Les mouvements pendulaires de recentralisation de l’économie cubaine : Notes pour un débat (1960-2018)

El péndulo de la recentralización de la economía cubana: notas para un debate (1960 -2018)

Résumé
À partir de 2016, les autorités cubaines sont revenues sur certaines mesures d’ouverture au marché et au secteur privé, en contradiction avec le processus d’actualisation économique en cours depuis près d’une décennie. Depuis la Révolution de 1959, la politique économique du gouvernement cubain alterne entre phases de décentralisation et de centralisation. La plupart des analyses portant sur l’enclenchement des phases de centralisation explique ces mouvements par des justifications politiques et/ou idéologiques. À contre-courant de ces études, nous montrons dans ce papier que les raisons fondamentales de ces soubresauts sont dues à des chocs économiques exogènes négatifs conduisant les autorités cubaines à centraliser l’allocation des ressources et à contraindre la sphère marchande afin de juguler l’inflation et de gérer la pénurie de biens fondamentaux.

Mots clés : Cuba ; Centralisation ; Chocs exogènes ; Politiques économiques.

Resumen
A partir de 2016, las autoridades cubanas han revertido algunas de las medidas de apertura del mercado y del sector privado, en contradicción con el proceso de actualización económica que se viene realizando desde hace casi una década. Desde la Revolución de 1959, la política económica del gobierno cubano ha alternado entre las fases de descentralización y centralización. La mayoría de los análisis sobre el inicio de las fases de centralización explica estos movimientos por justificaciones políticas y/o ideológicas. Contrariamente a estos estudios, en este documento mostramos que las razones fundamentales de estos trastornos se deben a choques económicos negativos que llevan a las autoridades cubanas a centralizar la asignación de recursos y a limitar la esfera del mercado para frenar la inflación y gestionar la escasez de bienes básicos.

Palabras claves: Cuba; Centralización; Choques exógenos; Políticas económicas.

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Jérôme Leleu

Master 2 Economie
Institut des Hautes Etudes de l'Amérique latine / Université de Paris 3-Sorbonne Nouvelle

 Reçu le 11 octobre 2020/Accepté le 12 juillet 2021

Les mouvements pendulaires de recentralisation de l'économie cubaine : notes pour un débat (1960-2018)

Introduction

         À l’été 2017, les autorités cubaines décidaient de suspendre l’octroi de licences pour un certain nombre d’activités privées (Puig Meneses, 2017), bien que, depuis le remplacement de Fidel Castro par Raúl Castro à la tête de l’État cubain en 2008, des mesures économiques renforçant la régulation par le marché aient été mises en place progressivement. Mais aucune réforme d’envergure dans ce domaine n’avait été prise dans ce sens depuis 2014. Avons-nous assisté au déclenchement d’un nouveau cycle de centralisation des décisions économiques ?

L’histoire de la politique économique cubaine depuis la Révolution de 1959 est ponctuée d’alternances entre : 1) des politiques de décentralisation caractérisées par une autorisation plus ou moins large de l’entreprenariat privé ainsi que des investissements directs étrangers (IDE) et par l’accroissement de l’autonomie de décision des entreprises d’État ; 2) des politiques de (re)centralisation limitant ou supprimant la place du marché et de l’entreprise privée et réduisant l’autonomie de décision des unités économiques étatiques.

Ces différentes phases ont été largement étudiées au sein de la sphère académique, que ce soit dans le pays même avec José Luis Rodriguez (1990), aux États-Unis par Carmelo Mesa Lago (1990, 1991, 1994, 2013) ou Jorge Perez Lopez (2013), en Europe par Janette Habel (1989) et dans d’autres pays américains notamment par Sovilla et García Fernández (2013). Ces travaux montrent généralement que les périodes de décentralisation succèdent aux périodes de centralisation en raison de leurs mauvais résultats économiques. D’un autre côté, les phases de centralisation succèdent aux phases de décentralisation en raison, selon ces mêmes travaux, d’objectifs de conservation du pouvoir politique par la classe dirigeante, de justifications idéologiques et/ou d’évènements économiques conjoncturels.

Notre étude reprend le raisonnement de Susan Eckstein (1990, 1994) concernant l’enclenchement de la phase de centralisation nommée « Processus de rectification des erreurs et tendances négatives » qui débuta en 1986 et que nous élargirons à deux autres périodes de centralisation, l’« offensive révolutionnaire » (1965-1070) et la « bataille des idées » (2003-2007) . Pour cet auteur, c’est le renforcement de la contrainte économique extérieure qui a conduit les autorités cubaines à restreindre le secteur privé et à recentraliser la gestion et l’allocation des ressources.

En analysant l’environnement extérieur de Cuba en amont et au moment de ces revirements, en prenant en compte les relations avec ses principaux partenaires commerciaux et/ou les prix des principaux produits exportés ou importés, nous montrerons que l’application de mesures centralisatrices est liée aux chocs exogènes dégradant l’activité économique. Et que les réactions des autorités cubaines répondent à des objectifs bien précis : empêcher l’inflation légale en restreignant le marché et le secteur privé et en renforçant le contrôle de la gestion et de l’allocation des ressources dans un contexte générant ou aggravant la pénurie des biens de production et de consommation.

Nous commencerons dans cet article par faire un inventaire des principales études portant sur les différentes phases de la politique économique cubaine. Nous nous centrerons en particulier sur les analyses de Carmelo Mesa Lago, qui les a largement systématisées. Puis nous montrerons que les phases de centralisation surviennent toutes en réponse à des chocs économiques exogènes négatifs. Elles tentent de contrecarrer de manière administrative les effets inflationnistes potentiels. Les autorités cubaines cherchent à gérer l’allocation des ressources dans des contextes d’aggravation de la pénurie. À cette fin, nous décrirons les mesures économiques prises durant les phases de centralisation puis nous mettrons en avant la situation des relations de Cuba avec ses principaux partenaires étrangers ainsi que les effets économiques du choc externe. Enfin, nous nous interrogerons sur l’existence d’une nouvelle phase de centralisation entre 2016 et 2018.

I. La centralisation : une phase politique et idéologique ?
           A. Centraliser pour conserver le contrôle politique

