIL, l'UIL, la Fédération unie de la métallurgie, ainsi que des journaux comme Tuttosport, Il Messaggero, L'Unità et L'Avanti rejoignirent le mouvement d’opposition au déplacement. Des personnalités telles que Giuseppe Fiori, journaliste à TG2, l'acteur Ugo Tognazzi, ainsi que les réalisateurs Gillo Pontecorvo – ancien tennisman de haut niveau – et le futur prix Nobel Dario Fo, apportèrent également leur soutien à la cause. Quant à La Gazzetta dello Sport et La Repubblica, elles demeuraient indécises. Sous la direction de son fondateur Eugenio Scalfari, cette dernière s'interrogeait sur l'opportunité de poser la question des droits de l'homme non seulement à Santiago du Chili, mais également en République démocratique allemande (RDA), allant même jusqu'à proposer une position d'équidistance : « Ni au Chili, ni à Berlin-Est ». Continuer à affirmer que le sport et la politique devaient être nettement séparés, comme le faisait l’équipe italienne et sa fédération, devenait désormais peu défendable.

Ce n'était d'ailleurs pas la première fois que le monde sportif italien se trouvait confronté à la question d'un boycott. Pendant la saison 1975/76 l'équipe de football de la Lazio avait déjà refusé de jouer contre le FC Barcelone lors de la coupe UEFA, à la suite de l'exécution – par le régime franquiste - de cinq jeunes opposants[24]. La même année, au niveau international, outre le refus de l’URSS de se rendre au Chili, vingt-sept pays africains ainsi que l’Iraq avaient quitté les Jeux olympiques de Montréal pour protester contre la Nouvelle-Zélande, coupable d'entretenir des relations politiques et commerciales avec l'Afrique du Sud.

Les organes de propagande sportive liés aux partis communiste et socialiste, tel que l'ARCI (Association Récréative et Culturelle Italienne) et l'AICS (Association Italienne de la Culture du Sport), plaidaient en faveur de l'annulation du voyage. À leurs yeux, une éventuelle défaite sur le terrain se traduirait forcément par une victoire symbolique pour la dictature, renforçant ainsi sa légitimité aux yeux de la communauté internationale. Le quotidien socialiste L'Avanti dénonçait la proposition de disputer le match sur terrain neutre, la qualifiant d'hypocrite. Il appelait à une intervention directe du gouvernement pour interdire la rencontre, dans l'éventualité où le CONI (Comité National Olympique Italien) et la Federtennis ne prendraient pas une décision en ce sens. De son côté, le journal communiste L'Unità considérait le refus de se rendre au Chili comme un acte d’honneur que les sportifs et la fédération auraient dû être fiers d’adopter, en affirmant une position de principe contre la dictature. Selon le spectre de la gauche italienne, une délégation sportive ne pouvait pas se contenter d'une approche strictement compétitive, en ignorant les impératifs humains, moraux, sociaux et politiques. Représenter une nation démocratique impliquait de condamner fermement la dictature chilienne, et ne pas participer à la compétition était perçu comme un devoir éthique.

Pour toutes ces raisons, la question de la finale de la Coupe Davis était devenue une véritable affaire l'État.

Le Premier ministre, Giulio Andreotti, devait désormais s'en occuper, du moins selon le PCI et le PSI. De plus, si le gouvernement avait interdit le déplacement à Santiago, la Federtennis aurait ainsi évité la lourde sanction d'exclusion, qui menaçait les équipes renonçant à disputer un match[25]. Le secrétaire national de l’ « Association Italia Chile - Salvador Allende »[26], en soulignant que l'Italie persistait dans son refus de normaliser ses relations diplomatiques avec le Chili. Il insista sur la nécessité de dénoncer le fait que, trois ans après le coup d'État, le Chili continuait de plonger dans la misère, la terreur et la répression. Delogu exprima également ses craintes concernant le traitement que l’équipe italienne pourrait recevoir, en particulier dans un stade marqué par la violence, et il redoutait que des événements regrettables se surviennent[27].

Il est vrai que l'ambassade d'Italie, ainsi que son chargé d'affaires Tomaso de Vergottini, avaient déjà été au cœur d'une véritable campagne de dénigrement en 1974, en raison précisément de la ’on-reconnaissance de la junte militaire et, pire encore, pour avoir accordé l'asile à des membres du MIR (Movimiento de Izquierda Revolucionaria), dont Humberto Sotomayor[28].

Mais ce risque était-il encore réel en 1976, alors que toutes les ambassades à Santiago avaient cessé d'accueillir des réfugiés, la Junte refusant désormais de délivrer des sauf-conduits ? Ou bien était-ce le moment opportun pour normaliser les relations diplomatiques, en saisissant l'occasion offerte par la finale ? Cette interrogation se posait à un moment charnière, où la décision de participer ou de boycotter la compétition pouvait symboliser bien plus qu’un simple enjeu sportif.

Même le groupe musical Inti-Illimani, en exil en Italie depuis le coup d'État et qui depuis était devenu le porte-drapeau de la résistance chilienne dans la Péninsule, décida à son tour de rompre le silence en exprimant son opposition à la participation italienne à la finale du tournoi, au nom de tous les asilados présents sur le sol italien[29].

Mais alors que la polémique faisait rage, l'ancien sénateur démocrate-chrétien chilien Juan Hamilton Depassier, qui se trouvait en Europe, annonça que la Junte était sur le point de mettre hors la loi son parti, le PDC. De plus, Jaime Castillo Velasco, ancien président du parti et ancien ministre de la Justice se trouvait à Rome où il avait été interrogé par la  rédaction du Corriere della Sera sur la question de la Coupe Davis. Il avait répondu : « Si des questions politiques entraient en jeu dans le sport international, il n'y aurait plus de compétitions. Je pense que les sportifs doivent pouvoir se rendre en tout lieux et témoigner des réalités qu'ils voient »[30]. Le PDC se positionnait donc en faveur de la participation italienne, estimant que celle-ci pourrait servir de plateforme pour dénoncer le régime chilien. Giulio Andreotti ne pouvait pas mieux demander pour se tirer de l’embarras.

De façon plutôt surprenante, si on évoquait toujours l'absence de réactions diplomatiques officielles avec Santiago, on ne mentionnait jamais le fait qu'il existait une ambassade chilienne à Rome, d'où l'on observait attentivement la diatribe en cours, en rapportant fidèlement les moindres détails au ministre des Affaires étrangères andin, Patricio Carvajal Prado, l'un des principaux instigateurs du coup d'État. Le 7 octobre 1976, le chargé d'affaires Carlos Mardones[31] rapporta qu’au cours d’une discussion informelle avec des fonctionnaires de la Farnesina, l’équivalent du Quai d'Orsay, on lui avait confirmé qu'il n'y aurait aucune opposition officielle de la part du gouvernement italien concernant le déplacement au Chili pour disputer la finale de la Coupe Davis[32].

Le 20 novembre, une quarantaine de militants de la gauche extraparlementaire appartenant au parti de l'Unité Prolétarienne pour le Communisme (PdUP) et de l'Avant-garde Ouvrière (AO) occupèrent symboliquement le siège de la Federtennis pour exhorter le gouvernement à ne pas demeurer sournoisement silencieux face à la mobilisation populaire de toutes les forces démocratiques décidées à empêcher le déplacement de l'équipe italienne à Santiago[33].

Malgré les protestations et la rupture des relations diplomatiques, l'Italie maintenait ses intérêts économiques en continuant à entretenir des relations fructueuses avec le Chili, notamment en poursuivant l'importation de cuivre. Et ce, envers et contre tout, car la presse nationale rapportait constamment les sabotages des navires chiliens par les dockers des principaux ports italiens, des informations systématiquement corroborées par les documents que Mardones transmettait à sa hiérarchie à Santiago[34]. L'Italie n'était certainement pas la seule à adopter ce comportement de Janus Bifrons. Cependant, ce qui la distinguait des autres pays occidentaux, et ce n'est pas un détail dans ce cas spécifique, c'était son obstination à ne pas reconnaître le gouvernement chilien ni à normaliser les relations diplomatiques, créant ainsi une situation encore plus embarrassante.

Est-il cohérent de refuser d'envoyer l'équipe italienne jouer à Santiago, tout en finançant la dictature par l'achat systématique de cuivre ?

 

III. Un dénouement heureux ?

À quatre semaines de la finale, prévue du 17 au 19 décembre, la situation était chaotique. Le 21 novembre, la chaîne publique TG2 annonçait une décision sans précédent : elle renonçait à acheter les droits de retransmission en direct de la finale. Son directeur, Andrea Barbato, expliquait que les images qui arriveraient du Chili seraient celles sélectionnées par un réalisateur choisi par le régime. Des drapeaux brandis à tout va et des spectateurs enthousiastes véhiculeraient une fausse image du pays andin, à savoir celle d'un pays joyeux et festif, ce qu’il fallait à tout prix éviter. Mais les rédacteurs en chef des principaux journaux sportifs avaient néanmoins décidé d'envoyer leurs journalistes à Santiago[35]. Quant aux principaux quotidiens, ils étaient loin de prendre une décision univoque. Arrigo Levi, par exemple, directeur de La Stampa et premier journaliste italien à avoir interviewé Salvador Allende après sa victoire aux élections présidentielles[36], prit résolument position contre l'envoi de joueurs au Chili. Indro Montanelli, directeur de Il Giornale, lié à la droite, ne cessait d’inciter au départ.

L'intervention directe du secrétaire communiste Enrico Berlinguer, en coordination avec son homologue socialiste Bettino Craxi, qui avait déposé une interpellation parlementaire pour empêcher le départ de l'équipe nationale de tennis, ainsi que les protestations populaires et la pression des syndicats, représentaient, une fois de plus, des signaux clairs que le gouvernement devait prendre position.

Le ministre des Affaires étrangères, M. Forlani, déclara que les compétitions sportives devaient se dérouler sans être influencées par des considérations politiques. Son opinion sur le régime chilien était celle d'un « démocrate » soutenant les forces engagées dans la reconquête de la liberté dans ce pays andin. Cependant, il estimait que le retrait des joueurs de tennis du Chili n'aurait pas renforcé la résistance au régime. Tout en comprenant l'indignation suscitée par la participation italienne, il croyait que cette approche aurait eu des conséquences plus nuisibles que bénéfiques, surtout compte tenu du grand nombre de régimes anti-démocratiques dans le monde. Pour conclure son intervention lors de l’interrogation parlementaire, le ministre affirmait que le maintien des compétitions sportives était, en fin de compte, bénéfique, pouvant servir « la cause de la démocratie plutôt que celle de la répression et de la tyrannie »[37].

