RENCONTRE
avec Aimé Césaire
Laura Carvigan-Cassin, docteure en littérature de l'Université des Antilles et de Guyane, nous livre un des derniers entretiens d'Aimé Césaire réalisé en 2006.
Laura Carvigan-Cassin
Docteure en Littérature
Université des Antilles et de la Guyane
Bien sûr qu’il est mort le Rebelle…
Mais pas sans avoir fait clair pour tous son combat spirituel
Il est courant de lire ou d’affirmer que la littérature antillaise nait véritablement lorsque retentit le grand cri nègre. Ce cri surgi de la plume errante d’un Martiniquais dont la poésie impose à l’homme antillais de se poser l’admirable question : « Qui et quels nous sommes ? » (Césaire, 1994 : 26). Le 4 mai 2006 à Fort-de-France, comme de nombreux prédécesseurs prestigieux, il s’agissait de partir à la rencontre de cet « Aimé Césaire » qui n’existait alors qu’à travers ses textes tant politiques que poétiques, cet « Aimé Césaire » sujet de tant d’ouvrages critiques, cet « Aimé Césaire » fantasmagorique, en somme, que l’on imagine comme on se représente généralement les grands hommes, solennel, ampoulé, affichant une supériorité intellectuelle. Lui se montra juste curieux de comprendre ce qui conduisait certains à se pencher encore sur son œuvre. Il comprit cependant très vite que c’est justement parce que son œuvre avait déjà été tellement triturée qu’elle intéressait. Il fallait « souffler les poussières » (Césaire, 1950 : 235). Il fallait savoir si cet homme d’apparence si simple âgé alors de 93 ans, ce petit homme noir souriant et humble avait conscience d’être une des grandes voix d’un siècle achevé mais aussi une référence, un modèle pour les générations successives. C’est pourquoi dès qu’il se fut assis à son impressionnant bureau en bois derrière lequel il disparaissait presque, il était important de lui poser sans ambages la question :
Laura Carvigan-Cassin : Êtes-vous conscient de constituer un modèle dans la littérature antillaise ?
Aimé Césaire : Vous avez raison de poser la question comme cela. Je n’ai pas voulu faire une carrière littéraire. J’ai voulu essentiellement dire ce que j’avais dans le cœur. Il a fallu du tempérament, du caractère, j’ai toujours voulu rendre compte de la condition martiniquaise. Je vous rappelle : je suis né dans le nord de la Martinique. Je suis né à Basse-Pointe car c’est là que travaillait mon père -il était contrôleur des contributions- mais toute ma famille était du Lorrain, c’est-à-dire la commune juste à côté ; et mon grand-père était un professeur éminent à Saint-Pierre. Alors vous voyez ? Saint-Pierre, Lorrain, Basse-Pointe ! C’est tout cela qui forgé ma personnalité. Mais j’ai toujours -je ne sais pas pourquoi- trouvé que la situation en Martinique avait quelque chose de pathétique ! Parce qu’elle était composée de quoi ? Il y avait d’une part la situation des patrons et des blancs mais à côté il y avait le nègre venu d’Afrique -c’est une civilisation- et plus tard ce que l’on appelait les coolies, autrement dit les Indiens venus de l’Inde. Alors en réalité, c’était des groupes humains ayant chacun une personnalité. Une personnalité bien évidemment qui leur était propre.
L C-C : Comment expliquez-vous qu’en Guadeloupe l’on se sente si proche de vous ?
Aimé Césaire : C’est pour cette raison justement ! Parce que la question se pose aussi en Guadeloupe ! Nous sommes…Nous avons été pris… Nous étions devenus des marginaux.
L C-C : Donc vous pensez que l’histoire était la même ?
Aimé Césaire : Mais nous nous sommes battus précisément pour que l’on reconnaisse la personnalité de cette population, sa dignité et conquérir pour elle plus qu’une tolérance mais le respect c’est-à-dire que nous ne sommes pas simplement des instruments, nous sommes des hommes et nous luttons pour que cette personnalité et cette dignité soient reconnues. C’est pareil pour la Guadeloupe et la Martinique : nous avons été soumis au même régime.
L C-C : On remarque tout de même qu’en Guadeloupe, il n’y a pas eu d’hostilité, comme celle qu’il y a eu ici avec la Créolité. A votre avis, est-ce que ce serait un complexe d’Œdipe ?
Aimé Césaire : Oui, vous avez sans doute raison mais pour une raison très simple : la Martinique est une colonie, la Guadeloupe est une colonie, mais il y a des circonstances qui sont plus ou moins aggravantes ici ou là, ce sont des nuances qui s’expliquent : à la Martinique, les blancs étaient nombreux…et il faut bien le dire, racistes. Et les Martiniquais ont rencontré très vite cet obstacle qu’est le racisme et la Guadeloupe s’en est mieux sortie que nous. Très tôt, vous l’avez dépassé. Et nous, nous avions vraiment des chefs racistes et nombreux, ceux que l’on appelait les békés, les blancs qui sont venus de France et en particulier de la Normandie. Nous avions vraiment beaucoup de békés dans l’île. Ils étaient riches et puissants et ils ont beaucoup influencé la politique coloniale.