          L’histoire de la politique économique cubaine depuis la Révolution de 1959 est caractérisée par l’enchaînement de périodes, les unes promouvant une décentralisation de la prise de décision économique et l’ouverture au marché, les autres renforçant la centralisation et limitant la place du marché. Elles durent entre quatre et quatorze années. Chacune est particulière et les mesures de décentralisation ou de centralisation peuvent être plus ou moins accentuées selon les phases.
La plupart des études qui analysent ces alternances entre politiques de centralisation et de décentralisation les interprètent comme une valse d’hésitation entre déterminants économiques, qui justifient l’ouverture de l’économie, et déterminants politiques, qui engendrent la reprise en main de l’économie par les institutions centralisées de l’État.
L’analyse de ces phases présentée par Carmelo Mesa Lago dans plusieurs de ses travaux (1990, 1991, 1994, 2013), et notamment les raisons invoquées pour la mise en place de politiques économiques centralisatrices, ne nous paraissent pas suffisantes. Cet auteur distingue les cycles pragmatiques (décentralisation) et idéalistes (centralisation) et chaque changement de cycle est interprété comme une volonté de contrôle politique de la part des autorités politiques cubaines.
Les phases de décentralisation conduisent généralement à de meilleurs résultats économiques et à une amélioration du niveau de vie moyen de la population, mais elles génèrent des effets sociaux adverses, tels que la montée des inégalités, du chômage…Pour Mesa Lago, par crainte d’instabilité sociale, le régime met en place des mesures de centralisation afin de conserver le contrôle politique. En outre, les phases de centralisation entraînent un affaiblissement des performances économiques et sociales et génèrent des crises. Les autorités cubaines seraient donc contraintes d’adopter des mesures de décentralisation afin d’améliorer la situation économique et de préserver le régime et le contrôle politique.
« Typiquement, une fois que la direction politique a estimé que le régime avait été suffisamment renforcé par des politiques pragmatiques, elle a lancé un nouveau cycle idéaliste, perpétuant ainsi l’alternance des politiques. »[1] [2](Mesa Lago, 2013 : 4). L’autre aspect présenté comme primordial par Mesa Lago pour l’enclenchement de cycles « idéalistes » est la perte de contrôle économique que génèrent les politiques de décentralisation. En effet, durant ces phases, des agents (directeurs d’entreprises, travailleurs indépendants…) disposent de pouvoirs économiques qui peuvent aller en s’accroissant et menacer le pouvoir de la couche dirigeante.
« Ainsi, nous soutenons que la logique politique (la conservation du régime et du contrôle) a prévalu sur la logique économique, provoquant la reproduction de cycles idéalistes. De plus, les augmentations du chômage et des inégalités et d'autres effets négatifs associés au marché ont semblé inacceptables pour la direction politique (…) »[3] (Mesa Lago, 2013: 4)
Par exemple, concernant l’enclenchement du « Processus de rectification des erreurs et tendances négatives » en 1986, Mesa-Lago stipule qu’une application complète du Système de direction et de planification de l’économie (SDPE)[4] aurait réduit les pouvoirs de l’État et du Parti communiste, ce qui explique dans une certaine mesure ce processus de recentralisation des décisions (Mesa Lago, 1990).
La phase de centralisation qui débute en 2003 et nommée « La bataille des idées » est également vue par Mesa Lago comme la conséquence d’une peur de perte de pouvoir des leaders politiques devant la montée en puissance et en nombre des managers disposant d’autonomie ou des entrepreneurs privés (Mesa Lago, 2013).

    B. Pas de recentralisation sans Fidel Castro ?

Comme Mesa Lago, d’autres auteurs mobilisent le même type d’analyse pour expliquer la mise en place des phases de centralisation. C’est le cas notamment de Bruno Sovilla et de Francisco García Fernández (2013). Pour ces auteurs, les mesures de recentralisation seraient dues à la volonté personnelle de Fidel Castro, notamment lors du « Processus de rectification des erreurs et tendances négatives ».
Le fait que Fidel Castro ne soit plus au pouvoir depuis 2008, et décédé depuis fin novembre 2016, empêche le retour à un cycle centralisateur. Fidel Castro est pour ces auteurs la clé principale pour expliquer les résurgences des phases de centralisation.
Pour Mesa Lago également, l’idéologie et les décisions de Fidel Castro sont le principal facteur du déclenchement des différents cycles, par son inclination vers la centralisation, la « collectivisation » des moyens de production, l’égalitarisme, la mobilisation par le travail… Néanmoins, il met tout de même en évidence, dans une moindre mesure, des facteurs externes, comme l’attitude de l’administration des États-Unis. Lorsque celle-ci est très hostile, les cycles de centralisation persistent.
Face à ces explications faisant la part belle aux facteurs politiques et idéologiques, d’autres auteurs mettent en avant des mécanismes économiques comme justifications des phases de centralisation. Le facteur politique ne serait pas le facteur primordial ou unique. Concernant le « Processus de rectification des erreurs et tendances négatives » initié en 1986, Susan Eckstein (1990) ou Andrew Zimbalist (1989) mettent en évidence le fait que ce sont des déséquilibres en termes de commerce et de relations extérieurs qui ont conduit les autorités cubaines à prendre des mesures de centralisation. En effet, l’augmentation de la dette en monnaie librement convertible (MLC) entraîna une diminution importante des importations et une contraction de l’économie. Devant les menaces de pénuries et d’inflation sur les marchés « libres », les autorités cubaines, afin d’empêcher l’inflation légale et de contrôler l’allocation des ressources potentiellement plus rares, avaient décidé d’appliquer des mesures de recentralisation.
En regardant de plus près les deux autres phases de centralisation, il apparaît que chacune est précédée de chocs exogènes négatifs, liés principalement à des difficultés en termes de commerce et de relations extérieurs.

II. Les phases de centralisation et leurs causes économiques
        
         Dans cette section, nous avançons que les politiques économiques de centralisation constituent une réponse des autorités cubaines à des facteurs économiques externes, en l’occurrence des chocs exogènes négatifs dégradant les termes de l’échange et entraînant une baisse de la production ou aggravant des situations de pénurie.

    A. L’offensive révolutionnaire (1965-1970)

         Nous pouvons dater le commencement de la période dite de « l’offensive révolutionnaire » en 1965. Au cours des années 1965 et 1966, l’appareil administratif et économique est réorganisé. Ainsi, l’influence de l’organe central de planification (Junta central de planificación, JUCEPLAN) diminue fortement, l’élaboration des plans revient en grande partie aux plus hautes autorités de l’État (Larifla, 1995).
Cette phase est caractérisée par la suppression des stimulants matériels (primes…), des normes de travail et du budget de l’État (Mesa Lago, 2013) ainsi que par une vaste campagne de mobilisation des travailleurs à travers l’amplification du travail volontaire.
La mesure emblématique de cette période est la nationalisation de plus de 50 000 petits commerces en mars 1968. Le secteur privé a quasiment disparu à cette date[5]. Seule une portion minoritaire du secteur agricole est gérée par des agriculteurs privés. Mais presque l’ensemble de la production doit être vendu à l’État. Les marchés libres ainsi que les lopins familiaux des fermes d’État ont été supprimés.
La réduction très importante du secteur privé durant cette période n’est pas intervenue seulement pour des raisons politiques et idéologiques – une transition rapide vers le communisme – et peut s’expliquer aussi, et principalement, par des difficultés en termes de commerce extérieur. Ce dernier est complètement réorganisé après la Révolution et il n’est pas encore tout à fait stabilisé. Les effets de l’embargo étatsunien, institué en 1962, sont négatifs pour l’économie cubaine et ont une incidence sur le développement de pénuries[6]. Des effets qui se sont aggravés par la pression exercée par les États-Unis sur leurs alliés pour limiter le commerce avec Cuba[7].
La productivité du travail diminue de près de 27% dans l’industrie et de 14% dans l’agriculture entre 1962 et 1966 (Bettelheim, 1987). Le PIB n’augmente que de 3,1% entre 1965 et 1970 tandis que le PIB par habitant diminue de 5,9% (Eckstein, 1994).
En parallèle, Cuba développe des relations économiques et de coopération technique avec les pays d’Europe de l’Est et l’URSS, et dans une moindre mesure, avec la Chine. Mais celles-ci ne sont pas encore totalement assurées et certains conflits latents peuvent les remettre en cause. Ainsi, peu avant les nationalisations de 1968, un différend émerge entre Cuba et la Chine concernant les livraisons de riz de cette dernière que Cuba voudrait voir augmenter, ce que la Chine refuse. Mais le fait le plus notable est la suspension des livraisons de pétrole par l’Union Soviétique en janvier 1968[8].
En raison des effets - réels ou potentiels - hautement négatifs sur l’économie de ce dernier évènement et du contexte extérieur général, la réponse des autorités cubaines, optant pour une quasi disparation du secteur privé et de la monnaie, a été fait dans le souci d’empêcher le développement d’une inflation légale dans le secteur privé – les prix étant fixés administrativement par ailleurs – et de renforcer la centralisation de la gestion et de l’allocation des ressources dans un contexte d’aggravation des pénuries.
Il est aussi important de noter que depuis le début de la Révolution jusqu’à cette période, les liquidités monétaires détenues par la population s’étaient fortement accrues en raison des augmentations de salaire, des baisses de prix et d’une insuffisance de l’offre de biens de consommation. Ce facteur économique interne est à prendre en compte pour expliquer la quasi-suppression du marché et des activités privées. En effet, le potentiel inflationniste de cet excédent monétaire ne pouvait être ignoré.
« La montée de l’inflation et l’incapacité dans laquelle sont les dirigeants cubains de la contrôler les rallient à l’idée qu’ils ne sortiront des difficultés économiques qu’en « abolissant » le plus tôt possible la monnaie. On retrouve là une réaction observée en URSS au début des années 1930. » (Bettelheim, 1987: 250)