Toutefois, au sein même de la Farnesina, et de la DC, un courant dissident continuer à s’opposer au départ. Carlo Fracanzani, secrétaire de la commission des Affaires étrangères de la Chambre, s'était opposé à la position de son propre ministre et camarade de parti. Il avait demandé au Premier ministre de se prononcer contre le départ de l'équipe italienne pour le Chili, soulignant ainsi les divisions internes au sein du gouvernement sur cette question épineuse. Selon lui, une telle prise de position était indispensable par solidarité avec les victimes de la dictature chilienne et aurait été cohérente avec l'attitude que le pays avait adoptée jusqu'à présent à l'égard du régime de Pinochet. Le gouvernement devait intervenir conformément au caractère antifasciste de la Constitution, censé inspirer également la politique étrangère du pays[38]. Le même Fracanzani s’était par ailleurs battu, dès le 12 septembre 1973, pour que le gouvernement maintienne un refus diplomatique-politique des intransigeants face à toute approbation du coup d'État[39]. Pourquoi une petite fraction de l'Italie sportive irait-elle au cœur d'une dictature liberticide, tortionnaire et sanguinaire, alors que l'Italie politique avait maintenu une position ferme dès le début ? Cette question résumait l'essence du dilemme auquel le pays était confronté. Tandis que le gouvernement avait refusé de normaliser ses relations diplomatiques avec le Chili de Pinochet, certains politiciens et les milieux sportifs, au nom de l'autonomie du sport par rapport à la politique, envisageaient d'envoyer l'équipe à Santiago. La dissonance entre ces deux réalités, reflétait les tensions internes d'une nation tiraillée entre ses principes moraux et la tentation d'une victoire historique.

Fin novembre, la seule solution acceptable semblait être, une fois encore, de jouer sur terrain neutre. Cependant, la Junte chilienne ne l’entendait pas ainsi. Les réactions à cette proposition furent immédiates : les autorités chiliennes s'y opposèrent fermement, considérant que, si l'équipe italienne déclarait forfait, le trophée leur reviendrait automatiquement. Pour elles, il n'était pas question de céder sur ce point, d'autant plus que cela aurait représenté une victoire symbolique pour le régime de Pinochet. Quant aux protagonistes du tournoi, selon Nicola Pietrangeli c’était inacceptable que l’équipe continue à être exposée à un risque d'impopularité et à une agression morale qu'elle ne méritait pas[40]. Plus la finale approchait, plus le nœud devenait inextricable.

Il est néanmoins crucial de souligner qu'aucun des partisans du voyage à Santiago, à l'exception des néofascistes du MSI (Mouvement Social Italien), ne se montrait solidaire de la Junte, ni ne lui reconnaissait la moindre légitimité, et encore moins ne troquaient la mémoire d'Allende contre un trophée. Cependant, le gouvernement continuait à tergiverser, ce qui poussa le célèbre journaliste Enzo Biagi à s'exprimer de manière cinglante : « si les Italiens, pour mépriser une dictature, doivent recourir à Panatta, c'est qu'ils ont gâché trente ans »[41]. Par cette déclaration, il faisait référence à l'héritage de la résistance italienne et aux trois décennies écoulées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, soulignant ainsi l'ironie et l'inefficacité d'une telle situation, où des athlètes étaient érigés en symboles politiques face à une dictature.

Lassée des polémiques stériles et impatiente de remporter son premier Saladier d'argent, l'équipe italienne, soutenue par la Federtennis, prit la décision de se rendre à Santiago début décembre, escortée par une protection militaire et sans attendre une prise de position officielle de la part du gouvernement. Bien que le capitaine Nicola Pietrangeli continuât de défendre l'idée que le sport devait rester indépendant de la politique, le simple fait de prendre l'avion pour la capitale chilienne, en pleine tempête médiatique et diplomatique, constituait en soi une prise de position évidente. Le 7 décembre, sans trop de surprises, le gouvernement accepta que les joueurs italiens participent à la finale, en soulignant que la politique devait à tout prix se tenir à l'écart du sport. Un communiqué de presse réitérait la ferme condamnation du régime militaire, ainsi que sa sympathie pour le peuple chilien mais également pour la communauté italienne résidant au Chili, en difficulté suite à l’absence de rapports bilatéraux[42].  

La réaction la plus véhémente arriva du secrétaire du PSI, Bettino Craxi, qui s'étonnait que le gouvernement veuille « soutenir les Italiens de Santiago »[43], alors que les représentants de la communauté, dans les jours suivant le coup d'État, avaient fait paraître une annonce payante dans les journaux locaux pour proclamer leur joie face à la « libération » réalisée par Pinochet, en l’assurant de leur entière solidarité.

Dans une dépêche de l'ambassade du Chili à Rome datée du 9 décembre, il était indiqué, non sans une certaine satisfaction, que le gouvernement italien maintenait la position qu'il avait adoptée depuis le début. Cependant, comme le soulignait Carlos Mardones, on aurait pu penser que la campagne qu'il qualifiait d’« anti-chilienne » menée par la gauche « marxiste » se serait essoufflée plus rapidement[44].

À ce stade, les décisions étant prises, il ne restait plus qu’à jouer — et surtout remporter — la finale. Du moins en théorie, car un nouveau dilemme surgissait dans la pratique. Les joueurs eux-mêmes se demandaient comment réagir en cas de victoire, notamment si c'était Pinochet qui devait leur remettre le trophée. Comment imaginer serrer la main du dictateur devant les caméras du  monde entier, en tant que représentants d’un pays qui n'avait pas de relations diplomatiques avec son régime ? Fort heureusement, et avec toute probabilité pour éviter d’empirer la situation, les Italiens furent tirés d'affaire par le dictateur lui-même : Pinochet n'assisterait pas à la finale au Estadio Nacional, et la Junte serait officiellement représentée par le général de l’Armée de l’Air Gustavo Leigh Guzman[45]. De plus, dans un effort d'apaisement, il fut décidé que la remise du trophée serait confiée au président de la Fédération internationale de tennis, Derek Hardwick. Le chargé d'affaires du ministère italien des Affaires étrangères lui-même, Tomaso De Vergottini, évita à son tour de prendre place dans la tribune d'honneur, afin de contourner tout contact avec les membres du régime[46].

À Santiago et à Rome, les projecteurs se tournèrent ainsi sur le terrain de terre battue plutôt que dans les coulisses diplomatiques.

Le 17 décembre 1976, l'équipe italienne fit son entrée dans l'Estadio Nacional : deux jours plus tard, elle en ressortirait remportant sa première Coupe Davis sous les applaudissements enthousiastes des six mille spectateurs[47].

Sur le plan sportif, la finale se déroula dans une atmosphère de grande civilité. Sur le terrain, il n'y avait pas eu la moindre instrumentalisation de l'événement. Aucun’ soldat - à l'exception du service de sécurité - ne se trouvait sur les lieux. Le général Leigh lui-même, s'était contenté d'assister aux matchs habillé en civil. Álvaro Fillol et Patricio Cornejo furent des exemples d'équité et de courtoisie à leur tour : rarement une finale de Coupe Davis n'avait connu un tel cadre harmonieux.

Toutefois, il est crucial de rappeler que la tranquillité apparente qui régnait à Santiago, dans ses stades et ses rues, n’était que le résultat d’un régime ayant éradiqué toute forme de résistance et d’opposition politique par une répression implacable, foulant aux pieds les principes les plus fondamentaux des droits humains.

Qu'en était-il des réactions de la gauche italienne ? Comme on le saura trente ans plus tard, vers la mi-novembre 1976, Enrico Berlinguer fut contacté par la direction clandestine du parti communiste chilien, qui lui suggéra de ne pas insister sur la campagne de boycott. Elle avait eu écho des signes d'une réaction populaire et, par conséquent, d'une possible exploitation de la situation en faveur de Pinochet, vers lequel un consensus nationaliste de défense contre l'ennemi étranger inattendu était en train de se créer. Le risque que cette campagne finisse par renforcer Pinochet imposa un changement de cap rapide, éliminant tous les obstacles au départ de l'équipe italienne pour le Chili. Le chef du PCI contacta donc Giulio Andreotti pour lui faire part de son accord[48]. Concernant l’ambassade d’Italie à Santiago, selon le journaliste Lorenzo Fabiano c'est à Tomaso De Vergottini que revient le mérite d'avoir démêlé la situation. En échange de demandes d’asile politique pour 5 membres du PCCH d’origine italienne, il conseilla à son Ministère de ne pas s’opposer à l’envoi de l’équipe de tennis (Fabiano, 2016)[49].

Mais sommes-nous vraiment sûrs que l'équipe italienne était totalement apolitique ? Au cours du deuxième jour de la finale, Adriano Panatta entra sur le court vêtu d'un T-shirt rouge et demanda à son partenaire de double, Paolo Bertolucci, de faire de même. Les deux joueurs, lors des deux premiers sets, portèrent cette tenue à la signification profonde, car elle était un symbole de protestation et de solidarité avec la population chilienne. Bien qu'ils aient affirmé que ce choix ne visait pas à représenter le Parti communiste[49]mais plutôt à exprimer leur solidarité avec les femmes chiliennes en lutte contre la répression, il est indéniable que leur choix vestimentaire avait une signification politique et sociale profonde. Ce geste a marqué une déclaration silencieuse mais puissante, témoignant de la manière dont le sport, même sous des apparences de neutralité, peut devenir un terrain de protestation et de solidarité dans des contextes de crise politique.

 

Conclusion

En conclusion, la finale de la Coupe Davis de 1976 entre l'Italie et le Chili n’avait pas été un simple affrontement sportif, mais un épisode où le sport, la politique et la diplomatie s’étaient entremêlés de manière significative. Ce match avait révélé les tensions profondes de l’époque, dans une Italie marquée par la Guerre froide, les luttes idéologiques et la répression des régimes autoritaires. La décision de l’Italie de participer, malgré la dictature chilienne d’Augusto Pinochet, symbolisait le dilemme auquel de nombreux pays démocratiques faisaient face : comment maintenir des engagements sportifs tout en respectant les valeurs humanitaires ?

Au-delà du tournoi, cet épisode s’inscrivait dans une période où les relations italo-chiliennes étaient fragilisées par les événements tragiques au Chili. Après le coup d’État de 1973, qui avait renversé Salvador Allende, l’Italie, sous la direction de figures politiques comme Aldo Moro et Mariano Rumor, joua un rôle diplomatique crucial. Refusant de reconnaître la Junte militaire de Pinochet, elle s’était engagée du côté des Chiliens persécutés.

Cet engagement ne s’était pas limité aux institutions politiques italiennes. L’accueil des exilés chiliens, les asilados, était un acte de fraternité nationale, où plus de 700 réfugiés avaient été hébergés, intégrés et soutenus dans leur nouvelle vie. L’Italie des années 1970, portée par les idéaux post-soixante-huitards, apparaissait pour de nombreux Chiliens comme une terre de liberté et de justice sociale, semblable à celle rêvée par Allende. C’est aussi pour cette raison que les réactions furent fortes, face à au dilemme de se rendre, ou pas, à Santiago.

Ce soutien, porté par la gauche italienne et les démocrates-chrétiens, démontrait que l'engagement moral pouvait surpasser les intérêts stratégiques immédiats et transcender les clivages politiques.

Ainsi, la finale de la Coupe Davis de 1976 reste, encore aujourd'hui, un exemple puissant de la manière dont le sport et la diplomatie peuvent influer sur le cours de l'histoire. Elle montre que des événements sportifs peuvent devenir des symboles d'enjeux politiques profonds, capables de redéfinir les relations internationales et de laisser une empreinte durable sur la mémoire collective.

 

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Vonnard Philippe (2018). Beyond boycotts : sport during the Cold War in Europe. Berlin : De Gruyter Oldenbourg.

 

Notes de fin:

[1] Orwell George (1945). « The Sporting Spirit », Tribune, 14 décembre.