L C-C : Comment percevez-vous le fait que vous soyez un personnage romanesque ?
Aimé Césaire : Je ne sais pas ; je n’ai aucune prétention particulière mais ce que je sais c’est que depuis mon enfance, j’ai toujours été pareil. Très vite, j’ai eu le sentiment que notre peuple souffrait, que l’on était injuste à l’égard de notre peuple. Très vite à Basse-Pointe, j’ai senti qu’il y avait les blancs et qu’il y avait les nègres, mais les blancs, c’étaient eux qui avaient le pouvoir, la richesse, toute l’influence. Tout venait d’eux et ils voulaient nous imposer un régime. Beaucoup de Martiniquais ont accepté, ont été formés ou déformés par ce régime. Moi j’en ai toujours souffert et je ne l’ai jamais accepté.
L C-C : Est ce que vous pensez que vos lectures de jeunesse ont influencé votre œuvre ?
Aimé Césaire : Certainement. Oui enfin, j’ai toujours senti… J’allais en classe, mais enfin, il y avait des blancs, il y avait des mulâtres, il y avait des coolies et j’ai toujours senti que je suis un nègre, je suis à part. Pourquoi ? Je n’en sais rien mais j’ai été très vite conscient peut être qu’il y avait une influence familiale sans bien m’en rendre compte. Mon grand-père était professeur à l’école de Saint-Pierre, c’était un homme d’origine paysanne, de Basse-Pointe. Il était intelligent et brillant et il a fait partie d’un groupe qui pour la première fois a reçu une bourse pour aller en France. Où est-ce qu’il était ? Pas tellement loin de Paris. La « maison » avait pour mission de former. Les instituteurs formaient un corps enseignant pour la Martinique. Il a eu cette bourse, a été reçu et il a été en France où il y est resté environ deux ou trois ans pour former le corps enseignant martiniquais. Il y avait d’une part les instituteurs mais il fallait former les instituteurs. Et mon grand-père a été un de ces ténors. Puis il est rentré, revenu à la Martinique et est mort quatre ou cinq ans après. Il était donc très conscient déjà de l’existence d’un problème : le problème nègre, le problème africain. Je ne l’ai jamais connu parce qu’il est mort, et d’ailleurs je dois dire que ça a été un drame dans la famille. En France, il a été frappé par les blancs et quand il est rentré en Martinique, il a laissé tomber la négresse qu’était ma grand-mère, Manman Nini, Eugénie Macni et il a épousé une mulâtresse martiniquaise et ça a fait un drame mais enfin bon. On a compris le problème. Donc on a eu le sentiment vraiment d’une question raciale ; et à Basse-Pointe, c’est une affaire de tempérament. J’ai des souvenirs de l’école primaire de Basse-Pointe. Je prends l’exemple d’un petit bonhomme ayant une volonté d’apprendre et de travailler. (Aimé Césaire chantonne : Nos ancêtres les gaulois avaient des cheveux blonds et les yeux bleus !) Voici ce que ce petit bonhomme apprend dans un livre. Evidemment, inutile de vous dire que c’est un livre faussé ! Je lui dis : Qu’est ce que tu racontes ? – J’apprends ma leçon du soir. Voici ce qu’on enseignait. Je lui dis : Regarde-toi dans une glace. Tu as les yeux bleus ? Et tu as les cheveux…comment tu dis ? Tu as les cheveux blonds ? Espèce de petit idiot ! Tu es un nègre et je suis un nègre. Nous sommes Africains. Nous sommes des noirs. Il me dit : Ah oui ! Mais ce n’est pas ce qui est écrit dans le livre. Je lui dis : Pour la raison très simple que ce n’est pas pour toi que le livre a été fait. Ce livre est un livre qui est en état en France et nous ici, nous sommes à la Martinique. C’est dire que j’ai été très vite conscient que nous étions particuliers, nous avions une identité et une personnalité et très vite, j’ai compris qu’il fallait défendre cette personnalité. Il fallait l’assumer. Alors qu’il y avait tant des Martiniquais qui n’avaient qu’une espérance : devenir…, ils subissaient l’influence de la population blanche et ils ont inventé une doctrine de l’assimilation. C’était l’espérance de la petite bourgeoisie nègre de la Martinique. Moi, je n’ai jamais accepté l’assimilation parce que je trouvais que c’était vraiment une forme d’aliénation.
L C-C : Est-ce pour cela que vous avez choisi la poésie ? Pour mener un combat d’idées ?
Aimé Césaire : Mais non, je n’ai rien choisi du tout, vous savez.
L C-C : C’est venu comme ça.