    B. Le « processus de rectification des erreurs et tendances négatives » (1985-1990)

La deuxième période de centralisation, le « Processus de rectification des erreurs et tendances négatives », débute en 1986. Il est annoncé peu avant le 3ème congrès du Parti communiste cubain (PCC). Le SDPE est abandonné, et donc la relative autonomie des entreprises. Certaines personnalités au sein de la JUCEPLAN - dont son président Humberto Pérez - ou de la commission d’implantation du SDPE, sont destituées. À l’instar des années 1960, s’instaure à nouveau une certaine concurrence entre le pouvoir politique et l’organe majeur de la planification.
Une recentralisation des prises de décisions économiques est relancée. Dès 1984, la JUCEPLAN perd son pouvoir exécutif sur l’élaboration du plan, remis au groupe central étatique (GEC) dirigé par des membres du Conseil exécutif du Conseil des ministres (CECM) présidé par Fidel Castro. Le GEC restructure successivement les plans annuels de 1985 et de 1986, ainsi que le plan prospectif à l’horizon 2000. Le troisième congrès du PCC tient une première session en février 1986 mais le plan quinquennal (1986-1990) n’est pas approuvé en raison notamment des importations trop importantes qui y étaient incluses.
Les mesures concernant la diminution de la place du marché seront prises dès 1987. Les marchés libres paysans, réautorisés en 1980, sont supprimés. Le travail à compte propre (TCP), légalisé en 1978, est fortement restreint. Dans le même temps, des mesures de rigueur sont mises en place, comme l’augmentation du prix de certains produits non essentiels ou la baisse de certaines rations de la libreta[9].
Plusieurs éléments montrent une corrélation entre les mesures prises durant le processus de rectification et la contrainte extérieure, en particulier l’augmentation importante de la dette extérieure en MLC à partir de 1985, qui limite fortement les capacités d’importation de l’île et force l’État cubain à appliquer des mesures de centralisation des ressources, de réduction de la sphère privée et de limitation de la consommation afin d’éviter les effets inflationnistes.
L’augmentation de la dette en MLC ainsi que les contraintes à l’importation sont dues majoritairement à la dévaluation du dollar (Eckstein, 1994), sachant que les exportations cubaines étaient payées dans cette monnaie tandis que sa dette était exprimée en d’autres devises (Yen et monnaies européennes notamment) dont la valeur augmentait face au dollar (Larifla, 1995). La dette de Cuba en MLC augmente de 101,6% entre 1985 et 1990 contre 14,2% entre 1980 et 1985 (figure 1). Le 1er juillet 1986, Cuba suspend le paiement de sa dette (Ritter, 1988). De surcroît, la valeur des exportations chute de 37% en 1986 en raison également de la baisse du prix du sucre[10] et du pétrole[11] (figure 2) (Habel, 1989).

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Figure 1
 : Dette en MLC (en millions de pesos), Eckstein (1990)

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Figure 2
 : Prix du baril de pétrole brut de l’OPEP (En USD, moyenne annuelle), Statista (2020)

Les changements intervenus en URSS et dans les pays d’Europe de l’Est à partir de 1985 ont aussi des répercussions sur les échanges extérieurs cubains durant cette période. En effet, les échanges au sein du Conseil d’assistance économique mutuel (CAEM) devaient augmenter pour le quinquennat 1986-1990. Or, l’URSS, durant la Perestroïka et la Glasnost, avait décidé d’être moins généreuse avec les pays les moins développés du Conseil, et le volume des échanges est resté inchangé, ce qui contrevenait à ce qui avait été planifié. De plus, l’aide du CAEM chute de 888 millions de dollars en 1984 à 1,9 millions à la fin de la décennie, au moment de son démantèlement. (Eckstein, 1994).
Ces différents facteurs entraînent une chute importante des importations cubaines. Elles baissent de 32,5% entre 1985 et 1987 contre 18% pour les exportations (Ritter, 1988), tandis que 1987 est une année de dépression économique.
La réponse particulière des autorités cubaines aux tensions qui ont eu lieu sur le commerce extérieur et aux difficultés économiques visait à limiter l’inflation formelle par la restriction du secteur privé et du marché et à renforcer la gestion et l’allocation des ressources, plus rares, par une recentralisation des décisions économiques dans les mains de l’État.

    C. La « bataille des idées » (2003-2007)

Dans le cas de la troisième phase de recentralisation, les facteurs principaux de son enclenchement sont de nouveau économiques et externes. Le 6 mars 2003, Fidel Castro annonce le lancement de la « bataille des idées » afin de renforcer l’esprit révolutionnaire dans un contexte politique international difficile[12]. Au niveau économique, on assiste à une nouvelle centralisation de l’administration des devises après que des mesures de décentralisation ont été prises au cours des années 1990. Le système de compte unique est créé en 2005. Toutes les devises générées par les entreprises doivent être placées sur un compte de la Banque centrale de Cuba (BCC). La répartition de ces devises se fait ensuite centralement à travers le plan. Les opérations supérieures à 5 000 pesos convertibles (CUC) doivent être approuvées par la BCC à travers des comités d’approbation de devises (CAD).
Ce processus de centralisation a également été marqué par une restriction du secteur privé. Les IDE vont être réduits après une série de critiques émises par Fidel Castro, en particulier sur la mauvaise gestion des importations. On en compte 400 en 2002 et moins de 250 en 2006 (Vidal et Al., 2012). De même, l’octroi de licence pour les travailleurs à compte propre est restreint, suspendu pour certaines activités (chauffeur de taxi) et certains métiers auparavant autorisés sont interdits.
Le discours officiel du PCC énonçait que les objectifs de la « Bataille des idées » étaient de combattre la corruption et le manque de discipline, de corriger des erreurs néolibérales et capitalistes, de réduire les inégalités, de restaurer la morale révolutionnaire, et de répondre aux défis des États-Unis face aux discours belliqueux de l’administration de George W. Bush.
Cependant, des facteurs économiques externes ont frappé l’économie cubaine, et sous-tendu le processus de recentralisation. Les relations avec les États-Unis ainsi qu’avec les pays de l’Union européenne (UE) se crispent dès le début des années 2000 et particulièrement à partir de 2003[13], sachant que Cuba avait renoué des liens commerciaux plus importants avec ces deux zones depuis les années 1990 pour certains pays de l’UE et depuis 2000 pour les États-Unis[14]. D’un autre côté, la baisse du prix du sucre (figure 3) et l’augmentation de celui du pétrole (figure 4) sur les marchés internationaux au début des années 2000 ont généré des tensions sur le commerce extérieur. Les exportations cubaines baissent de 15% entre 2000 et 2002 et les importations de 13,5% (ONEI, 2017).