[2] L'expression a été utilisée pour la première fois par l'écrivain anglais George Orwell dans un article publié en 1945 pour désigner ce qu'il prévoyait être une impasse nucléaire entre « deux ou trois super-États monstrueux, chacun possédant une arme permettant d'anéantir des millions de personnes en quelques secondes ». Par la suite, l'expression a été utilisée aux États-Unis par le financier américain et conseiller présidentiel Bernard Baruch dans un discours prononcé à la State House de Columbia, en Caroline du Sud, en 1947. Voir, entre autres : Dufraisse Sylvain (2023). Une histoire sportive de la guerre froide. Paris : Nouveau Monde éditions.

[3] « Il governo italiano condanna il golpe », Il Popolo, 13 septembre 1973. Les différentes réactions peuvent être lues également dans : « Il governo italiano ha condannato la violenza compiutasi a Santiago», La Stampa, 13 septembre 1973.

[4] « Carta de Radomiro Tomic a Patricio Aylwin, Presidente Nacional del Partido Demócrata Cristiano, sobre posición del Partido Demócrata Cristiano frente a la crítica situación política del país », 7 juillet 1973. Voir, à ce propos : http://www.archivopatricioaylwin.cl/xmlui/handle/123456789/6470.

[5] Dans le rapport de 1991 de la Commission nationale pour la vérité et la réconciliation, connu sous le nom de « rapport Rettig », on estimait à 7 000 le nombre de personnes ayant été détenues dans le stade et à au moins 200 à 300 le nombre d'étrangers de diverses nationalités dans ce stade. Des enquêtes ultérieures ont révélé que le nombre total était beaucoup plus élevé et qu'au moins 600 étaient des étrangers, pour la plupart originaires de pays d'Amérique latine. Parmi les 1200 prisons secrètes par lesquelles sont passées les victimes du coup d'État du 11 septembre 1973, on compte onze stades.

[6] « La Davis è a portata di mano », Il Corriere della Sera, 9 août 1976.

[7] Senato della Repubblica, 275° seduta pubblica, resoconto stenografico. 13 février 1974.

[8] En octobre 1973, le stade comptait au moins 7 000 détenus. Face à une vague de plaintes venues du monde entier, la FIFA décida de procéder à une inspection pour autoriser le match contre l'Union soviétique. Finalement, la commission d'enquête de la fédération dirigée par le Brésilien Abilio D'Almeida et le Suisse Helmuth Kaeser ne visita que le terrain, évitant les vestiaires où les militaires avaient entassé les prisonniers. La majorité des détenus furent transférés vers un autre site de détention dans le désert d'Atacama.  Voir : Scorsetti Gregorio (2023). La gara di ritorno, Cile 1973. Rome : 66thand2nd.

[9] « La FIFA informó al mundo que la vida en Chile es normal », El Mercurio, 4 noviembre 1973.

[10] La phase de qualification pour la Coupe du monde de 1974 était très différente de celle d'aujourd'hui : les équipes latino-américaines n'avaient droit qu'à 3,5 places. En d'autres termes, trois équipes se qualifiaient directement et la quatrième devait disputer un match éliminatoire contre une équipe européenne. Le Brésil, qui avait remporté la précédente Coupe du monde, avait une place attitrée. Les matches pour attribuer les deux places et demie restantes se déroulent en trois tours : le premier est remporté par l'Uruguay, le deuxième par l'Argentine et le Chili remporta le troisième après avoir disputé un match éliminatoire contre l'Union soviétique. Voir : Pickett Lazo Axel (2003). El partido de los valientes. Moscú, 26 de septiembre de 1973. URSS 0 Chile 0. Santiago de Chile : Aguilar.

[11] La lutte contre l'Afrique du Sud remontait en effet aux Jeux olympiques de Tokyo en 1964, lorsque le Comité international olympique avait décidé de retirer l'invitation au pays africain après avoir appris que le gouvernement de Pretoria n'autoriserait pas les athlètes noirs à participer aux Jeux. L'Afrique du Sud avait également été exclue des Jeux olympiques de 1968 et du CIO en 1970.

[12] « L'U.R.S.S. est exclue de la Coupe Davis », Le Monde, 09 novembre 1976.

[13] Atti parlamentari, Camera dei Deputati, VI Legislatura, 1973, Session du 26 septembre, p. 9149-9189. « L’Italia e il “golpe” cileno. Dibattito alla Camera dei Deputati. Moro illustra la posizione del governo», Relazioni Internazionali, n. 40, 6 octobre 1973, p. 1025-1032.

[14] (Serviteur de Moscou, rentre en Russie). ASMAE - Direzione Generale degli Affari Politici – Uff. XII - Cile b. 4 (1973), f. « Cile, settembre - dicembre1973, Politica Interna », Occupazione degli uffici dell’ambasciata d’Italia in Santiago, sans date, décembre 1973.

[15] « Pella esalta l’amicizia con l’America latina », Relazioni Internazionali, n. 27, 6 juillet 1957, p. 825.

[16] « Un comunicato dei democristiani cileni », Il Popolo, 14 septembre 1973.

[17] « Polemica risposta di Fanfani a un documento dei dc cileni », La Stampa, 14 septembre 1973.

[18] « Un comunicato dei democristiani cileni », Il Popolo, 14 septembre 1973.

[19] Pour ne citer que quelques exemples : « Senado italiano : explosiva sesión », La Segunda, 22 octobre 1973 ; « Violencia y huelgas estremecen a Italia », La Tercera, 30 mai 1974.

[20] « Se battiamo l’Australia giocheremo in Cile?”, Il Corriere della Sera, 2 septembre 1976.

[21] Outre la montée de la violence politique, tant d'extrême gauche que d'extrême droite, l'économie italienne se trouvait dans une situation précaire après la crise pétrolière qui avait touché l'ensemble de l'Occident. En 1975, le produit intérieur brut (PIB) avait chuté de 2,1 %, aggravant encore la crise économique du pays.

[22] Suite aux événements chiliens et au débat parlementaire concernant la responsabilité du PDC dans le coup d'État et la pertinence de reconnaître ou non la junte militaire, Enrico Berlinguer, secrétaire du PCI, avait publié une série d’articles sur la revue communiste Rinascita, qui entrèrent dans l'histoire comme le fondement de la proposition du célèbre « compromesso storico ». Voir, à ce propos : Berlinguer Enrico (1973). « Imperialismo e Coesistenza alla luce dei fatti cileni ». Rinascita, n° 38 ; Berlinguer Enrico (1973). « Via democratica e violenza reazionaria ». Rinascita, n° 39 et Berlinguer Enrico (1973). « Riflessioni sull’Italia dopo i fatti del Cile ». Rinascita, n° 40.

[23] « Le racchette azzurre si allungano sulla Coppa Davis », Il Corriere della Sera, 28 septembre 1976.

[24] Il s’agissait de José Humberto Baena, José Luis Sánchez Bravo, Ramón García Sanz (militants du FRAP), Juan Paredes Manot (Txiki) et Ángel Otaegui (ETA). Les appels en faveur de la grâce venant du monde entier, y compris du pape Paul VI, ne sont pas entendus. Une très forte réaction antifranquiste se déclenche, tant en Espagne, où 200 000 personnes descendent dans la rue pour une grève générale, que dans le reste de l'Europe, en particulier en Italie, où les dockers de Gênes vont jusqu'à boycotter les navires espagnols. Le sentiment général est de vouloir isoler l'Espagne franquiste par tous les moyens. Voir : « El Barça, ‘non grato’ en Roma por culpa de Franco », El País, 1er novembre 2015.

[25] « Il caso Cile nelle mani di Andreotti », Il Corriere della Sera, 1er octobre 1976.

[26] L'association avait été fondée à Rome dans les jours suivant le coup d'État et regroupait des exilés chiliens, soutenus à la fois idéologiquement et financièrement par des groupes de la gauche traditionnelle italienne, ainsi que par des représentants de l'aile progressiste de la Démocratie chrétienne (DC) et de l'ACLI. De nombreux journalistes, des personnalités du catholicisme progressiste, ainsi que des figures du monde de l'art et de la culture s'étaient également ralliés à ce groupe. L'association, active dans de nombreuses villes, était responsable au niveau provincial des activités de sensibilisation et de propagande en faveur de la résistance chilienne.

[27] « Coppa Davis in Cile: adesso si teme per l’incolumità dei nostri tennisti », Il Corriere della Sera, 29 octobre 1976.

[28] De Vergottini Tomaso (2000). Cile : diario di un diplomatico (1973 - 1975). Rome : Koinè Nuove Edizioni.

[29] « Dai cileni in esilio invito agli azzurri : non alla Coppa Davis », Il Corriere della Sera, 30 octobre 1976.

[30] « Castillo Velasco : Spero che Carter punti sulla democrazia dell’America Latina », Il Corriere della Sera, 15 novembre 1976.

[31] Selon le principe de réciprocité des Conventions de Genève, il ne pouvait pas y avoir un ambassadeur chilien à Rome.

[32] « Debate político y deportivo por final tenis Copa Davis en Chile », 7 octubre 1976.

[33] « Occupata la sede della Federtennis per sollecitare un “no” a Cile-Italia”, Il Corriere della Sera, 20 novembre 1976.

[34] « Il profitto non bada al golpe », L’Avanti, 25 novembre 1976.

[35] « Anche in tv un "no" al Cile », La Stampa, 21 novembre 1976.

[36] « Com'è questo Allende », La Stampa, 14 octobre 1970.

[37] La totalité des échanges peut être lue dans : Ministero Degli Affari Esteri Servizio Storico e Documentazione, 1976 : Testi documenti sulla politica estera dell’Italia, Uffici studi Roma, p. 171 et suivants.

[38] Ibidem.

[39] « Il governo italiano condanna il golpe », Il Popolo, 13 septembre 1973.

[40] « Davis, il Cile contrario ad una sede neutrale », La Stampa, 25 novembre 1976.

[41] « Ci sono armi migliori della racchetta”, Il Corriere della Sera, 25 novembre 1976.

[42] « Il governo acconsente che si giochi in Cile », Il Corriere della Sera, 7 décembre 1976.

[43] « Il governo ha detto sì al Cile », L’Avanti, 7 décembre 1976 ; « Ancora reazioni su Cile-Italia di tennis”, Il Corriere della Sera, 8 décembre 1976.

[44] « Final Copa Davis », 9 décembre 1976.

[45] « Chi andrà a ritirare la Coppa Davis se a consegnarla sarà Pinochet? », Il Corriere della Sera, 14 décembre 1976.

[46] « Pinochet non ci sarà », La Stampa, 16 décembre 1976.

[47] « Davis tinta d’azzurro », La Stampa, 20 décembre 1976.

[48] AA.VV., (1996). Coppa Davis : la vittoria. Club Racchetta d'Oro, 1976-1996. Roma : Edizioni Parnaso.

[49] Les témoignages peuvent être écoutés dans le film documentaire La Maglietta Rossa. Calopresti Mimmo (réalisateur) (2009). La Maglietta Rossa. Ambra Group, 50 minutes.