Aimé Césaire : J’ai une personnalité. Elle s’exprime d’une manière ou d’une autre. Pour moi la littérature c’est un moyen d’exprimer le plus profond de moi-même. C’est là qu’est la vérité. Je tenais à dire ce que j’avais dans le cœur, la poésie révélant le plus profond de mon « moi », de l’homme ; et c’est vrai que j’ai été frappé par le fait que je trouvais que le Martiniquais, l’homme martiniquais avait honte de lui-même ; dès lors j’ai voulu affirmer ce que je sens et ce que je suis. Il y a d’une part l’apparence : on fait le civilisé, on fait le blanc etc. mais je sais qu’il y a bien autre chose au plus profond de nous-mêmes. Nous ne sommes pas des blancs. Si vous voulez, il y a deux « moi » dans le Martiniquais : le « moi » superficiel avec apparence blanche mais aussi un « moi » profond qui est très différent. Eh bien, j’ai choisi le « moi » profond et ce « moi » profond, il s’exprime par quoi ? Il s’exprime essentiellement par la poésie. Et c’est pour cela que ma poésie ce n’est pas la poésie traditionnelle à la Martinique mais une manière d’aller au plus profond de moi-même. C’est pourquoi, chez moi le surréalisme a été une chose importante et fondamentale.
L C-C : A quel niveau ?
Aimé Césaire : C’est le « moi » profond contre le moi superficiel. Aimé Césaire chantonne : Je suis né dans une île amoureuse du vent où l’air a des parfums de sucre et de vanille. Je savais que c’est faux, c’est autre chose. Nous avons une personnalité, nous avons une histoire, nous avons nos souffrances, nous avons l’espérance. C’est tout cela que nous sommes, le peuple martiniquais.
L C-C : Le surréalisme vous a aidé à vous exprimer.
Aimé Césaire : Mais bien entendu. Quand j’ai rencontré les surréalistes, j’ai bien vu qu’il y avait autre chose et j’ai pensé que cette formule-là pouvait m’aider.
L C-C : Est-ce parce que vous rejetiez le rationalisme occidental?
Aimé Césaire : Non mais je le situe historiquement, parce que c’est important. Ce n’est pas l’un ou l’autre. C’est plus compliqué que cela. Vous allez bien aux examens, vous allez bien chercher les diplômes chez les blancs, vous allez à l’école des blancs, eh bien oui. Et je ne dis pas que c’est sans intérêt mais je sens qu’au-dessus de cela, il y a un « moi » plus profond. Et bien « là », je sais que ce n’est pas blanc, je sais que c’est nègre.
L C-C : Il est donc faux que vous n’êtes pas surréaliste?
Aimé Césaire : Mais non, ça ne veut rien dire. Je n’ai pas voulu appartenir à une école mais le surréalisme m’a enseigné des choses à savoir que la littérature ce n’est pas forcément la poésie des sonnets, des élégies, des drames ; il y a autre chose que cela. Et le surréalisme m’a montré qu’en-dessous de cet aspect de l’homme civilisé, il y a d’autres choses qui sont possibles. Et au plus profond de l’homme, en-dessous de cette littérature, il y a une autre littérature qui est possible, c’est celle de l’homme profond. Et pour moi, l’homme profond chez moi, c’est le nègre, c’est notre civilisation. Il y a une couche européenne mais en-dessous de cette couche européenne, il y a la chose la plus intéressante, c’est le problème de la personnalité africaine et de la culture africaine ; parce que l’homme martiniquais, l’homme antillais est double.
L C-C : C’est donc pour cela que vous avez aimé les œuvres de Lautréamont, Claudel, Péguy et également apprécié Léopold Sédar Senghor.
Aimé Césaire : Oui, c’est pour cela. Lautréamont c’était déjà du surréalisme, c’est un des pères du surréalisme. On abandonne la rationalité pour chercher autre chose et Senghor aussi, bien que cela ne semble pas évident car je viens de la Martinique. Un de mes professeurs qui a écrit un livre sur la Martinique – c’était un normand, il aimait beaucoup ce que j’écrivais – me dit : Alors Césaire, qu’est ce que tu vas faire après le bachot ? Je le regarde. Il avait une grande barbe longue. –Qu’est ce que je vais faire ? Eh bien, comme toi monsieur le professeur ! –Ah bon ! Tu veux faire comme moi, hé bien, dans ce cas-là, tu vas en France, tu vas au lycée Louis-le-Grand, tu prépares le concours de l’Ecole Normale Supérieure. Je te donne un mot, je crois qu’on t’acceptera parce que le proviseur a été un de mes condisciples. J’arrive en France. Dès le lendemain, je vais au lycée Louis-le-Grand avec la lettre que je remets, on m’inscrit très aimablement, je sors du secrétariat, j’avance et dans le couloir, je vois arriver un petit homme, noir, avec de grosses lunettes et il vient à moi. Il était en blouse grise, une ficelle autour des reins au bout de laquelle pendait un encrier vide. En ce temps-là on n’utilisait pas tellement le stylo, c’était comme cela. Il n’y avait pas d’argent. Il vient à moi et me dit : Alors bizut ? -dans le langage, dans l’argot du lycée, le bizut c’est le nouveau venu- moi j’étais un bizut. Il dit : Alors bizut ? D’où viens-tu ? Comment t’appelles-tu ? Je lui dis : Je m’appelle Aimé Césaire et je viens de la Martinique. – Ah c’est bien ! – Et toi ? – Je suis du Sénégal et je m’appelle Léopold Sédar Senghor. Et le petit homme noir, mais costaud quand même, ouvre ses bras et me donne l’accolade : Eh bien, bizut, tu seras mon bizut. Autrement dit, j’arrive en France, je vais au lycée et qui est-ce que je rencontre ? Un nègre, un Africain, un Sénégalais et non pas un blanc. Nous sommes devenus copains comme cochons, on se voyait tous les jours, on lisait ensemble, on discutait de tous les domaines, on faisait du latin, du grec, de l’histoire, de la géographie. J’ai beaucoup appris avec lui, beaucoup de choses sur l’Afrique et j’ose dire beaucoup de choses sur la Martinique et beaucoup de choses sur moi-même.