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Figure 3
 : Prix du sucre brut sur le marché mondial (En USD/livre, moyenne annuelle), Nova Gonzalez (2006)


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Figure 4
 : Prix du baril de pétrole brut de l’OPEP (En USD, moyenne annuelle), Statista (2020)

En outre, en réaction à la baisse du prix du sucre, les autorités cubaines décident de réorganiser le secteur sucrier en fermant un nombre important de centrales sucrières et en évinçant 100 000 travailleurs du secteur (Herrera, 2006). L’objectif est de conserver le même niveau de production, 4 millions de tonnes. Or, la production n’a jamais dépassé 2 millions de tonnes depuis lors, et cela a eu une incidence sur la production de dérivés. La bagasse, qui sert pour alimenter en énergie certains secteurs, voit sa production diminuer fortement. À partir de ce moment, les importations de pétrole par Cuba s’envolent[15] (Figure 5).

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Figure 5
 : Importations de combustibles, lubrifiants, minéraux et produits connexes (en milliers de pesos), ONEI (2018)

Cette corrélation que nous avons montrée entre les tensions sur le commerce extérieur et l’enclenchement des périodes de centralisation nous conduit à conclure que le facteur externe est décisif. La réponse des autorités cubaines face aux réductions des importations et donc de la production (contrôle centralisé des ressources monétaires et physiques), face à l’inflation et aux risques inflationnistes (restriction ou suppression du marché) n’est bien sûr pas une réponse unique à de tels phénomènes, mais selon nous, elle correspond aux caractéristiques de la politique économique du castrisme, à savoir une crainte aigüe de l’inflation formelle et une volonté de répartir équitablement les ressources rares entre les différentes unités économiques et administratives et au sein de la population.
Concernant les justifications politiques et idéologiques, nous ne les nions pas, mais disons qu’elles expliquent la forme que prennent les réponses du gouvernement cubain aux chocs externes négatifs. De surcroît, la survie du régime politique issu de la Révolution est évidemment un objectif des autorités cubaines, en toutes circonstances.

III. Vers la fin des politiques économiques de centralisation et de limitation du marché ? (2016-2018)

    A. Une nouvelle restriction du marché…

      Depuis l’arrivée au pouvoir de Raúl Castro en 2008, un cycle de décentralisation s’est enclenché. Fidel Castro étant caractérisé comme le facteur clé des revirements des politiques économiques (Mesa Lago, 2013), son retrait du pouvoir suivi par son décès en novembre 2016 aurait pu faire penser qu’il n’y aurait pas eu de nouvelles phases de centralisation.
Or, si nous analysons le processus d’« actualisation du modèle économique et social » qui, officiellement, se poursuit actuellement, nous pouvons mettre en évidence certaines pratiques économico-politiques qui permettent d’affirmer que les caractéristiques de la politique économique castriste que nous avons mis en évidence n’ont pas disparu avec le retrait de Fidel Castro du pouvoir.
Outre le fait que ce processus de décentralisation se met en œuvre de manière parfois très centralisée (Pineiro Harnecker, 2014), certains chocs exogènes récents ou potentiels ont entraîné un rétropédalage vis-à-vis de la décentralisation et de l’ouverture au marché opérées depuis 2008.
Ainsi par exemple, en 2015, les autorités cubaines avaient quasiment supprimé l’Acopio, l’organe de collecte de produits agricoles de l’État, et avaient transformé un grand nombre de marchés agricoles d’État (MAE) en marchés gérés par des coopératives non agricoles (CNA). L’année 2015 a été marquée par une forte sécheresse ainsi que par de fortes pluies localisées qui ont eu un impact négatif sur la production agricole. En raison de cela et du caractère marchand de la formation des prix, ces derniers ont augmenté sur les marchés où ils ne sont pas administrés, de plus en plus nombreux comparés aux MAE.
Malgré les discours du gouvernement qui stipulait, au début de cette crise, qu’il ne reviendrait pas à un système d’administration des prix, en mars 2016 l’Acopio a été remise sur pied, et le ministère du Commerce intérieur a repris le contrôle d’un grand nombre de marchés coopératifs. De plus, des prix plafonds ont été décrétés pour un certain nombre de produits alimentaires vendus sur des marchés non étatiques (MFP, 2016).
Nous pourrions également nous interroger sur le plafonnement des prix des taxis privés havanais, début 2017. L’été de cette même année, les autorités cubaines suspendent l’octroi de licences pour un certain nombre d’activités privées dont certaines parmi les plus courantes, telles les chambres d’hôtes, restaurants et cafétérias ou vendeurs de produits agricoles. Presqu’au même moment, il est décidé de stopper temporairement la création de CNA, dont le nombre n’aura augmenté que légèrement depuis 2013. Il en existait 429 en 2017 (Raúl Concepción, 2017).
En juillet 2018, des décrets, applicables en décembre 2018, ont clarifié la situation concernant les nouvelles régulations des TCP. La suspension d’octroi de certaines licences est abrogée, certaines activités fusionnent entre elles. On passe donc de 201 à 123 activités autorisées (Figueredo Reinaldo et Extremera San Martin, 2018). Une personne physique ne pourra pas exercer plus d’une activité, entre autres dispositions. Cependant, il ne sera plus émis de nouvelles licences pour cinq activités, dont vendeur de produits agricoles.
La nouvelle constitution approuvée au début de l’année 2019 donne plus de place au marché et au secteur privé. En février 2021, la suppression de la liste d’activités autorisées dans le cadre du TCP et son remplacement par une liste d’activité interdites - entres autres mesures - ouvrent de nouvelles perspectives pour le développement du secteur privé. Un léger recul historique sera nécessaire pour analyser ces changements récents. Pour cela, nous bornons la quatrième phase de centralisation de 2016 à 2018.