 

Pour citer cet article:

Elisa Santalena, « Raquettes antifascistes et maillots rouges. Le dilemme italien face à la finale de la Coupe Davis de 1976 à Santiago du Chili », RITA [en ligne], n°17 : septembre 2024, mis en ligne le 30 septembre 2024. Disponible sur: http://www.revue-rita.com/dossier-thematique-n-17-articles/raquettes-antifascistes-et-maillots-rouges-le-dilemme-italien-face-a-la-finale-de-la-coupe-davis-de-1976-a-santiago-du-chili-elisa-santalena.html

 

Les conditions sociales du développement du football de São Paulo (1900-1920)

Résumé

L’objectif de cet article est d’étudier le développement du football à São Paulo, au Brésil, à travers les conditions sociales de ceux qui l’ont introduit. Dans un premier temps est exploré le rôle de la bourgeoisie afin de comprendre dans quel cadre le football est arrivé à São Paulo et quelle a été l’influence de cette bourgeoisie sur l’évolution de ce dernier. Sa première diffusion ne semble ainsi pas avoir été voulue par la bourgeoisie et différents modes de jeu se sont mis en place indépendamment d’elle. Dans la deuxième décennie du siècle, la bourgeoisie a tenté de garder un certain contrôle politique et culturel sur la pratique. Ce sont ces rapports de force qui expliquent la constitution des grands clubs les plus populaires de São Paulo et l’organisation de la métropole.

Mots clés : Football ; Brésil ; Métropole.

 

The social environment of São Paulo football development (1900-1920)

Abstract

The objective of this article is to study the development of football in São Paulo, Brazil, through the social conditions of those who introduced it. Firstly, the role of the bourgeoisie is explored in order to understand in what context football arrived in São Paulo and what was the influence of this bourgeoisie on the evolution of the latter. Its first diffusion does not seem to have been wished by the bourgeoisie and different modes of play were put in place independently of it. In the second decade of the century, the bourgeoisie attempted to maintain some political and cultural control over the practice. It is these balances of power which explain the constitution of the greatest popular clubs in São Paulo and the organization of the metropolis.

Key words: Football; Brazil; Metropolis

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Yohann Lossouarn

Doctorant

CESSMA (Université Paris-Cité)

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Les conditions sociales du développement du football de São Paulo (1900-1920)

Introduction

Futebol, ce seul mot nous évoque le Brésil flamboyant de la seconde moitié du XXe siècle dans les grandes compétitions internationales et les enfants jouant dans les rues ou sur les plages. Cette image transatlantique s’inscrit dans une histoire, mais encore avant cela, l’installation du football au Brésil mobilisait un regard dans le sens inverse, dirigé vers l’Europe. Et pour comprendre l’installation du football au Brésil et en particulier dans la ville de São Paulo nous étudions notamment l’organisation sociale de ce regard de respectabilité envers le développement et la modernité européenne.

Les Brésiliens ont aboli l’esclavage tardivement, en 1888, puis promulgué la Première République en 1889. São Paulo s’y affirme alors comme une puissance émergente, soutenue et encouragée par la richesse de sa production de café. Elle favorise encore celle-ci face aux autres États du Brésil selon le régime du « Café com Leite », surnom de son alliance avec l’État du Minas Gerais pour diriger la politique économique fédérale. La ville se développe donc grâce aux capitaux que concentre la nouvelle oligarchie du café, et l’immigration européenne massive que celle-ci attire. La municipalité de São Paulo et son agglomération s’industrialisent alors et comptent respectivement 239 820 et 305 082 habitants en 1900 puis 579 033 et 707 251 habitants en 1920.

Sous l’angle du football, nous tenterons notamment d’explorer les prémices de son fonctionnement en tant que métropole avec les communes alentour. L’agglomération que ses habitants aiment alors à appeler la Paulicéia peut en effet être considérée comme une jeune métropole en 1920 (Duarte Lanna, Cymbalista, et Souchaud 2019), et il s’agira pour nous de voir ici l’importance des nouvelles cultures du football dans sa formation. Pour cela, nous situons le départ de notre période de recherche au tournant du XXe siècle, quand les Paulistains[1] découvrent le football venu d’Angleterre.

En 1894, Charles Miller a ramené le football d’Angleterre, où il était déjà bien établi, et, selon la tradition historiographique brésilienne, organise un premier match à São Paulo en 1895, entre les cadres britanniques de deux entreprises. Cette même tradition décrit ensuite le long processus qui conduit d’une première « exclusion » vers la « démocratisation » de ce sport au Brésil (Filho 1964). Nous tenterons pour notre part d’aller au plus près de cette diffusion du football à São Paulo pour comprendre les influences et les conséquences sociales de ce qui devient une nouvelle culture, sur la ville et ses habitants. Nous avons pour cela avant tout réalisé une consultation exhaustive des pages sportives de la presse quotidienne de deux des titres les plus diffusés entre 1900 et 1920 : O Estado de S. Paulo et le Correio Paulistano au début de la période puis A Gazeta à la place de ce dernier à partir de 1918. Les articles étudiés concernent donc les événements du football de l’époque, mais ils sont également des représentations que la société paulistaine se faisait d’elle-même. Afin d’extraire un maximum d’informations à propos de cette société, on a utilisé les principes du codage/décodage que le sociologue Stuart Hall a mis en place pour l’analyse des médias (Hall 1994). Nous ambitionnons ainsi d’élaborer une lecture sociale de l’histoire du futebol et de la presse en sachant que cette dernière était écrite par et pour une classe en particulier. La direction de l’Estado est en effet une alliance des élites rurales et de la bourgeoisie ascendante de São Paulo (Martins et Luca 2010, 90) tandis que le Correio Paulistano représente les intérêts du parti politique dominant, le Parti républicain pauliste (PRP). Leurs lignes éditoriales quant au football en sont ainsi le reflet des préoccupations de la bourgeoisie dans ses diverses tendances au gré de l’actualité bouillonnante d’un milieu en train de se constituer.

Ces articles de presse ont eux-mêmes participé à la circulation de cette culture du football d’origine britannique qui se développe à São Paulo. Ils se présentent donc à double titre en tant qu’objets de notre étude, bien qu’il faille garder en tête que tous les Paulistains ne sont pas lecteurs, particulièrement au début du siècle. Mais les journaux sont des organes citadins primordiaux à São Paulo dès les premières décennies du XXe siècle en ce qu’ils organisent la vie de la ville et donnent des références communes à ses habitants (Martins et Luca 2010). Les nouvelles machines rotatives permettent des améliorations et augmentations des tirages de l’Estado par exemple (18 000/jour en 1908, 35 000 en 1912[2] notamment). Dans le même temps, les lecteurs sont de plus en plus nombreux dans la ville dont les quotidiens rythment la vie avec leurs éditions matinales et du soir (Collectif 2011) ainsi que les discussions qu’ils alimentent entre les habitants.

C’est grâce à ces journaux que nous avons pu observer l’influence que l’Europe a gardée sur le football de São Paulo dans la première décennie du XXe siècle au moins, ce que nous retraçons dans une première partie. Ce sera notre point de départ pour étudier dans une seconde partie en quoi les conditions sociales de ces pratiques initiales, dans le stade ou dans la rue, ont influencé ses mutations et comment il est devenu un lieu commun de tout São Paulo dans les années 1910. Nous pourrons ainsi montrer dans une dernière partie comment le football de São Paulo s’est construit en parallèle des évolutions de la population paulistaine en pleine explosion démographique, ainsi que de son environnement urbain et comment la bourgeoisie l’a mis au service du développement économique de la ville.

 

1. La volonté bourgeoise d’européaniser São Paulo

 A. Le désir des europhiles

L’historiographie consacre comme le premier match de football sur la terre du Brésil une discrète rencontre entre les cadres britanniques (de nationalité ou d’origine) des compagnies du gaz et des voies ferrées de São Paulo en 1895. Dans les années qui suivent, les Brésiliens prennent progressivement connaissance de ce sport européen qui mobilise l’attention de l’autre côté de l’Atlantique. Dans la presse des dernières années du XIXe siècle, nous pouvons voir que la bourgeoisie pauliste observe le football de France et d’Angleterre comme un modèle à imiter. Cela se manifeste avec la publication de quelques télégrammes des agences internationales qui relatent les succès du football en Europe. Certaines familles de la bourgeoisie brésilienne europhile se joint ainsi à la « colonie » britannique qui organise des matchs dans quelques grandes propriétés de la ville.

Ces premières rencontres forgent alors les principaux traits caractéristiques du football « de l’élite » de la première décennie du XXe siècle. Ils établissent notamment la tradition des rencontres « brésiliens vs étrangers » qui devient un classique. Le football fait également son entrée dans les plus grands collèges de São Paulo où étudient les jeunes hommes de ces familles et prendre une place de choix. Ils mettent aussi en place la référence du grand match du dimanche, véritable événement mondain à l’issue duquel sont remis des trophées achetés en Europe.

Très vite se noue une collaboration étroite entre la « grande » (Collectif 2011) presse et les premiers footballeurs. Il s’agit d’une solidarité de classe (bourgeoise) et ainsi de culture (que l’on dit « cosmopolite », mais qui est surtout anglophile et francophile). Ces journaux sont un outil de l’organisation de la vie quotidienne de ce football de l’élite en faisant notamment passer des annonces pour les réunions des clubs (parfois en anglais) ou pour du matériel directement importé d’Europe. Ils mettent en place un modèle de récit de match et installent le vocabulaire largement anglophone du football (agrémenté de quelques mots français surtout pour la partie mondaine à propos des spectateurs et spectatrices). Cet archétype de l’article de football dans les quotidiens dure presque 20 ans.

La presse soutient donc et influence ainsi le football en tant que style de vie de la bourgeoisie pauliste europhile durant la première décennie du XXe siècle. Sont ainsi annoncés par exemple, les « thés anglais » qui regroupent les familles des membres des clubs Paulistano et Palmeiras[3] après les entraînements ou les matchs. En 1908 encore, est publié un long texte d’un sociologue français qui valorise la pédagogie anglaise par le football[4] comme pour prodiguer des conseils au Brésil. Cette parole a une influence dans São Paulo puisque l’Estado compte parmi les lecteurs les dirigeants des grands clubs et les responsables de l’éducation de la municipalité ainsi que du gouvernement de l’État de São Paulo.

À partir de 1902, plusieurs années avant Rio de Janeiro, São Paulo organise donc son championnat sur le modèle des compétitions européennes et avec le soutien actif de la presse. Celle-ci multiplie alors les résumés de matchs et l’on peut supposer que ces derniers rencontrent vite l’intérêt des lecteurs puisque l’espace accordé au football ne fait ensuite qu’augmenter. Ce championnat est aussi légitimé par la participation des Européens résidant à São Paulo. Les Anglais se regroupent sous la bannière du São Paulo Athletic Club (SPAC) et les Allemands sous celle du Sport Club Germania tandis que naît même un Sport Club Internacional au recrutement plus divers. Mais les élites paulistes vont surtout apporter leur soutien politique et financier au Club Athletico Paulistano avec pour objectif de mener un effectif total brésilien qui concurrence ses modèles européens. Très vite, c’est une bonne part de São Paulo qui se prend au jeu puisque l’on compte 4 000 spectateurs pour le match décisif de la saison 1902 entre le Paulistano et le SPAC[5]. Ainsi, en cette fin d’année 1902, les journaux rapportent les fondations de 35 clubs de football. Mais on retrouve alors aussi la première plainte auprès de la police de la part des habitants d’une rue contre quelques jeunes « desocupados[6] » qui jouent sur la voie publique. Le football est arrivé à São Paulo.

Figure 1 : Le football dans la municipalité de São Paulo en 1902. Élaboration de l’auteur à partir du Planta geral da cidade de São Paulo, de la Prefeitura Municipal, 1905.