L C-C : Vous avez eu beaucoup de convergences avec monsieur Senghor.
Aimé Césaire : C’est un copain, un ami, et c’est très important, il avait sa négritude mais j’ai la mienne, mais c’était déjà la négritude : la reconnaissance de l’homme noir, de son histoire, de ses souffrances, de ses espérances. C’est tout cela qui fait vraiment la négritude. Mais bien entendu, chacun l’exprime à sa manière. Mais tout cela est fraternel.
L C-C : Comme avec Léon-Gontran Damas.
Aimé Césaire : Oui bien sûr.
(Aimé Césaire s’adresse à sa secrétaire Mme Joëlle Jules Rosette : Donnez-moi le recueil de toute « sa » poésie…)
J’arrive en France, je rencontre des Martiniquais, je rencontre des Antillais et tout de suite, je sens le problème, je sens qu’il y a un malaise profond et que le Martiniquais, l’Antillais n’est pas un homme heureux. Il y a d’une part le côté blanc, ils vont au bal, ils font les malins avec leur feutre, leur canne et tout le reste mais en même temps, ils vont se défouler dans les boites de nuit et c’est comme cela qu’était Damas. Ah ouais, c’était incroyable ! Alors…
(Aimé Césaire lit le poème que lui a dédié Léon-Gontran Damas)
Solde
Pour Aimé Césaire
J’ai l’impression d’être ridicule
dans leurs souliers
dans leur smoking
dans leur plastron
dans leur faux-col
dans leur monocle
dans leur melon
J’ai l’impression d’être ridicule
avec mes orteils qui ne sont pas faits
pour transpirer du matin jusqu’au soir qui déshabille
avec l’emmaillotage qui m’affaiblit les membres
et enlève à mon corps sa beauté de cache-sexe
J’ai l’impression d’être ridicule
avec mon cou en cheminée d’usine
avec ces maux de tête qui cessent
chaque fois que je salue quelqu’un
J’ai l’impression d’être ridicule
dans leurs salons
dans leurs manières
dans leurs courbettes
dans leur multiple besoin de singeries
J’ai l’impression d’être ridicule
avec tout ce qu’ils racontent
jusqu’à ce qu’ils vous servent l’après-midi
un peu d’eau chaude
et des gâteaux enrhumés
J’ai l’impression d’être ridicule
avec les théories qu’ils assaisonnent
au goût de leurs besoins
de leurs passions
de leurs instincts ouverts la nuit
en forme de paillasson
J’ai l’impression d’être ridicule
parmi eux complice
parmi eux souteneur
parmi eux égorgeur
les mains effroyablement rouges
du sang de leur ci-vi-li-sa-tion
Eh bien, voilà un homme de couleur, un nègre qui était avec moi en classe de seconde et de première, eh bien, voilà ce qu’il pense en réalité. Et c’est vrai il faut le voir sur le boulevard avec sa canne et son chapeau melon mais ce Damas-là c’est un Damas apparent, au plus profond, il y a le Damas nègre et c’est cela la réalité, c’est cela la réalité de l’homme. C’est ce que nous pensions, nous, notre génération.
L C-C : En tant que professeur, pensez-vous avoir libéré la parole de vos élèves ?
Aimé Césaire : Oh, j’ai essayé autant que possible. Je n’ai pas fait de propagande stupide mais j’ai bien essayé.
L C-C : Considérez vous que ce soit une réussite que certains aient pris la plume et soient des écrivains ?
Aimé Césaire : J’ai voulu faire comprendre aux gens que la littérature n’est pas un banal amusement, ce n’est pas prendre des mots etc. mais c’est beaucoup plus grave. C’est tout l’homme qui va s’exprimer dans la littérature. Nous sommes différents et si vous écrivez, vous faites de la littérature, il faut aller au plus profond et se connaître soi-même. C’est tout. Le résultat est bon ou mauvais ou acceptable ; mais c’est cela que pour ma part je cherche. J’ai connu des hommes qui n’avaient qu’une idée : faire des sonnets, faire des élégies, « faire du français » et presque devenir Français. Eh bien, non, j’ai dit : nous ne sommes pas des Français. Il y a des choses qui me rendent… mais je n’ai jamais oublié que je suis un nègre, je suis un Antillais, j’ai un pays, j’ai une histoire et qu’il faut l’exprimer.
L C-C : Cela vous fait plaisir maintenant de voir qu’Edouard Glissant, Frantz Fanon et Georges Desportes sont maintenant des écrivains reconnus ?