    B. … En réponse à un nouveau choc exogène négatif

Les raisons invoquées par le pouvoir pour expliquer les mesures prises entre 2016 et 2018 sont le relâchement fiscal, la corruption et la volonté de consolider les entités économiques déjà existantes (Puig Meneses, 2017). Mais la pause dans les réformes vers plus de décentralisation et de marché et la limitation des activités privées et de la sphère marchande sont intervenues au moment où Cuba connaissait un nouveau choc exogène négatif. En effet, à partir de la fin de l’année 2015, la crise économique et politique au Venezuela a eu des conséquences visibles sur l’économie cubaine, le Venezuela représentant 40% des échanges extérieurs cubains en 2014.
L’impact s’est fait sentir particulièrement sur les importations de pétrole - provenant en majeure partie du Venezuela à des prix préférentiels - sur les exportations des dérivés de produits pétroliers ainsi que sur les exportations de services médicaux dirigées principalement vers ce pays. Les échanges commerciaux avec le Venezuela ne représentaient plus que 17,7% des échanges totaux de Cuba en 2016 et 22,3% en 2018 (ONEI, 2017, 2019).
Le plan de l’économie nationale pour 2016 a été révisé en cours d’année, conduisant les autorités à limiter la consommation d’énergie, à diminuer les investissements et à réduire les importations. Pour la même année, les exportations chutent de 19,7% et les importations de 10,6% à prix constants. La corrélation entre le choc vénézuélien et son effet récessif sur l’économie cubaine et les mesures de restriction du marché mises en place entre 2016 à 2018 confirme davantage notre thèse émise pour les trois premières phases de centralisation.

Conclusion

         Les politiques économiques de centralisation et de décentralisation se sont succédé à Cuba depuis la Révolution de 1959. L’analyse des différentes phases de centralisation a permis de révéler l’existence de chocs exogènes négatifs précédant leur enclenchement. Ces liens ne peuvent être éludés, et leurs répétitions, tout au long de la période révolutionnaire cubaine, nous amènent à considérer ces corrélations comme fondamentales pour comprendre le basculement d’une phase de décentralisation vers une phase de centralisation.
Les facteurs politiques et idéologiques ont sans doute un rôle à jouer, mais les raisons économiques ont une incidence notable, primordiale, sur l’enclenchement des phases de centralisation.
Les périodes de centralisation et de limitation du marché sont donc une réponse, politique et/ou idéologique, particulière du pouvoir révolutionnaire cubain aux chocs exogènes négatifs, dans l’objectif de juguler l’inflation légale et formelle, de gérer l’ensemble ou la grande majorité de l’allocation des ressources et elle reflète une caractéristique ancrée dans la politique économique castriste. Les raisons idéologiques et/ou politiques, souvent invoquées, expliquent plutôt la manière dont les autorités cubaines vont répondre à ces chocs.
Cette mise en évidence de facteurs économiques externes, précédant l’ensemble des phases de centralisation, nous paraît être une analyse originale au sein de la littérature économique traitant de Cuba. Bien sûr, elle ne permet pas d’avoir une vision complète du caractère général du pouvoir révolutionnaire cubain, mais, selon nous, elle amplifie, ne serait-ce que quelque peu, l’éclairage que l’on peut en avoir. Ce travail nous a permis également de mettre en évidence une quatrième phase de centralisation, peut-être plus « atténuée » que les autres, mais obéissant aux mêmes logiques que les précédentes.
Les réformes importantes du début de l’année 2021 sont révélatrices d’une nouvelle période de décentralisation et traduisent un long cheminement, heurté, vers un accroissement du secteur privé depuis les années 1990. Cependant, affirmer que ces enchaînements de périodes sont révolus ou qu’une nouvelle phase de centralisation interviendra suite à un prochain choc exogène relèverait de la conjecture.

 

 Notes de fin

[1] « Typically, once the political leadership felt that the regime had been sufficiently strengthened under pragmatist policies, it launched a new idealist cycle, thus perpetuating a policy seesaw. »
[2] L’ensemble des citations en anglais ont été traduites par l’auteur.
[3] « Thus, we argue that political logic (preservation of the regime and control) has surmounted economic logic, giving rise to recurring idealist cycles. Moreover, increases in unemployment and inequality and other negative effects associated with the market seemed unacceptable to the political leadership (…) »
[4] Le SDPE est mis en place en 1976, un an après le premier congrès du Parti communiste cubain. Il avait vocation à organiser les relations entre les différentes institutions (entreprises ministères…) dans l’objectif de réduire la centralisation des décisions en renforçant l’autonomie et les incitations pour les entreprises et les travailleurs.
[5] Cuba est alors le pays ou le taux de moyens de production détenu par l’État est le plus élevé (Rodriguez, 1990).
[6] Les États-Unis étaient de loin le premier partenaire commercial de Cuba avant la Révolution.
[7] La pression sur les pays latino-américains à travers l’Organisation des États américains (OEA) a notamment été forte et plutôt couronnée de succès.
[8] Deux raisons peuvent être évoquées. Les différences de vision en termes de politique internationale, Cuba soutenant certains mouvements de guérilla, et la mauvaise utilisation des ressources octroyées par l’URSS à Cuba. Les livraisons reprendront après le soutien de Cuba à l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie.
[9] Carnet d’approvisionnement créé en 1962 qui permet à chaque cubain de recevoir mensuellement une certaine quantité de biens à des prix subventionnés.
[10] Bien que l’URSS garantissait financièrement et en quantité les exportations cubaines de sucre, une partie de celui-ci était vendu en MLC aux pays à économies de marché. Cuba en profitait d’ailleurs, lorsque les prix du marché étaient relativement élevés, pour accroître ces exportations au détriment de ses engagements avec l’URSS (Larifla, 1995).
[11] Cuba réexportait du pétrole importé d’URSS sur le marché international. Cela représentait une de ses premières sources de revenus en MLC.
[12] Les périodes de centralisation sont aussi caractérisées par la relance de la ferveur populaire et de l’engagement révolutionnaire, à travers les mobilisations populaires telles les manifestations publiques ou le travail volontaire.
[13] Au printemps 2003, une vague d’arrestation touche 75 personnes présentées comme des prisonniers politiques par les États-Unis et l’Union européenne et comme des agents au service des États-Unis par les autorités cubaines.
[14] Depuis 2000, Cuba peut importer des États-Unis, sous conditions restrictives, des produits alimentaires et des médicaments. Depuis 2015, des assouplissements de l’embargo ont été actés, remis en cause à partir de 2017 suite à l’élection de Donald Trump.
[15] La nouvelle relation que Cuba entretiendra à partir de 2004, à travers l’Alliance Bolivarienne pour les Amériques (ALBA), avec le Venezuela, sera la bienvenue, afin de ne pas rendre les importations de pétrole trop onéreuses.

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Pour citer cet article
Jérôme Leleu, «Les mouvements pendulaires de recentralisation de l’économie cubaine : notes pour un débat (1960-2018)»RITA [en ligne], n°14 : septembre 2021, mis en ligne le 23 septembre 2021. Disponible en ligne: http://www.revue-rita.com/articlesvaria14/les-mouvements-pendulaires-de-recentralisation-de-l-economie-cubaine-notes-pour-un-debat-1960-2018.html

 

‘El dinero, machista lo vuelve al varón’: conflictos, separaciones y reconfiguraciones de las relaciones de género bajo la influencia de los proyectos mineros en Espinar (Perú)

'El dinero, machista lo vuelve al varón' : conflits, séparations et reconfigurations des relations de genre sous l'influence des projets miniers à Espinar (Pérou)

Resumen
Este artículo presenta los principales hallazgos de mi tesis de maestría, que estudia las reconfiguraciones de las relaciones de género bajo la influencia de los proyectos mineros en la provincia cusqueña de Espinar, al sur de los Andes peruanos. En el contexto mas amplio de  transformaciones socioeconomicas profundas, se propone analizar los conflictos de pareja y las separaciones como un conflicto de género por acceso a los recursos derivados de la megaminería; así como por el control y la apropiación del trabajo y los cuerpos femeninos.