 Figure1

B. Une réponse globale

Les plaintes contre le football de rue sont notre seule source pour saisir une certaine adoption de ce jeu (puisque c’est ici cela plus qu’un sport) par la population de la ville — et particulièrement les enfants. Celles-ci démontrent en effet que le football aurait dépassé les cadres de la bourgeoisie cosmopolite, dès la première année du championnat. Les plaignants et la police reconnaissent ce sport même quand des jeunes le pratiquent dans la rue, étant donné qu’ils utilisent le terme « foot-ball » pour qualifier les désordres qu’ils signalent. On peut donc parler d’une appropriation relativement répandue dans São Paulo, socialement et géographiquement comme on le voit sur cette carte (figure 2). Nous y avons fait figurer les incidents du jeu de rue (pelada) de la période 1906-1910 en arrondis jaune et rouge.

Figure 2 : Le football dans la municipalité de São Paulo en 1910. Élaboration de l’auteur à partir du Planta geral da cidade de São Paulo, de la Prefeitura Municipal, 1905.

Figure2

On retrouve plusieurs peladas dans le secteur Villa Buarque/Consolação au centre ouest de São Paulo, celui des terrains officiels et des collèges. On discerne donc l’importance de ces derniers pour la vulgarisation du football — si ce n’est que ses habitants savent mieux que d’autres le reconnaître. Mais on retrouve aussi le jeu de rue des enfants dans la zone centre est, entre le centre-ville et les quartiers industriels de l’est. Enfin, on joue également dans les rues des faubourgs plus à l’est à une époque pour laquelle nous n’avons pas encore répertorié de terrains et de matchs organisés. La pelada des enfants semble donc devancer la diffusion d’un football plus officiel. Ainsi, elle ne constituerait pas un simple élément en arrière-plan de la popularisation du football, mais plutôt un mouvement de fond qui représenterait son appropriation par la population de la ville, dans sa diversité. Et c’est très logique si l’on suit l’anthropologue Christian Bromberger (Bromberger 1998) qui avance que le football doit sa popularité mondiale à la simplicité de sa pratique.

Cette première décennie du XXe siècle voit aussi l’implantation du futebol de várzea (Giglio et Proni 2020). C’est une nouvelle façon de jouer à São Paulo, un peu plus formelle et proche des règles du sport britannique que ne l’est la pelada. Les joueurs de plus en plus nombreux trouvent en effet les várzeas, ces terrains vagues alors non constructibles, car inondables, comme des solutions pour pratiquer leur football. C’est ainsi que dès le deuxième semestre 1902 — la phase finale du premier championnat de la ville mentionnée ci-dessus —, de tels matchs se multiplient. On utilise la Várzea do Carmo à l’est du centre-ville, à la façon du premier match des Anglais de 1895. Mais ils profitent également d’autres espaces plats à la merci des crues de la rivière Tamanduateí, le fond de la vallée de l’Itororó ou de la plaine alluviale du fleuve Tietê. Le São Paulo populaire — et masculin — se retrouve ainsi chaque dimanche, jour chômé, pour une dizaine de matchs sur ces terrains. Émergent alors quelques-uns des clubs qui vont rester emblématiques du futebol de várzea des décennies suivantes, tel que l’Estrella de Ouro. En 1906, ces équipes de várzea mettent même en place une Segunda Liga Paulista de Foot-ball et une Terceira Liga Paulista de Foot-ball sur le modèle de la ligue de l’élite et dont les titres laissent à penser qu’ils se considèrent comme ses divisions inférieures. Ce sont certainement là les matchs les plus sérieux sportivement de la várzea et ils reprennent à la ligue officielle son schéma « match des secondes équipes à 14h30 et matchs des premières équipes à 16 heures ». Pourtant, les deux footballs et leurs ligues n’ont aucun rapport formel, le lien n’est autre que spirituel ; l’amour du football et le désir de l’organiser. On voit ainsi dès les années 1900 un véritable spectre qui va des matchs les plus informels jusqu’aux plus officiels du football pauliste[7]. Et si cette ligue de l’élite restait largement hermétique aux clubs et footballeurs plus populaires, certains des cracks de l’élite pouvaient se rendre dans la várzea pour jouer, les dimanches sans matchs de championnat. Jacob Penteado raconte que ce fut le cas de Herman Friese, grand joueur du SC Germania. Il venait s’y confronter avec d’autres manières de jouer malgré un respect des règles approximatif lui aussi (Penteado 1962, 221). Les matchs de várzea se terminaient en effet parfois sous la menace d’un revolver ou d’une arme blanche.

[des adolescents] quand ils jouaient avec d’autres une partie de foot-ball, ont eu une dispute sérieuse.

Le mineur Guiseppe, perdant la tête, a sorti un canif et agressé son adversaire, le blessant au côté gauche, avec le coup certain qu’il lui avait porté. 

[…] les autorités compétentes ont ouvert une enquête.[8].

Dans le nord-ouest de São Paulo, il existait aussi un football d’entreprise, où les cadres — souvent britanniques — ont progressivement joué avec les ouvriers, comme à Bangu à Rio (Borges Buarque de Hollanda et Fontes 2021, 47). Mais surtout, dès 1905, les rencontres entre ces compagnies ont établi une connexion ferroviaire footballistique avec Jundiaí, la première gare vers l’hinterland caféier de l’État. Les mêmes Britanniques possédaient plusieurs de ces établissements dans les deux villes et choisissaient d’organiser des rencontres entre eux en priorité. Le football commençait à se diffuser vers l’intérieur. Les éditeurs des revues sportives de São Paulo ne s’y trompèrent pas quand ils mirent en place, en 1907, des promotions pour les joueurs des clubs de l’intérieur comme pour la capitale. Ils contribuèrent à l’institutionnalisation du football de l’intérieur et sa correspondance avec celui de São Paulo par le biais de leur intérêt sans cesse renouvelé pour les règles du jeu et leurs mises à jour par les instances européennes[9]. S’il existe des théories selon lesquelles le football pauliste serait né dans le collège d’une petite ville à l’est de Jundiaí, Itu (Neto 2002), il est donc difficilement contestable que ce sont bien la capitale et ses clubs qui ont diffusé le football dans le reste de l’État. Le parrainage de la capitale et de ses clubs phares semble ainsi, quelques années plus tard, être autant demandé que celui des Anglais précédemment. Santos invite ainsi le CA Paulistano pour l’inauguration de son nouveau terrain[10]. Les passionnés des villes de l’intérieur accueillent ainsi les joueurs célèbres de la capitale comme les pères du football brésilien, parfois simplement pour encadrer des entraînements. Les sportifs de ces villes vont même jusqu’à fonder des clubs qui reprennent les noms des grands de São Paulo, tel le Paulistano de São Carlos[11]. L’élite de São Paulo, à la tête du football ainsi que du pouvoir politique de la ville et de l’État suit la devise de celui-ci : Non Ducor Duco[12].

 

2. Le football fait vivre la Paulicéia

 A. Les équipes étrangères en visite

 Grâce aux « tournées » de clubs internationaux, la ville de São Paulo s’inscrit dans le football mondial et s’affirme au Brésil en tant que ville-pivot de cette culture occidentale. Le prestige du football européen véhiculé par les journalistes est alors converti par leurs alliés les dirigeants du football officiel de São Paulo pour s’installer un peu plus comme une ville du football. Mais ces visites accentuent ce prestige et valorisent encore l’esprit européen du football au sein de la cité. Le plus souvent, les clubs ou sélections étrangères passent par Rio de Janeiro, ces matchs sont donc un autre moyen de se comparer, et s’affirmer comme la première ville sportive brésilienne. De la même manière, puisque le rédacteur de l’Estado justifie le football comme une arme diplomatique[13], l’organisation de telles rencontres permet également de se positionner, plus généralement, en tant que moteur et vitrine du Brésil[14]. C’est dans ce sens que la presse rapporte les négociations de la ligue ou de quelques clubs voire d’individus (fréquemment menées par le joueur et dirigeant Charles Miller en l’occurrence) avec des équipes étrangères. Et quand ces négociations aboutissent, les matchs contre des équipes internationales permettent de se mesurer au monde et d’observer des techniques ignorées. La première visite d’une sélection argentine en 1908 donne donc l’occasion d’évaluer le niveau des footballeurs de São Paulo, comme ce sera le cas contre les premiers Anglais en 1910 et Uruguayens en 1911. Ce sont alors des leçons d’humilité pour les paulistes — et les Brésiliens en général — qui perdent souvent largement. Mais São Paulo et ses rédacteurs sportifs peuvent observer les méthodes d’entraînement des équipes qui sont établies en ville au moins pour quelques jours. La discipline des Anglais est logiquement grandement valorisée par les journalistes qui invitent à suivre un tel entraînement.

La visite des Corinthians en août 1910 constitue certainement l’apogée de l’influence anglaise sur le football pauliste. La presse bourgeoise célébra ainsi leur arrivée :

L’équipe des amateurs anglais va arriver, de brillantes victoires sont à prévoir pour les étudiants Oxford et Cambridge qui ont gagné partout en Europe où le football est cultivé avec un si grand enthousiasme.[15]

Tout São Paulo semble partager ce jugement. La seule rencontre qui se joue un dimanche rassemble 10 000 spectateurs — alors un record[16]. Au-delà de ce chiffre, les journalistes notent surtout l’inhabituelle diversité sociale de la foule. Le rédacteur de l’Estado s’interroge d’ailleurs « pourquoi cette transformation ? » quand il nous rapporte les cris et les critiques des « aficionados amassés sur la piste autour de la pelouse »[17]. Il assimile donc ce public à celui de la várzea. On ne peut savoir si ce sont vraiment les mêmes hommes, mais on voit qu’il y a au moins deux façons de vivre cette culture dans le stade. Et c’est à partir d’emplacements différents que ces spectateurs agissent différemment, depuis les places assises des tribunes ou bien debout dans la Geral, où l’on peut se masser tout autour du terrain. Les deux populations semblent toutefois accorder une égale et grande importance aux footballeurs anglais.

On le vérifie d’ailleurs avec d’ailleurs l’un des grands héritages de cette visite. Des hommes de la petite classe moyenne des quartiers nord fondent en effet en septembre 1910 un club, le Corinthians Paulista (Domingos 2019). Cette équipe commence alors à jouer dans la várzea du quartier de Bom Retiro avec un effectif de joueurs issus du football populaire de São Paulo. On connaît déjà bien l’histoire de ce clin d’œil des Brésiliens au football anglais. En revanche, grâce à notre recensement des clubs, on a pu constater qu’une telle référence était loin d’être un fait isolé. Ainsi en 1910 sont aussi fondés entre autres des « Liverpool Foot-Ball Club », « The London Foot-Ball Club » ou encore « S. C. Sherlock Holmes », dont les membres du directoire ne semblent pas être des Britanniques. En outre, des joueurs de l’AA das Palmeiras avaient alors eux aussi formé une sous-équipe appelé « les Corinthians ». Mais c’est bien ce premier club qui va progressivement devenir plus important que les Corinthians originaux eux-mêmes et ainsi rester un marqueur indélébile de l’influence anglaise sur le football paulistain — même populaire ! — et brésilien en général.