Aimé Césaire : Oui. Je n’ai rien contre. On est ce qu’on est. Je n’ai pas du tout d’hostilité contre eux. C’est une génération qui s’exprime, qui a sa manière, qui ne me plaît pas mais ne me déplaît pas non plus. C’est tout à fait normal. Il y a une génération, et puis une autre génération vient. Ça ne me gêne en rien. Ils le disent à leur manière comme moi je dis à ma manière. Ça ne me gêne pas du tout mais ce qui m’embête c’est que j’ai l’impression parfois que c’est moi qui les gêne ! (Rires)
L C-C : Peut-être est-ce parce que finalement, quelle que soit la génération, vous restez le modèle.
Aimé Césaire : Oh le modèle, non ! Je fais ce que je crois devoir faire. Cela a été mon souci essentiellement : appréhender l’homme qui est en moi et l’exprimer.
L C-C : Êtes-vous heureux d’être au cœur des colloques, des conférences ?
Aimé Césaire : Ça m’effraie !
L C-C : Savez-vous quel est le nombre d’ouvrages écrits « sur vous » ?
Aimé Césaire : Non.
L C-C : Il y en a beaucoup à lire.
Aimé Césaire : Oui, il y en a énormément. Mais je n’ai pas tout lu. Et il y a aussi beaucoup d’attaques ! Il faut l’accepter. Ils ont bien le droit de s’exprimer. J’ai voulu dire ce que je suis tel que je suis.
L C-C : Pourquoi cette fascination vous effraie-t-elle ?
Aimé Césaire : Qui est fasciné ?
L C-C : Beaucoup de ceux qui parlent de vous.
Aimé Césaire : Je ne l’ai pas spécialement recherché. J’ai voulu m’exprimer, exprimer mon peuple, essentiellement. Il faut croire que cela répondait à un besoin. Mais vous savez il y a beaucoup de gens de ma génération, qui, quand j’ai commencé à écrire, ont été choqués : Pourquoi ne fais-tu pas comme ça ? Et puis quoi etc. Mais je le dis parce que je le sens et je pense que c’est ça la vérité et non pas le fait d’avoir honte de nous-mêmes, ni de mon peuple, ni de mon histoire. On fait le blanc, on fait les singes, non ! Pourquoi est-il plus honteux d’être Antillais, Martiniquais, Guadeloupéens, plus honteux d’être ce que nous sommes et pas mieux que le Normand ou bien le Parisien ? Non ! Je suis pour l’homme profond, l’homme vrai.
Je vois beaucoup de jeunes, c’est très touchant.
L C-C : C’est parce que vous suscitez beaucoup d’intérêt.
Aimé Césaire : Oui, beaucoup d’intérêt mais aussi beaucoup d’irritation. Il y en a, cela ne me gêne pas ; c’est naturel et moi je ne leur en veux pas du tout. Et comment vous est venu votre sujet de thèse ? Aimé Césaire ne vous a intéressé qu’à cause de ce qu’il y avait dedans. Vous avez la même hantise que nous. J’ai connu des camarades au lycée qui disaient : sa ou ka fè épi sa ! Tu as autre chose à faire ! Pour eux, ce n’était même pas digne d’être traité. Cette littérature ne les intéressait pas. Leur littérature c’est celle des blancs. Votre nom est Laura-Line Carvigan. Quelle est l’origine de votre nom, le savez-vous ? Ce n’est pas tellement africain, il a une origine française. Dans le midi, il peut y avoir des noms comme celui-là. On a le nom que l’on a. On m’appelle Césaire. Je suis persuadé que ce n’est pas mon nom. Certainement, Césaire était esclave et on lui a donné un nom. Il est probable que le maître devait être du midi de la France. Césaire ! Cela doit aussi venir du midi. Il y avait un saint qui s’appelle Césaire, mais ce n’était pas moi ! (Rires) Bref, c’est comme cela que l’on m’appelle ! On a donné un nom à chacun. Carvigan ressemble à un nom du midi. Ce serait intéressant de savoir quelle origine de ce nom. Mais votre famille est guadeloupéenne également ? Notre peuple antillais est ainsi : il y a des Africains, des Indiens qui viennent de l’Inde. Nous devons en être fiers et l’accepter. Vous auriez préféré être Breton, Normand ? Non. Je suis ce que je suis. En partant de votre nom, il faudrait faire des recherches et connaître vos origines propres, les origines de votre famille. Cela a un sens.
L C-C : Je vous remercie.