Palabras claves: Minería; Relaciones de género; Sexualidad; Acceso a recursos.

Résumé
Cet article présente les apports principaux de mon mémoire de master, où j'ai étudié les reconfigurations des relations de genre sous l'influence des projets miniers dans la province d'Espinar (Cusco), au sud des Andes péruviennes. Dans le contexte plus large des transformations socio-économiques profondes, on propose d'analyser les conflits de couple et les séparations comme un conflit de genre en raison de l'accès aux ressources dérivées de l'exploitation minière massive; ainsi que le contrôle et l'appropriation du travail et des corps des femmes. 

Mots clés : Activité minière ; Relations de genre; Sexualité ; Accès aux ressources.

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Caroline Weill

Master 2 en Etudes Comparatives du Développement
EHESS
, France

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Reçu le 11 octobre 2020/Accepté le 12 juillet 2021

‘El dinero, machista lo vuelve al varón’[1]: conflictos, separaciones y reconfiguraciones de las relaciones de género bajo la influencia de los proyectos mineros en Espinar (Perú)

Introducción

      En los treinta años de convivencia con los proyectos mineros Tintaya y Antapaccay la vida en la provincia de Espinar ha cambiado radical y exponencialmente. A equidistancia de las ciudades de Cusco, Arequipa y Puno, con una altura promedio de 3900 msnm, esta provincia principalmente quechua hablante y campesina se ha vuelto uno de los focos de atención nacional en los últimos años. El conflicto socio-ambiental del 2012, que costó la vida a tres personas, es por ejemplo testigo de las facturas sociales que caracterizan los contextos mineros (Barriga, 2012; Burneo y Chaparro, 2010). Sin embargo, la conflictividad de dichos contextos se manifiesta de múltiples formas (Bebbington y Bebbington, 2009). Una de ellas, planteo aquí, es la multiplicación de las separaciones – fenómeno relativamente nuevo según los testimonios recogidos en Espinar – y que me llamó la atención en trabajos de campo anteriores. Trataré de mostrar cómo las tensiones dentro de las parejas podrían expresar, indirectamente, la conflictividad en contexto minero dentro del ámbito “privado”, espacio clave de la reproducción y renegociación de las relaciones de género.

Si los impactos de la megaminería en Perú y América latina son objeto de una ya amplia literatura (Bebbington et al., 2007; Gudynas, 2012; Svampa, 2016, entre otros), su dimensión de género – en el caso peruano al menos – es algo menos estudiada. Algunas autoras insisten en el impacto específico y diferenciado de la minería en la vida y los cuerpos de las mujeres (Cuadros, 2011; Himley, 2011), con mayores impactos que en los hombres (Jenkins, 2014). Otros trabajos se centran en la dimensión de género de los conflictos (Silva Santiesteban, 2017; Grieco, 2018), evidenciando los impactos específicos de dichos conflictos en las mujeres así como sus estrategias de resistencia. Por su parte, en un reciente trabajo, Pérez, De la Puente y Ugarte (2019) han mostrado que el trabajo de cuidados de las mujeres campesinas de la región de Apurímac es una suerte de subvención a la acumulación del capital para la empresa dueña del proyecto minero Las Bambas.

Recordemos que un importante sector de la sociedad peruana presenta la minería como único e inevitable camino hacia el aspirado desarrollo, y que otro sector, en el ámbito académico, ha llegado a sugerir que “el desarrollo minero [...] ha creado nuevas avenidas para la autonomía de las mujeres” (Castillo y Brereton, 2018). En este contexto, resulta importante estudiar detalladamente qué efecto tiene la minería en las relaciones de género en sí – entendidas como relaciones que estructuran toda la sociedad, y no sólo en lo que atañe a las mujeres (Segato, 2016, en de Assis Clímaco, 2016 : 22). El estudio de dichas relaciones sociales, en el Perú, se ha centrado principalmente en las identidades, valores y representaciones de género (Fuller, 2001; Weismantel, 2001; Ruiz Bravo, 2004; Oliart, 2012). Sin embargo, la perspectiva feminista materialista que propongo en este trabajo, “para [la] cual el factor determinante en la diferenciación entre hombres y mujeres es la apropiación material del cuerpo de las mujeres” (de Assis Climaco, 2016 : 35) y de su trabajo, podría representar una mirada complementaria a esos estudios. Centrándose en temáticas como el acceso a los recursos ; la división sexual del trabajo y la apropiación de los productos del trabajo ; la organización social de la reproducción – y, en el caso de Tabet, el continuum del intercambio económico-sexual[2] – este marco de análisis permite pensar de forma conjunta las cuestiones económicas y las relaciones sociales de género[3], algo de particular interés en los contextos mineros, que viven transformaciones socioeconomicas aceleradas (Hervé, 2013).

La primera hipótesis de este trabajo es que los conflictos dentro de las parejas en el contexto minero de Espinar son el resultado de la desigual repartición de los costos y de los beneficios de las actividades mineras en función del género, en una suerte de “masculinización de las ganancias” y de “feminización de las pérdidas” (Grieco, 2018 : 301). En segundo lugar, planteo que la profundización de la desigualdad de acceso a los recursos económicos por género – vinculado a la presencia de un grupo de hombres (“los mineros”) con mayor capacidad económica y prestigio social – implica una transformación de las modalidades concretas del intercambio económico-sexual (Tabet, 2005). Así, este intercambio ya no sucede sólo dentro del estricto marco de la familia heterosexual (con hombres campesinos) sino que pasa a constituirse un mercado de servicios (retribuidos por un pago explícito y en dinero – en dirección de los mineros), generando un conflicto entre estas categorías de hombres por la apropiación de las mujeres (Guillaumin, 1978) y de su trabajo.

Para eso, me baso principalmente en dos trabajos de campo. Durante el primero, a inicios del 2017, realicé 40 entrevistas semi-estructuradas a mujeres de las ocho comunidades “del área de influencia social” del proyecto minero Antapaccay (Cala Cala, Alto Huarca, Huarca, Alto Huancané, Bajo Huancané, Huisa, Huisa Ccollana, et Tintaya Marquiri) así como a unos 15 representantes de distintos sectores sociales en la capital provincial, Yauri[4]. El segundo trabajo de campo se realizó en setiembre 2019, esta vez exclusivamente en Yauri: desarrollé otras 40 entrevistas a hombres y mujeres separados, a funcionarios de las instituciones judiciales y municipales, organizaciones sociales (Club de Madres, Federación Campesina, etc.) e instituciones sociales (Iglesias, colegios). Complementé la información levantada con archivos judiciales proporcionado por el Tribunal mixto de Espinar, así como observaciones propias en el terreno.