Le retour des Corinthians en 1913 leur permet d’ailleurs de porter un jugement sur l’évolution entre ces deux dates. Les paulistes de l’époque accueillent ce verdict comme une bénédiction. Les Corinthians ont été impressionnés par la large diffusion du football dans la ville et le niveau sportif qui a ainsi grandement progressé. Les rédacteurs du Correio Paulistano et de l’Estado avaient fait éplucher les revues sportives britanniques à raison : le football paulistain est consacré par le jugement des « pères »[18]. Ils légitiment ainsi un peu plus la fierté pauliste qui s’écrit dans les pages des journaux, en opposition à Rio de Janeiro en particulier.

 

B. Pour un nouvel élan dans le quotidien de la ville

Il est difficile de savoir à quel point ce sont nos sources, les journaux, qui changent leur ligne éditoriale et observent un peu plus le football populaire Néanmoins, ils rapportent une explosion du nombre de matchs qui ont lieu dans la région métropolitaine, et particulièrement la capitale. On constate une augmentation quasi exponentielle dans la première partie des années 1910. 75 % de matchs en plus en 1910 par rapport à 1908, à nouveau 74 % d’augmentation en 1913 par rapport à 1910 et surtout, 244 % de plus en 1914 en comparaison de 1913 pour un total de 2378 matchs. De plus, on compte également 120 fondations de clubs cette année-là. La passion est palpable et le football s’installe. On peut également le lire géographiquement sur le territoire de la municipalité.

Figure 3 : Le football dans la municipalité de São Paulo en 1914. Élaboration de l’auteur à partir du Planta geral da cidade de São Paulo, de la Commisão geographica e geologica, 1914.

Figure3

On voit là que toutes les pratiques y trouvent leur espace. En rectangles verts, les terrains du football « officiel » sont très minoritaires face à l’utilisation des várzeas (rectangles bleus) et autres terrains vagues au sein des zones les plus urbanisées (rectangles bleu-vert) où s’organisent aussi des matchs voire des championnats. Tous les quartiers possèdent leur campo, sur lequel les clubs locaux accueillent, le dimanche, d’autres équipes de la ville. Tandis que les faits divers nous rapportent toujours les incidents liés à la pratique des peladas des enfants et adolescents principalement, représentés en arrondi jaune et rouge sur les rues concernées. À partir de 1911 et surtout de 1913, on utilise d’ailleurs un nouveau vocabulaire pour parler de ces joueurs. C’est la figure du « moleque »[19] qui émerge, le gamin des rues, avec un véritable style de vie que l’on dit « molecagem ». Le football se manifeste dans tous les aspects de la vie des Paulistains qui s’en plaignent dans certains cas :

Dans l’alameda Barros, entre les rues Martim Francisco et Barão de Tatuhy [quartier de Santa Cecilia] se rassemblent tous les jours une bande de gamins [malta de moleques] pour y jouer le football.

Mais s’il ne s’agissait que de cela, le mal serait des moindres. Toutefois quelques-uns des joueurs font parfois des buts en furie avec leur balle à travers les vitres des entrées situées sur ce passage, et avec de grands cris et des gros mots [os palavrões de molecagem].

Ainsi, de permettre le jeu de football dans une voie publique est déjà un des grands défauts de l’indolence [brandura] de nos coutumes, mais le jeu donne donc lieu à d’autres faits qui ne sont pas seulement un préjudice à la morale, mais également à la propriété.

C’est pour cela que nous nous tournons vers votre intermédiaire pour demander au secrétaire de la justice et la sécurité publique qu’il fasse venir la police sur le lieu en question étant donné que tous ces abus sont la conséquence d’un manque de police.[20]

On a pu constater que le futebol de várzea cohabite avec ce jeu de rue. Dans la première décennie, les enfants jouaient par exemple dans le fond de la rue Major Quedinho (dans la vallée de l’Anhangabaú)[21]. Quelques années plus tard, la zone avait été aménagée pour accueillir les matchs des clubs du quartier[22]. La police intervient souvent dans ces matchs de várzea, si bien que la rubrique des faits divers n’hésite pas à rappeler que « comme d’habitude, l’équipe vaincue termina à l’hôpital et le vainqueur en prison »[23], à cause des bagarres qui ont notamment impliqué le public. Mais les autorités répriment le futebol de várzea aussi parce que de la même façon que la pelada, il coexiste difficilement avec le droit de la propriété privée. On voit sur la carte que ses terrains vont au-devant de l’urbanisation de la ville et ils entrent donc en collision avec de nouveaux projets de la municipalité qui veut ordonner le territoire et la population. Elle favorise ainsi l’édification de « stades » sur des domaines privés et avec des tribunes pour contenir un public apaisé dans un espace qui lui est dédié — ou du moins séparant de la masse l’assistance qui paye le double pour une place assise. Comme la presse, le pouvoir politique de la ville met ainsi en valeur le football officiel en ne laissant qu’une marge (littéralement) au futebol de várzea.

Les équipes qui en sont issues tout en étant considérées comme relativement respectables aux yeux des dirigeants du football officiel commencent à intégrer ses championnats. La Liga Paulista semble vouloir raffermir de cette manière son hégémonie dans le football pour s’affirmer à la fois comme l’avant-garde du sport brésilien et l’institution à même de conserver ses valeurs européennes. Mais l’acceptation des clubs plus populaires est conditionnée à un certain formalisme dans leur administration, ils doivent ainsi se démarquer des équipes de várzea dont ils faisaient partie. On peut voir un exemple de l’adoption de ce légalisme avec le CA Ypiranga, un club de la classe moyenne qui intègre la Liga en 1910, dès lors qu’il peut lui permettre de tenir tête aux clubs les plus influents dans l’administration de la fédération. Mais pour cela, il est raillé dans les colonnes des quotidiens de la bourgeoisie, que ce soit à travers les écrits des rédacteurs ou dans les courriers des lecteurs, de façon classiste en 1911[24] et raciste en 1913[25].

En 1913, un conflit mène à une scission de la Liga Paulista qui voit naître l’Associação Paulista de Sports Athleticos (APSA). Cette concurrence conduit en 1914 la Liga Paulista, à accueillir plus d’équipes pour étoffer son calendrier et remplir son stade. Elle fait donc appel à des clubs plus modestes qui n’avaient auparavant pas accès au football officiel car ne possédant pas de terrain et qui jouaient dans la várzea. La Liga engage les négociations avec des associations populaires tels que le Corinthians Paulista qui mobilise les passions de torcedores[26] de plus en plus nombreux à travers la ville. Ceux-ci sont prêts à payer une entrée pour voir leur équipe affronter quelques-uns des clubs les plus importants de la ville. Le public court alors au Parque Antarctica de la Liga Paulista malgré l’absence des clubs « tradicionais » tels que le CA Paulistano et AA das Palmeiras qui joue au vélodrome parmi l’APSA. Cette concurrence conduit aussi chacune des fédérations à inviter à l’hiver 1914 une équipe italienne : le Torino Football Club pour la Liga Paulista et une sélection italienne formée autour du Football Club Pro Vercelli dans le cas de l’APSA. Ce sont les cadres de la « colonie italienne » de São Paulo qui organisent l’accueil des footballeurs italiens[27]. L’événement les motive ensuite à créer un club dans cet esprit, dans le sillage du Corinthians Paulista quatre ans plus tôt. Le Palestra Italia naît alors et intègre l’APSA en 1916 — le football « officiel » de São Paulo est à ce moment-là toujours divisé en deux ligues. Le club n’est donc pas issu de la várzea, mais les joueurs de son équipe — choisis parmi les immigrés et descendants d’immigrés italiens — et ses supporters en proviennent en bonne partie.

En 1917 l’APSA est devenu la seule ligue de l’élite et elle a ainsi rassemblé les meilleurs clubs des deux entités. Mais le projet d’élargissement social de l’élite du football paulistain se poursuit en 1918. Afin d’accueillir des équipes encore en plus grand nombre l’APSA crée une deuxième division à son championnat qui permet d’être promu en première division en cas de victoire finale. Les clubs les plus modestes sont concentrés dans la seconde division, mais celle-ci exerce un tel attrait qu’il faut mettre en place une phase de qualification pour sélectionner ceux qui y participeraient. Toutes les équipes ne sont tout de même pas acceptées parmi le football officiel puisqu’elles doivent possèder un terrain si elle veut rejoindre la deuxième division et, pour la première, « un terrain convenable »[28]. Le futebol de várzea doit rester loin de l’élite. En 1920, c’est la création d’une troisième division, appelée Campeonato Municipal, qui va permettre de faire passer ce futebol dans le giron de l’APSA tout en le gardant à l’écart[29]. Mais l’Estado met en garde la ligue de bien observer le « noble slogan » de São Paulo : Non Ducor Duco, et ne pas se laisser gouverner par les classes populaires. La devise est également bien suivie en ce qui concerne la relation de São Paulo et de sa fédération avec le reste de l’État. L’APSA organise en effet à partir de cette année 1920 un championnat « de l’intérieur » composé de différents groupes régionaux[30], qui, dans les phases finales, se retrouvent à São Paulo. Les vainqueurs des zones de l’intérieur s’affrontent alors en ouverture d’un match du championnat de la ville, devant le public paulistain[31]. C’est certainement là un levier de plus pour activer le régionalisme des passionnés de football. Il se crée ainsi une unité et une fierté de São Paulo qui rassemble tout l’État, plutôt qu’une lutte des classes interne qui aurait pu prendre appui sur des clubs. La presse mobilise régulièrement ce régionalisme pauliste dans le cadre de son opposition avec le football carioca. « Nous » allons leur « montrer notre domination », écrit par exemple l’Estado[32] tandis que la plus populaire Gazeta convoque également un « nous, le peuple paulistain » contre « eux », « le Rio sportif, simple élève du football de São Paulo »[33].

 

3. Le football dans le monde de la marchandisation

 A. L’argent du football…

 L’engagement pour un club et son identité apparaît le plus important pour le public paulistain qui s’enflamme parfois lors des matchs. Néanmoins la classe des propriétaires a su trouver son intérêt financier dans cette situation, tout en essayant de faire respecter l’ordre si important pour eux. La passion pour le football s’inscrit au plus profond de la construction des identités et des affects qui lui sont liés et assister au match de son équipe semble la meilleure façon de les ressentir. Quelques grands clubs aménagent donc des terrains à São Paulo pour accueillir les affluences en constante augmentation dans la métropole pauliste elle-même en explosion démographique. Les billetteries représentent ainsi un enjeu de plus en plus grand pour les propriétaires qui doivent à nouveau s’organiser avec la police pour faire respecter l’ordre dans les stades, mais aussi devant leurs entrées[34]. On va pour la première fois en 1918 au-delà de 10 000 personnes dans une enceinte paulistaine[35] et plus de 30 000 en 1920[36]. Ainsi les journaux font le bilan des divers recettes (notamment des services de transport public) et comptent des dizaines de milliers de réais[37]. Les journaux influencent le public en annonçant les matchs comme de grands événements sportifs. Mais ils semblent prendre conscience que, plus que tout, c’est l’identification à une équipe et les rivalités qui provoquent l’envie de venir au stade alors ils aiment à l’exciter avec de multiples polémiques[38]. C’est le cas du duel des arquirrivais[39] qui émerge alors, Palestra Italia/Corinthians Paulista, le club des Italiens de São Paulo versus le seul club populaire issu de la várzea capable de concurrencer les grandes équipes.