Dans cet entretien, après avoir d’abord affirmé la parenté du questionnement identitaire à la Guadeloupe et à la Martinique, îles sœurs combattant toutes deux pour l’égalité ethnique et raciale, Aimé Césaire rappelle la spécificité de son île où demeurent les békés, ces descendants de colons esclavagistes, grands propriétaires-maitres des habitations-plantations, quasi omniprésents en Martinique, quasi disparus en Guadeloupe dans des circonstances que le poète énonce très discrètement, évoquant un dépassement. En réalité, en 1794, les Anglais ayant pris possession de la Martinique puis de la Guadeloupe, Victor Hugues, envoyé par la France pour récupérer la Guadeloupe et annoncer le vote par la Convention de l’abolition de l’esclavage, débarque à Gosier et réprime les Anglais et les planteurs békés qui les soutiennent. A la fin de l’année 1794 il ne reste plus aucun béké à la Guadeloupe car ceux qui osent s’opposer au régime radical de Victor Hugues sont guillotinés ou obligés de fuir à la Martinique pour échapper aux tribunaux révolutionnaires. Par conséquent, la Martinique a été davantage enfermée dans un rapport radical, vertical que la Guadeloupe. Elle est restée sous contrôle anglais et esclavagiste alors que la Guadeloupe a joui d’une forme relative d’autonomie entre 1801 et 1802. Néanmoins, la Martinique, de son côté, n’a pas non plus vécu le traumatisme du rétablissement de l’esclavage en 1802. Certes, cela n’avait pas tout à fait été une abolition car la masse des esclaves en avait très peu profité finalement, mais il demeure que la Guadeloupe a bel et bien bénéficié d’un temps de liberté que la Martinique, elle, n’a pas connu. De plus, à la fin du 19ème siècle, suite à la modernisation de l’industrie sucrière qui a engendré la création de grandes usines, il y a eu une importante mutation économique et les terres ont été cédées à ces grandes sociétés industrielles -l’usine de Beauport, l’usine de Darboussier, par exemple- alors que la Martinique est restée sous la domination de la plantocratie békée. Ce sentiment avancé chez Césaire, cette sensation douloureusement précoce de vivre dans une société dichotomique où le pouvoir économique, décisionnaire, politique est « blanc », concourt à la naissance du Rebelle.
I. Le Rebelle, un homme d’enracinement
Si à la fin du 19ème siècle, il y eut une renaissance noire à la Guadeloupe où les nègres descendants d’esclaves, les nègres libres firent leur entrée sur la scène politique – c’est le cas d’Hégésippe Légitimus, le premier noir à siéger à l’assemblée parlementaire – en revanche, il semble bien que le premier nègre à émerger en Martinique soit Aimé Césaire lui-même. Rejetant toute forme de domination dans un « pays (qui) se perd de vouloir à tout prix se justifier d’accepter l’inacceptable (il) veu(t) être celui qui refuse l’inacceptable » et déclare vouloir « bâtir (…), de dacite coiffé de vent, le monument sans oiseaux du Refus » (Césaire, 1956 : 58). Les ethno-classes antillaises semblent en effet fondées sur le concept du maître et de l’esclave, du blanc et du noir. C’est le couple mythique Prospero et Caliban, couple emmêlé par les événements historiques et placé sous le sceau de l’inégalité. Ils travaillent sur l’île ensemble mais le dominé veut écraser le vieux monde colonial qui foire Césaire, 1969 : 88), il veut crier « Uhuru » (Césaire, 1969 : 24) tandis que le dominant, désormais profondément attaché à l’île, rejoint l’arène de « ces mecs qui ont fait les colonies et qui ne peuvent plus vivre ailleurs » (Césaire, 1969 : 88).
Ces propos sur la fracture sociale/raciale existant aux Antilles, ces propos tenus par Aimé Césaire en 2006 sur l’influence des békés sur son île annonçaient peut-être déjà la récente révolte du peuple d’Outre-mer se sentant tenu à l’écart du pouvoir économique et des hautes fonctions et privé de perspectives dans une société postcoloniale. Les mouvements populaires actuels affirment d’ailleurs qu’ils sont de la génération des enfants de Césaire, Fanon et Tirolien et leurs leaders proclament leur volonté de rendre sa fierté à un peuple longtemps infériorisé. Mais le sujet ouvertement évoqué par Césaire est un sujet délicat dans ces îles d’Outre-mer car il mêle domination économique et histoire de l’esclavage alors qu’« il est place pour tous au rendez-vous de la conquête » (Césaire, 1994 : 51).
Aimé Césaire se plaît également à évoquer l’héritage familial de résistance, de lutte qui lui a été transmis. Auparavant déjà il s’était confié à des critiques africains à propos de cette influence familiale. « Des traditions familiales m’ont influencé, disait-il alors. Par exemple, une tradition de lutte politique ; il y en a une autre de lutte raciale » (Ngal, 1975 : 257). Ce qui frappe l’interlocuteur de Césaire en l’entendant ainsi s’expliquer, c’est l’ancrage presque biographique et l’enracinement de sa rébellion. Il se dévoile dans une sorte de mythologie familiale. Le Rebelle est un homme d’enracinement. Ce lien étroit se perçoit à travers l’importance du milieu familial, originellement les grandes habitations-plantations. Au début du siècle en effet, Basse-Pointe est une zone de grande plantation et cet espace géographique du nord de la Martinique va se révéler déterminant dans l’idée de la nécessité, de l’urgence d’écrire. C’est une sorte de roman familial qui est présenté, avec comme personnages principaux les grands parents : Nicolas Louis Fernand Césaire et Eugénie Macni. A plusieurs reprises déjà, lors de précédents entretiens, Césaire avait affirmé que sa grand-mère était un hymne à l’africanité (Ngal, 1975 : 25)(1). On avait même retrouvé son double en Afrique, à Ziguinhor, la ville d’où partaient les esclaves, la Ville-où-l’on-pleure. Manman Nini c’est donc le modèle, une femme forte, influente, et le fait de l’avoir quittée pour une mulâtresse transforme le grand-père, Nicolas Louis Fernand Césaire en contre-modèle. C’est une blessure familiale qu’Aimé Césaire dépeint comme un drame et qui fige le grand père en symbole d’aliénation. Dans ces années-là, nombreux étaient les jeunes hommes diplômés (médecins, avocats, professeurs) qui convolaient avec une mulâtresse afin d’« éclaircir la race ». C’est donc un roman familial qui se trouve à l’origine des choix humanistes d’Aimé Césaire. Cet aspect n’est d’ailleurs pas assez souligné au fil du travail herméneutique effectué sur ce dernier, alors qu’il pourrait être mis en parallèle avec sa rencontre avec Senghor, instant où sa négritude profonde prend conscience d’elle-même. Durant cet entretien, il rééquilibre d’une certaine manière les choses, comme s’il réalisait qu’il avait déjà à cette époque, avant même d’avoir rencontré Senghor, profondément enfoui en lui les enjeux de la négritude.