Si bien resulta delicado reflejar con exactitud la complejidad social en todos sus matices – y con más razón en una zona minera – es el propósito de la ciencia proponer modelos, es decir simplificaciones, a fin de volverla inteligible. Para la necesidad de este artículo, trabajaré con una tipología de actores como sigue : por un lado, los varones campesinos espinarenses, que tienen (si es que tienen) un acceso precario a los ingresos monetarios derivados de la actividad minera, con empleos temporales, rotativos, y poco remunerados (ya que poco tecnificado). A menudo, esta categoría de hombres se ve obligada a migrar temporalmente lejos de Espinar para conseguir ingresos. Por otro lado, encontramos a los “mineros”, hombres urbanos/urbanizados provenientes de ciudades grandes del Perú – o los pocos locales que se han particularmente beneficiado de la presencia minera – y ejercen empleos más tecnificados y mejor remunerados (ingeniero, obrero perforista, operador de maquinaria pesada, etc). Suelen quedarse trabajando en Espinar un año o dos, antes de regresar a su lugar de origen, o de irse a trabajar a otro lugar. En cuanto a mujeres, trabajaré con tres categorías. Las mujeres campesinas – identificadas, más que por su lugar de residencia, por su vinculo con la actividad agrícola, aunque sea parcial, por moverse mucho entre la zona urbana (para el estudio de sus hijos) y la comunidad (para atender a la chacra y los animales). Son la mayoría en Espinar y Yauri: sin embargo, también encontramos algunas mujeres profesionales, que han estudiado en la ciudad y han regresado para un puesto de trabajo en el municipio o en alguna institución del Estado. Finalmente, las “mujeres del minero” son aquellas cuya pareja trabaja de forma estable en un empleo bien remunerado dentro de la jerarquía del sector minero y viven en Espinar. De nuevo, son minoría, en el sentido que las parejas de los mineros suelen vivir en otras ciudades. Si esta tipología y categorías resultan parciales, considero que son operativas para el análisis esquemático que se pretende plantear aquí.

Este trabajo se divide en las siguientes secciones. En una primera parte, propongo un análisis de las transformaciones socio-económicas en la provincia minera de Espinar a partir de una lectura de los roles productivos y reproductivos de género. En segundo lugar, intento mostrar cómo la presencia de los mineros altera y presiona las relaciones de pareja (formación, convivencia, separaciones), en un contexto donde las mujeres (solteras o casadas) tienen la esperanza de formar con un minero una relación que les permita estabilizar su situación económica. En tercer lugar, subrayo la manera en que la masculinización del acceso a los recursos a través de un buen salario termina siendo un mecanismo de control sobre las mujeres dentro de las parejas. Asimismo, esto no deja de ser en parte desafiado por la cada vez más frecuente apelación de las mujeres a instancias judiciales para defenderse. Finalmente, el último capítulo busca plantear esquemáticamente las reconfiguraciones de las modalidades concretas del intercambio económico-sexual, al desarrollarse un mercado de servicios más o menos abiertamente sexuales. Esto va de la mano, en la zona urbana espinarense, con la difusión de  una masculinidad “de conquista” más agresiva – al contacto con la masculinidad hegemónica (Connell, 1997 ; Fuller, 2001) de los trabajadores del sector minero – a la que corresponde una sexualización de los cuerpos femeninos.

I. Impactos de la minería y transformaciones socio-económicas desde una perspectiva de género en Espinar

          Una amplia literatura científica describe y analiza las transformaciones sociales que atraviesan las comunidades andinas con la implementación de proyectos mineros; desde la alta conflictividad y fragmentación social dentro de las comunidades aledañas (Barriga, 2012; Burneo y Chaparro, 2012), hasta la introducción o expansión del trabajo asalariado y de la economía monetaria en sociedades aún relativamente autónomas del mercado global. De hecho, la competencia por el uso de los recursos naturales (principalmente, el agua y la tierra [Damonte, 2012]), implica que éstos pasan de ser destinados a la agricultura – para la autoproducción  y autoconsumo (asegurando “cierto equilibrio de subsistencia al margen de la economía monetaria” [Hervé, 2013 : 71]) – a ser destinados a la megaminería, debilitando dicho equilibrio de subsistencia de las comunidades. En Espinar, la contaminación de los suelos y del agua[5] contribuye a ese fenómeno de pérdida de autonomía económica de los y las campesinas. Además, observamos una forma de monetización de la vida económica : introducida en parte por la migración masculina temporal (Oliart, 2005 ; Cortès, 2011) en función de las necesidades del calendario agrícola, se ve acelerado con la inyección de grandes cantidades de dinero en la provincia de Espinar (Cáceres, 2013). Ello viene acompañado de la pérdida o subordinación de mecanismos tradicionales de intercambio de bienes y servicios, como lo afirma un comunero de la provincia vecina de Cotambambas, también ubicada en una zona de influencia minera :

“Antes hacíamos ayni para trabajar en el campo. Hoy voy a tu chacra, mañana vienes a la mía. Ahora, pero, nadie quiere trabajar gratis, hay que pagar un jornal, y cuesta 30 o 35 soles, nadie tiene tanto dinero, entonces ya no trabajamos [en las chacras], sólo no se puede”.

Así, el acceso a bienes y servicios está cada vez más necesariamente mediado por el dinero. Esta integración de la economía campesina al mercado, si bien no es algo nuevo (Diez, 2013), se ve acelerado por el proceso minero, así como la transformación de los hábitos de consumo (Grieco, 2018) y el aumento del costo general de vida (Damonte, 2012).

Es en este contexto que asistimos “a una masculinización del trabajo asalariado en el ámbito rural minero [que] corresponde una feminización de las actividades agrícolas y ganaderas, a menudo negativamente afectadas por el acaparamiento de los recursos en tierra y agua vinculado a la minería”  (Grieco, 2018 : 97).

En Espinar, las cifras del INEI indican una generalización del trabajo asalariado o remunerado en las últimas décadas, y que son mayormente los hombres que se incorporan en él. En el Censos de Población del 1993, 18% de las mujeres y 29% de los hombres espinarenses eran “económicamente activos” (el trabajo siendo entendido por el INEI como una actividad remunerada en dinero, es decir, monetizada). En el 2017, eran 43% las mujeres y 70% los hombres “económicamente activos” : ello implica un aumento de la proporción de mujeres teniendo acceso a una actividad remunerada es de 25 puntos en este periodo, mientras el de los hombres de 41 puntos. Efectivamente, desde hace décadas, la búsqueda de un empleo remunerado es una tarea asignada a los hombres (De la Cadena, 1992). Así como me comentó una comunera espinarense : “nosotras las mujeres más estamos con los animales, y los hombres van a buscar dinero”.

Sin embargo, esta división sexual del trabajo (Kergoat, 2005), en general más rígida en los discursos que en la práctica (Oliart, 2005), se hace menos flexible en los contextos mineros. Primero, en los convenios de las comunidades “afectadas”[6] con la empresa minera, se suele negociar un puesto de trabajo (aunque rotativo, temporal y poco calificado en la jerarquía de los empleos del sector minero) para el “jefe de familia” – generalmente un hombre. Segundo, a medida que se debilita la multiocupación tradicional de la economía familiar campesina (Hervé, 2013) y que la sobrevivencia económica depende cada vez más del acceso a ingresos monetarios, la tarea principal y exclusiva obligación de los hombres, en los testimonios recogidos en Espinar, es “conseguir dinero” (migrando, trabajando “con la mina” u en obras publicas). Si no están en un trabajo remunerado, muchos campesinos “patean lata”, esperan, se dedican a otras cosas : asumen con más dificultad las tareas no remuneradas en el quehacer familiar.