Toutefois, l’économie du football est plus vaste que la question de la billetterie. En semaine, des boutiques, principalement en centre-ville, tirent profit de la marchandisation du football. Au-delà de la publicité dans les quotidiens, les magasins de sport s’engagent à doter les championnats et autres matchs de leurs équipements afin de voir leur nom cité au détour de l’article annonçant la compétition. Ainsi, la Casa Fuchs offre un ballon de sa collection pour jouer une rencontre caritative en 1914[40]. Le sponsoring consiste le plus souvent en la gratification d’une coupe par une boutique qui y voit l’intérêt d’être mentionnée dans le journal. Mais surtout, dans ce cas, l’article invite aussi le public à venir admirer cette belle récompense dans les vitrines du magasin. Ils semblent considérer ces opérations comme avantageuses puisqu’elles prolifèrent à la fin des années 1910. Les mêmes boutiques offrent désormais des coupes pour quasiment chaque match de quelques grandes équipes de la ville ou de sa sélection. Au niveau inférieur, ce modèle est reproduit par de plus petites échoppes qui parrainent des compétitions de jeunes ou des tournois de clubs de quartiers[41].

Mais plus que tout, ce sont les ventes de billets qui permettent d’attirer le public à l’intérieur même des boutiques. Si les terrains possèdent des billetteries, les ligues aiment à les mettre en vente dès le début de la semaine dans des commerces partenaires — alors que c’était plutôt au siège des clubs dans les premières années. À nouveau, ils peuvent ainsi profiter de citations à plusieurs reprises dans les journaux avant le match. Mais le principal intérêt déclaré était d’éviter les attroupements devant la billetterie avant les rencontres, et tous les troubles auxquels ils pouvaient conduire. Ces choix semblent donc eux aussi, en partie, mus par la recherche et la préservation de l’ordre. Ainsi, pour les plus grands matchs, certaines de ces boutiques peuvent même continuer les ventes de billets jusqu’au dimanche midi dans le but d’alléger un peu plus la billetterie du stade[42]. Mais en 1920, on voit que la marchandisation du football a atteint un nouvel échelon au fait que les championnats de l’élite ne sont plus les seuls à faire payer leurs entrées. Les prix sont généralement deux fois moins élevés lorsqu’il s’agit de matchs de deuxième et troisième division ou divers tournois des équipes inférieures qui se jouent dans une enceinte. Le plus souvent, on vend ces billets-ci aussi dans des commerces et cafés[43], parfois seulement dans le quartier dans lequel auront lieu le ou les matchs[44].

On passe alors très vite un nouveau cap de la publicité par le football avec l’entreprise chocolatière Lacta. Celle-ci met en place en 1920 une équipe de football pour ses travailleurs qui vont jouer sur un terrain proche de la fabrique. Elle n’est pas la première à fidéliser et divertir ainsi son personnel, néanmoins sa relation avec le football va un peu plus loin en investissant également son secteur marketing. Durant toute l’année 1920, l’entreprise achète régulièrement des encarts publicitaires dans les pages sportives de l’Estado. À la façon des dessins de presse humoristiques et satiriques, leurs publicité en viennent même à réagir à l’actualité sportive et utilise ainsi la presse d’une nouvelle manière (de Faria Cruz 2001, 71). Son caricaturiste dépeint ainsi la tonitruante victoire des Paulistes sur les Cariocas 7 buts à 1 à Rio qui plus est, une semaine après le match. Le croquis représente selon sa petite légende « le goal-keeper carioca oubliant de garder ses buts ». On le voit en effet adossé à un poteau pour déguster sa tablette de « Lacta » tandis que sept ballons entrent dans les buts[45]. Lacta se nourrit de l’événement qui alimente l’actualité du football ainsi que de la fierté pauliste pour mettre son produit en valeur. Deux ans plus tard, les joueurs de football eux-mêmes en viennent à constituer des arguments de vente. En effet, différentes marques de cigares indiquent dans leurs publicités — que l’on retrouve partout dans la presse et peut-être également dans la ville — que chaque boîte contient une carte-portrait d’une star de la ligue. Et l’emballage lui-même est orné d’un logo « APEA »[46] entouré des drapeaux des clubs qui composent la première division[47].

Le football pauliste voit alors la vedettisation de ses joueurs — qui a existé depuis le début du siècle, mais qui prend alors une nouvelle dimension — et l’influence de l’argent de la marchandisation jusqu’aux clubs. La mise en valeur de la célébrité des footballeurs passe notamment par la Gazeta qui publie de plus en plus d’articles sur les joueurs eux-mêmes à la fin des années 1910. Se multiplient ainsi les interviews, photos-portraits, informations sur l’actualité d’un joueur en particulier ou des profils détaillés qui permettent de découvrir un joueur — souvent jeune — de la várzea. En mai-juin 1918, le quotidien entreprend d’organiser un nouveau tournoi qui opposerait les champions de la deuxième division de São Paulo à ceux de Rio. Il veut donc trouver un nom pour la coupe qui sera la récompense et pour cela il met en place un concours afin d’élire un joueur actuel ou ancien dont on reprendrait le nom. Il publie régulièrement durant ces deux mois des interviews des hommes en lice ainsi que les résultats provisoires du concours qui se termine par le choix de Rubens Salles après la réception de 14 481 coupons[48].

Les clubs avaient déjà remarqué l’avantage sportif que pouvait conférer le recrutement d’un joueur[49], et ensuite le profit pour la billetterie grâce à l’attrait et la curiosité que celui-ci va provoquer sur les « aficionados » du football[50]. La synchronie de cette nouvelle vedettisation avec la disponibilité des fonds (notamment via le parrainage) donne un nouvel élan au professionnalisme. Il est notamment activé par la compétition sur le marché des transferts sud-américain (on voit principalement l’influence de Rio, Belo Horizonte, Buenos Aires et Montevideo sur São Paulo). Les clubs doivent investir d’une manière ou d’une autre pour préserver et renforcer leur effectif. Pourtant, les clubs et les institutions qui en profitent le plus à São Paulo sont également celles qui se disent opposées à ce système qui salirait les nobles valeurs du sport britannique qu’ils continuent de valoriser— bien que le professionnalisme y était en vigueur depuis 1885. Mais dans les faits, l’APEA agit beaucoup plus contre les départs[51] que contre les transferts entrants dans sa juridiction. Au paroxysme de ce double jeu, on retrouve le Paulistano qui s’assure de garder son joueur phare, le héros brésilien Arthur Friedenreich, en lui offrant un emploi. La préfecture — où les membres du directoire du club tiennent quelques hautes charges — le nomme en effet fonctionnaire public[52]. Il devait ainsi tenir le poste de greffier à l’école professionnelle masculine de São Paulo. Mais il ne semble pas vraiment qualifié pour cette fonction au vu de son parcours scolaire (Duarte 2013) et des disponibilités que demande sa pratique du football et de l’arbitrage. Il s’agirait ainsi d’un professionnalisme déguisé, comme on l’expérimente déjà dans les entreprises[53], mais cette fois promu par le pouvoir politique lui-même, pour le bien d’intérêts personnels, de classe et régionalistes.

 

B. … Qui organise la métropole

 La municipalité est impliquée dans l’organisation et la régulation de l’élite du football, mais elle manque aussi de se laisser déborder par toute la passion populaire qui envahit la várzea le dimanche et les abords des stades les jours de grand match[54]. Entre les deux, les quotidiens jouent leur rôle de médiateur.

La presse dépasse même son support papier pour profiter et faire profiter des dernières avancées technologiques, toujours dans le cadre du football et de l’identité pauliste. Par exemple, le téléphone arrive dans le Brésil urbain à la fin des années 1910 et il peut aussi servir à échanger avec la capitale fédérale. Cela signifie que l’on pourrait enfin connaître en temps réel, l’évolution d’un match Rio São Paulo ayant lieu dans l’autre ville. Après quelques essais de la Casa Lebre (commercialisant des articles de sports) qui voulait attirer les férus de football devant ses vitrines[55], c’est le grand journal O Estado qui met toutes ses ressources au service de ce dispositif. Il avait ainsi placé son envoyé spécial au stade du Fluminense à Rio, près d’un téléphone pour témoigner de chaque événement du match à sa rédaction. Celle-ci, dans le centre de São Paulo, transmettait les informations reçues par des panneaux affichés en hauteur afin que la foule qui s’amassait sur la place Antonio Prado puisse les lire. Le journal avait d’ailleurs publié le jeudi suivant une photo significative de la passion du football qui s’était exprimée en cette circonstance. On y voit des centaines d’hommes qui remplissent la place, tous avec leur chapeau, à attendre l’évolution du match interestadual.

En 1920, l’amour du football peut donc prendre possession de la ville, de ces lieux principaux, de ses marges et de ses artères. Les joueurs, torcedores ou simples curieux, utilisent tous les transports de São Paulo pour vivre leur passion. On peut même penser que le football qui ordonne des rapports entre les quartiers plus ou moins périphériques et les communes alentour organise la ville en tant que métropole. Il lui donne notamment une unité en faisant coexister les classes sociales dans un même univers et met en rapport les quartiers les plus lointains. En effet, si de nombreux clubs s’organisent autour d’identités de quartiers ou de rues (qui se croisent avec des identités de classe et de nations), on se rencontre ensuite assez indistinctement entre ces équipes.

Figure 4 : Le football dans la municipalité de São Paulo en 1920. Élaboration de l’auteur à partir du Planta da cidade de São Paulo, de la Commisão geographica e geologica de São Paulo, 1924.

Figure4 1

Pour vérifier cette hypothèse née de notre lecture systématique des matchs, nous avons recensé leur ensemble pour une journée de la fin de la période étudiée, le dimanche 31 octobre 1920. Nos journaux nous ont permis d’en compter 136, entre 122 clubs[56]. Nous les avons inventoriés sur 21 zones qui divisent la municipalité de São Paulo en 16 (d’au minimum 3 km²) et le reste de la métropole en cinq (deux pour le nord, une pour chaque autre point cardinal). Grâce à notre étude des associations de cette année 1920, nous avons pu localiser 86 clubs (exception faite des cinq rencontres de « championnat interne » de sociétés) et ainsi identifier l’origine des deux protagonistes dans le cas de 28 matchs. Il est particulièrement notable qu’en une unique occasion les deux équipes soient originaires du même quartier (ou groupe de quartiers) et à 13 reprises, de zones limitrophes. Plus de la moitié des confrontations totalement localisées faisaient se rencontrer des clubs relativement distants, parfois d’un bout à l’autre du territoire de la région métropolitaine. On n’observe par exemple aucun quartier privilégié pour aller jouer dans les zones est, ouest ou sud de la périphérie. Seuls les matchs de la banlieue nord semblent s’organiser autour du « tramway da Cantareira ». On joue souvent entre un club de ces villes de la banlieue nord et de l’un des quartiers nord de la municipalité de São Paulo. C’est-à-dire que les joueurs utilisent leur station de cette voie ferrée (il s’agit d’un train plutôt que d’un tramway dans notre conception actuelle) pour aller jouer plus au nord. Mais certaines villes plus lointaines de la région métropolitaine — telle Mogi das Cruzes à 50 km à l’est — demandent plus d’organisation. L’équipe paulistaine (deux clubs du centre ouest de la municipalité y jouent ce jour-là) se donne rendez-vous à l’Estação do Norte (quartier du Braz, centre est) pour partir par le train de 11h30 ou 12h. Le retour a lieu le soir si le club local organise une fête en l’honneur de leurs visiteurs qui devront impérativement attraper le dernier train, à 23 heures, pour rejoindre la capitale[57].