Comme s’il s’agissait d’un reportage autobiographique, Aimé Césaire démontre l’ancrage sociologique de sa pensée rebelle à tout conditionnement, à toute acceptation béate. Il se déclare très tôt conscient des incohérences de l’enseignement scolaire aux Antilles et refuse tout endoctrinement. Le nègre vient d’Afrique et il est absurde qu’il récite par cœur l’histoire de la Gaule tout en ignorant celle du continent originel. Cependant, contrairement à Patrick Chamoiseau qui, dans ses récits d’enfance créole et notamment dans Chemin d’école, raconte la scolarité d’un négrillon amené à renier le créole parlé à la maison dans le but de s’approprier la langue française valorisée par l’école coloniale, cette ambigüité de l’école est une thématique que l’on ne retrouve guère dans l’œuvre césairienne si ce n’est peut-être dans le Cahier d’un retour au pays natal où il fait allusion à cet « instituteur dans la classe » insistant, oppressant même, mais qui « ne pourr(a) tirer un mot » du « négrillon somnolent » qui ne sait rien de l’histoire de la reine Blanche de Castille, et d’ailleurs « il n’y a rien, rien à tirer vraiment de ce petit vaurien » (Césaire, 1994 : 12-13). S’il est vrai que dans le cas de Chamoiseau, l’école a motivé son écriture à se défaire de la culture d’emprunt, la vocation d’écrivain d’Aimé Césaire semble également remonter à l’école, ce que le lecteur perçoit au travers d’une sorte de contre-discours. C’est avec une pointe de moquerie et de malice qu’il cite Daniel Thaly et répudie cette littérature qu’il fustigeait déjà avec Suzanne Césaire dans la revue Tropiques, cette littérature « doudou » non représentative du réel antillais, cette littérature palimpseste, mimétique où se lit la poésie parnassienne de José Maria de Heredia, Leconte de Lisle, cette littérature faussée qui ne présente que la carte postale, « une vieille vie menteusement souriante » (Césaire, 1994 : 10) et tourne le dos à l’envers du décor.
Dans cet entretien d’ailleurs se retrouve une confirmation de la négritude vue par Césaire. Ce n’est pas un essentialisme. Il s’agit véritablement d’une communauté d’histoire, de vécu, de culture du peuple antillais, la reconnaissance d’une identité en somme, qu’il s’agit d’assumer avec fierté.
II. Une poétique ethnoculturelle
Comme dans la plupart des documents centrés sur la poétique césairienne, la fameuse triade Senghor, Damas, Césaire est évoquée. Aux yeux de ce dernier, Senghor est l’homme d’une certaine évidence à être soi-même. Il y a en ce nègre venu du Sénégal une sérénité, une assurance, une certitude quiète. Il parle de l’Afrique avec l’accent de ceux qui ont des références stables. Mais quand on l’interroge sur Damas, il le présente comme un homme qui souffrait d’une certaine aliénation. On a alors l’impression que Césaire représente la synthèse entre les deux. Il n’est pas tributaire du milieu bourgeois mais il n’a pas non plus de certitude identitaire ancestrale. Il redéfinit la triade et se situe entre l’homme profondément ancré dans son africanité et l’homme qui oscille entre une identité empruntée et une origine assumée. Ce malaise chez Damas que Césaire perçoit se révèle justement à travers le poème du Guyanais lu durant cet entretien par Césaire et auquel il est d’ailleurs dédié. Césaire apparaît dès lors comme un entre-deux, une sorte de trait d’union, de moyen terme. Il s’est en effet tenu à l’écart du milieu bourgeois, ainsi qu’il le précisait au début de l’entretien, et a refusé tout mimétisme de la culture européenne.