D’autre part, dans deux de ces matchs où l’on a également localisé le lieu de la rencontre, le quartier du terrain ne correspond même à celui d’aucun des deux clubs. Des équipes proches du centre auront donc convenu à l’avance — puisqu’il est annoncé dans le journal — de se retrouver sur un terrain relativement lointain (environ cinq kilomètres vers le sud de la ville dans les deux cas).

On a alors cherché d’autres raisons à ces rencontres — hormis les championnats de São Paulo bien sûr, qui ne concernent ici que quatre confrontations. Nous avons plus difficilement identifié des caractéristiques particulières de ces associations et nous n’y sommes parvenus que pour 20 d’entre elles pour cette journée de matchs (en grande majorité des nationalités ou des professions). Cinq clubs se fondent par exemple autour des racines italiennes de leurs membres, toutefois ; de la même façon que pour les quartiers, ils ne se rencontrent pas entre eux. Il n’y a correspondance entre les « origines » que dans les cas de deux matchs qui voient s’opposer deux équipes de maisons commerciales[58]. On sait qu’un championnat de ces entreprises existe et structure très probablement cette logique, mais ces matchs ne lui étaient pas expressément liés dans les annonces des journaux.

De la même façon, toutes ces rencontres se fonderaient donc sur une simple concordance des niveaux sportifs de leurs équipes. La très grande majorité des matchs de la várzea ne semblent pas organisés au sein d’une compétition. Néanmoins, les clubs se rencontrent rarement plus de deux fois dans une année. Une rotation harmonise les relations de ces associations qui distribuent leurs matchs sur les différents quartiers de l’agglomération. En ce 31 octobre 1920, les matchs de football référencés par la presse concernent donc environ 3000 joueurs. Le chiffre peut paraître important dans un premier temps ou insignifiant si on le compare à la population de la métropole (700 000 habitants). Mais on peut imaginer beaucoup de parties plus informelles qui n’arrivent pas jusqu’aux colonnes des journaux. En outre, les matchs mentionnés n’impliquent pas que les hommes sur le terrain. Les entourages des clubs vont aussi se mobiliser alentour, dans le quartier, et parfois se déplacer tout comme les supporters et supportrices. Certains de ces matchs réunissent ainsi 2000 ou 3000 personnes, quand ils ont lieu sur un terrain le permettant. Ce sont toutefois surtout les rencontres de la première division de l’APEA qui peuvent rassembler des spectateurs et spectatrices venues de toutes parts. C’est particulièrement le cas du Palestra Italia qui fédère autour de la fierté de l’origine italienne. Il rassemble ainsi plus de 30 000 personnes dans les tribunes et la geral du Parque Antarctica dont il vient de prendre le contrôle[59] pour les deux matchs les plus importants de cette saison 1920.

Les transports intra-urbains sont alors pris d’assaut. À tel point qu’ils deviennent capitaux pour le football de São Paulo et nourrissent des séries d’articles sur leur qualité et les incidents qui se multiplient en ces jours de grands matchs[60]. Cette préoccupation arrive même dans les débats de la chambre municipale, à travers les conditions du partenariat public-privé avec la compagnie Light & Power. Certains conseillers municipaux vont en effet reprocher au prestataire du service, à la recherche d’un profit maximum, de mettre tous ses moyens sur les seules lignes qui desservent le stade, aux dépens des autres utilisateurs[61]. On peut ajouter qu’à la façon de ces supporters, les joueurs des matchs inférieurs évoqués précédemment ne sont peut-être pas, eux non plus, issus du quartier du club.

 

Conclusion 

On a ainsi pu souligner les conditions sociales des débuts du football à São Paulo et comment elles ont influencé l’évolution et les différents aspects de cette culture émergente. Leur étude a permis de mieux comprendre la vie quotidienne dans la jeune métropole et en quoi ils la consacrent en tant que telle. À l’image de l’agglomération de São Paulo, le football est vite devenu divers et a illustré à la fois l’éducation cosmopolite de la bourgeoisie pauliste et sa volonté de modernisation et, d’autre part, la vitalité culturelle des franges les plus modestes de la population. Étant laissées libres dans leur appropriation (hooks 1992), celles-ci ont en effet pu produire différentes façons (Certeau 1990) de jouer au football, consubstantielles à cette métropole, tels les peladas et surtout le futebol de várzea. On a aussi pu commencer à distinguer que la naissance de cette nouvelle passion a certainement représenté la participation populaire à la constitution d’une industrie culturelle de masse pilotée par la bourgeoisie. Le football changeant, l’élite semble en effet y voir une nouvelle façon d’en profiter en s’en servant toujours pour installer son hégémonie culturelle et économique. Mais le bouillonnement démocratique des centaines de clubs et autres jeux improvisés dans São Paulo exprime plus que cette tendance à l’aliénation. Pour distinguer tous ces aspects les plus vernaculaires, il nous faudra certainement à l’avenir regarder ce premier paysage, superficiel, avec des lunettes de la « race », du genre ou encore en observant le discours de plus près. C’est ainsi que nous pourrons poursuivre l’étude de la construction d’une culture populaire dans la métropole de São Paulo sur les décennies suivantes.

 

Bibliographie

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Notes de fin:

[1] Nous utilisons le terme « paulistain » comme traduction de paulistano, celui qui vit dans la ville de São Paulo. L’expression « pauliste » définit en revanche l’habitant de l’État de São Paulo.

[2] Selon le groupe de presse actuel : https://acervo.estadao.com.br/historia-do-grupo/decada_1900.shtm consulté le 29 novembre 2023.

[3] Correio Paulistano, 12 juillet 1907.

[4] O Estado, 11 février 1908.

[5] O Estado, 27 octobre 1902.

[6] Synonyme de “vagabonds” dans les notices de la presse d’alors, et donc socialement disqualifiant.

[7] Nous identifions ainsi une « démocratisation » à São Paulo du « sport britannique » plus précoce que ne l'a fait l'historiographie classique du futebol. Celle-ci s'est en effet davantage concentré sur le football officiel et son discours qui les a conduits à une focalisation exagérée sur les débats du professionnalisme ne sachant ainsi pas distinguer la démocratisation qui était déjà en route puis l'hypocrisie du Paulistano à ce propos, sur laquelle nous reviendrons plus loin. (Caldas 1989)

[8] Correio Paulistano, 2 novembre 1907.

[9] Correio Paulistano, 7 février 1907.

[10] O Estado, 7 juillet 1905.

[11] O Estado, 25 août 1911.

[12] Du latin que l’on peut traduire en « je ne suis pas conduit, je conduis ».

[13] O Estado, 4 juillet 1908.

[14] Ici pour l’Argentine, O Estado, 9 juillet 1908.

[15] O Estado, 30 août 1910. Et l'on peut ajouter que le choix et la célébration de cette équipe anglaise en particulier souligne la direction que les journalistes et dirigeants du football officiel veulent que le football pauliste suive. Il s'agit en effet d'une équipe aristocratique qui met l'accent sur son statut amateur et leur style « gentlemen » alors que le professionnalisme est institutionnalisé depuis 1885 au Royaume-Uni. (Taylor 2007, 83‑85)

[16] Les plus grands matchs de championnat des années précédentes rassemblent plutôt autour de 5 000 personnes, tandis que des matchs contre les sélections cariocas ou argentines avaient réuni 8 000 spectateurs en 1906 et 1908.

[17] O Estado, 3 septembre 1910.

[18] Correio Paulistano, 28 septembre 1913.

[19] On pourrait le traduire grâce à la figure du « titi » parisien ou encore du « pibe » de Buenos Aires.

[20] O Estado, 17 janvier 1913.

[21] O Estado, 17 octobre 1904.

[22] O Estado, 2 février 1920.

[23] Correio Paulistano, 1er août 1910.

[24] Un lecteur fait ainsi une imitation des membres du CA Ypiranga en écrivant avec un grossier accent paysan, Correio Paulistano, 18 août 1911.

[25] Le lecteur publié déclare cette fois, après un courrier virulent contre le CA Ypiranga, qu’il « n’aime ni la couleur, ni le nom de S. Benedicto » un saint noir, O Estado, 7 septembre 1913.

[26] « supporters »

[27] O Estado, 19 juin 1914.

[28] O Estado, 10 février 1920.

[29] O Estado, 10 décembre 1920.

[30] O Estado, 1er février 1920.

[31] O Estado, 28 mars 1920.

[32] O Estado, 21 mai 1920.

[33] A Gazeta, 29 juillet 1920.

[34] O Estado, 11 décembre 1920.

[35] 12 000 à la Floresta pour un match de son propriétaire le Palmeiras contre le Corinthians puis 15 000 dans le même stade contre le Palestra Italia. Le Jardim America accueille lui aussi 15 000 personnes quand son propriétaire le Paulistano reçoit le Palestra Italia.

[36] À deux reprises au Parque Antartica pour des matchs du Palestra Italia.

[37] A Gazeta, 17 août 1920.

[38] A Gazeta, 30 novembre 1920, notamment.

[39] “archi-rivaux”

[40] O Estado, 15 novembre 1914.

[41] Correio Paulistano, 4 octobre 1918.

[42] O Estado, 24 avril 1920.

[43] Correio Paulistano, 30 janvier 1920.

[44] En effet ces tournois sont souvent entre plusieurs équipes dans des matchs qui s’enchaînent tout au long d’une après-midi.

[45] O Estado, 13 juin 1920.

[46] Les nouvelles initiales de l’APSA après la nationalisation des termes du football puisque le « S » de « sports » est devenu le « E » de « esportes ».

[47] A Gazeta, 8 février 1922.

[48] A Gazeta, 20 juin 1918.

[49] En 1911 la disparition du Sport Club Internacional a donné lieu à la récupération de ses meilleurs joueurs par le CA Paulistano, on les évoque dans le journal avec les mots « les nouveaux éléments acquis par le Paulistano », mais rien ne fuite des conditions financières de ces mouvements… O Estado, 24 avril 1911.

[50] O Estado, 3 mai 1914.

[51] A Gazeta, 10 décembre 1920.

[52] A Gazeta, 12 août 1920.

[53] O Estado, 11 décembre 1918.

[54] D'une certaine façon, on retrouve donc dans le football l'action directe des classes populaires et son autogestion en contrepoint de la politique oligarchique au niveau municipal à l'image des luttes politiques nationales notamment sous l'influence des anarchistes des années 1915-1920. (Fausto 2016, 100‑124)

[55] O Estado, 6 juillet 1918.

[56] Puisqu’une confrontation entre deux clubs donne le plus souvent lieu à deux ou trois matchs entre les équipes A, B et C.

[57] Le fameux Trem das Onze (https://fr.wikipedia.org/wiki/Trem_das_Onze), que l’on connaît également sur le réseau métropolitain parisien.

[58] Il s’agit de leurs employés d’après les statuts de la fondation des clubs.

[59] O Estado, 9 mai 1920.

[60] O Estado, 16 août 1920.

[61] Correio Paulistano, 6 avril 1920.

 

Pour citer cet article :

Yohann Lossouarn, « Les conditions sociales du développement du football de São Paulo (1900-1920) », RITA [en ligne], n°17 : septembre 2024, mis en ligne le 30 septembre 2024. Disponible sur:  http://www.revue-rita.com/dossier-thematique-n-17-articles/les-conditions-sociales-du-developpement-du-football-de-sao-paulo-1900-1920-yohann-lessouarn.html