Ainsi qu’il le disait dans son Discours sur la négritude, pour Aimé Césaire, le choix est fait : « Nous sommes de ceux qui refusent d’oublier. Nous sommes de ceux qui refusent l’amnésie même comme méthode » (Césaire, 2004 : 91). Désormais il ajoute : Nous ne sommes pas Français culturellement. Cette affirmation d’une prééminence de l’identité culturelle africaine, nègre chez l’homme antillais est fondamentale pour Aimé Césaire. Ce dernier ne refuse pas l’identité française politique mais culturelle. Son propos ne contient pas de message politique mais l’expression y est. Enoncer « Nous ne sommes pas des Français » est transgressif et renvoie à une intériorité complexe que jadis Césaire définissait en ces termes : « Ils (les Antillais) se sentent Français entièrement à part, et pas Français à part entière », Français avec des spécificités historiques et culturelles. Durant cet entretien, Césaire l’a répété : ce qui est essentiel c’est le « moi » profond, le côté sombre, mystérieux de l’homme noir. Il y a chez le peuple antillais, peuple issu de la rencontre de deux mondes, une part blanche mais plus profondément il y a la part noire, rejaillissant, renaissant, toujours vivace en dépit de l’acculturation et du dénigrement. En somme, Césaire affirme la prééminence de l’identité culturelle africaine nègre chez l’être antillais. Il déclare sans ambages que ce dernier est culturellement plus éloigné de l’Europe et plus proche de l’Afrique, même si l’Histoire coloniale a tenté de l’en dissuader et l’a plongé dans une confusion identitaire comme en témoigne la problématique du nom du descendant d’esclave. Aux Antilles, l’élément identitaire essentiel, le nom de famille, est issu du maître c’est-à-dire d’une seule des composantes de la mosaïque antillaise, et par conséquent, il est fabriqué. La nomination est en effet incertaine pour l’homme, le poète, le dramaturge. Déjà dans le Cahier d’un retour au pays natal, il évoquait « Siméon Piquine, qui ne s’était jamais connu ni père, ni mère ; qu’aucune mairie n’avait jamais connu et qui toute se vie s’en était allé – cherchant son nom » (Césaire, 1994 : 48) ; et lorsqu’il déclare que Césaire n’est pas son nom, il fait songer au roi Christophe rebaptisant ses hommes en réaction contre un temps « jadis (où) on nous vola nos noms ! Notre fierté ! », remémorant « la douleur d’un homme de ne savoir pas de quel nom il s’appelle ? A quoi son nom l’appelle ? », désolé et conscient qu’« hélas seule le sait notre mère l’Afrique ! » (Césaire, 1963 :37). L’Afrique, mère marâtre qui vendit ses enfants, pour certains, mère victime à qui on vola ses fils, pour Césaire et d’autres, transmet à travers le nom une identité personnelle mais également la famille, le groupe social, la lignée, la collectivité plus élargie, l’Ancêtre, les croyances, les us, etc. Mais la société de plantation bouleverse tout cela et les nouveaux « arrivants » (Brathwaite, 1973) sont baptisés de noms chrétiens. L’acte de nomination est la première entaille à l’identité de l’homme noir. C’est sans doute pourquoi les noms antillais sont singuliers, « étranges » (Césaire, 1994 : 48) aux yeux de Césaire. Ils l’interpellent. Il s’étonne dans cet entretien de ce nom Carvigan comme il s’étonnait dans le Cahier de cet autre, Michel Deveine, lui Césaire qui cristallise la figure du colonisé au nom emprunté, Caliban ou X, « l’homme sans nom », « l’homme dont on a volé le nom » (Césaire, 1969 : 28). Inlassablement celui qui sut entonner un refrain de négritude repris et salué dans le monde entier, redonnant ainsi sa place à la race humaine dans sa totalité sans en expulser les particularismes, place l’Homme au centre de sa réflexion.
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Notes de bas de page
(1) « C’était une femme qui visiblement venait d’Afrique…Elle avait un type africain extrêmement net, précis. (…) Maman Nini, c’était à coup sûr une Diolla. Elle était venue de là, de la Ville-où-l’on-pleure » Aimé Césaire est cité par Mbawil A. Mpaang Ngal.
Bibliographie
Brathwaite Edward « Kamau » (1973). The Arrivants: A new world trilogy, Oxford : Oxford University Press.
Césaire Aimé (1994). Cahier d’un retour au pays natal, La Poésie. Paris : Seuil.
Césaire Aimé (1950). « Naissances », Corps perdu, La Poésie.
Césaire Aimé (1956). Et les chiens se taisaient. Paris : Présence Africaine.
Césaire Aimé (1969). Une tempête. Paris : Seuil.
Césaire Aimé (2004). Discours sur la négritude, prononcé en 1987. Paris : Présence Africaine.
Césaire Aimé (1963). La Tragédie du roi Christophe. Paris : Présence Africaine.
Chamoiseau Patrick (1994). Enfance créole II, Chemin d’école. Paris : Gallimard.
Ngal Mbawil A. Mpaang (1975). Aimé Césaire un homme à la recherche d’une patrie. Dakar : Les Nouvelles Éditions Africaines.
Pour citer cet article:
Carvignan-Cassin Laura, "Bien sûr qu'il est mort le Rebelle... Mais pas sans avoir fait clair pour tous son combat spirituel", RITA, n°5: Décembre 2011, Mis en ligne le 20 décembre 2011. Disponible en ligne: http://www.revue-rita.com/rencontres-57/aime-cesaire.html