Frente a ello, en las comunidades, son las mujeres las que mayormente se encargan de las actividades agropastorales (Remy, 2014) – precisamente aquellas que son negativamente impactadas por las consecuencias ambientales de la minería. Es, pues, el trabajo productivo y el aporte de las mujeres a la economía familiar que es afectado (Li, 2009). Además, el trabajo reproductivo (la carga mental y emocional) que se les asigna, es más pesado (preocupación por la salud de los hijos y de los animales, seguimiento médico, etc.). Pero también muchas mujeres se ven obligadas a buscar fuentes de ingresos monetarios, por más precario, mal pagado y agotador que sean : venta ambulante, apoyo puntual en cocina o trabajo doméstico, etc. Este aumento significativo de la carga de trabajo de las mujeres campesinas en contexto minero (Cuadros, 2011) es mejor resumido por las palabras de una comunera entrevistada : “Nosotras las mujeres, somos demasiado ocupadas para ser felices”.

En el marco de lo que la geógrafa feminista Sylvia Chant (2006) ha llamado “la feminización de la responsabilidad y de la obligación”, podemos considerar que, a la par que incrementa, se desvaloriza el trabajo de las mujeres, su tiempo y su esfuerzo (Weill, 2021). Una comunera comenta : “Los hombres no valoran nuestro trabajo de artesanías, quieren dinero rápido”.  Otra agrega : “el dinero, machista lo vuelve al varón, y poca cosa le hace a las mujeres y por eso los abandona”. Así, según lo expresan las mujeres entrevistadas, trabajar más horas para menos reconocimiento implicaría que su trabajo valga menos que el de los hombres, ya que se va estableciendo que el único “trabajo” es aquél que es remunerado (Silva Santiesteban, 2018).

Finalmente, la conjunción de todos esos factores implica una mayor dependencia económica de las mujeres hacia los maridos (que, con o sin acceso a los ingresos derivados de la minería, son quienes concentran la mayor parte de los ingresos monetarios familiares). Ello significa a su vez que en el marco familiar, la voz de las mujeres pesa relativamente menos al momento de decidir de los gastos familiares: varias entrevistadas afirman que, al considerar que sólo él trabaja, no tiene que “rendir cuentas” y puede gastar en alcohol u otro sin que ella tenga voz ni voto – y muchas mujeres declaran resignadamente que a su marido “le va y le viene” las necesidades de la familia, razón por la cual tienen que buscar trabajos remunerados, aunque sean precarios.

II. Las “nuevas” estrategias matrimoniales, entre asimetrías y tensiones

          Una estrategia observada para compensar esta creciente asimetría de poder dentro de las parejas, es el migrar hacia la capital provincial, Yauri, en la esperanza de encontrar un (mejor) trabajo remunerado (Weill, 2019). Otra es (re)negociar mejores alianzas matrimoniales: buscar un marido que les asegure cierto estatus social  y material. En un contexto de rápida transformación de las lógicas de formación de las parejas en los Andes rurales (Oliart, 2005), según varios entrevistados hombres y mujeres, la presencia de los trabajadores mineros hace “perder la cabeza” a las mujeres, solteras tanto como casadas, presionando asimismo las relaciones de pareja.

Estas cuestiones resuenan a fenómenos que escapan a los contextos mineros específicamente y permiten así plantear preguntas de interpretación de más amplio alcance, evitando la sobreinterpretación de los resultados en relación a la minería. En ese sentido, Patricia Oliart (2005 : 9), en un estudio en la provincia cusqueña no-minera de Quispicanchis (a 80km de Espinar), nota una “pérdida de eficacia de los sistemas tradicionales de control social de las comunidades para garantizar la formalización de las parejas jóvenes con hijos”. Bajo la influencia de una cultura sexual urbana “recreativa”   (aprendida principalmente por los varones jóvenes durante sus temporadas de migración) y de los lugares de socialización mixtos sin supervisión de la comunidad (en particular el colegio), Oliart observa que la sexualidad y la formación de las parejas, que solían ser estrictamente vigiladas por la comunidad, lo son cada vez menos. Paralelamente, subraya que la comunidad pierde su función de regulación de las uniones matrimoniales, cuya importancia económica es notable para las economías agrícolas familiares.

Es en este contexto más general que interviene, en Espinar, la figura del “minero” (Grieco, 2018) : hombre generalmente proveniente de o viviendo en una ciudad grande, que percibe altos ingresos económicos y goza de un prestigio social importante . Muchas jóvenes espinarenses sueñan con establecer una pareja con un ingeniero, un obrero perforista, operador de maquinaria pesada u otro técnico-profesional, a fin de asegurar su situación económica. El estatus material y simbólicamente prestigioso de los mineros genera una situación de asimetría tal que son numerosos los casos de “engaño”, para usar el término de los y las entrevistadas : el minero afirma estar soltero para establecer una relación sexual/amorosa con las jóvenes, que a su vez buscan establecer una unión estable. Sin embargo, resulta que él tiene familia en su lugar de origen, y la termina abandonando, a menudo con hijos, desapareciéndose de pronto. Es interesante notar que el número de “madres abandonadas” es sustancialmente mayor en Tintaya Marquiri, la comunidad campesina más cercana al centro de operaciones mineros (un tercio, aproximadamente, del total de embarazos, según las distintas entrevistas[7]). Frente a esos hombres de altos recursos (económicos y sociales), los mecanismos de presión comunales a fin que asuman sus responsabilidades – para retomar la expresión de Patricia Oliart (2005) – en caso de embarazo son muy precarios, y hasta casi inexistentes.

Sin embargo, como varios entrevistados de distintas categorías sociales lo subrayaron, “los mineros se meten con solteras y casadas por igual”. Así, la cuestión de las infidelidades femeninas es un tema de gran preocupación en Espinar (aunque las cifras tienden a indicar que la gran mayoría de infidelidades son masculinas[8]). Muchos entrevistados, varones y mujeres, rurales y urbanos, declararon que las mujeres casadas “se portan como solteras por la plata”: un comportamiento considerado muy sexual, un descuido de las responsabilidades del hogar a cambio de conseguir un “mejor trato” (afectivo y material) con un hombre “de fuera”. Sin embargo, al igual que para las mujeres solteras, la asimetría de poder afecta las mujeres que se separan para “irse con un minero”: muchos tienen aventuras en Espinar teniendo una familia en su lugar de residencia permanente, prometiendo una relación antes de irse de pronto.

Ante esa situación, los hombres espinarenses (que no trabajan, o no permanentemente, en el sector minero) entrevistados expresan con amargura una sensación de competencia desleal con los mineros que tienen un empleo permanente, altamente calificado y mejor pagado – competencia no sólo en cuanto a la capacidad laboral y económica (Fuller, 2001), sino a la capacidad sexual y marital. Como me lo comentó un comunero : “el hombre que no tiene trabajo, que es humilde, que no tiene plata, que no puede, la mina influye, y las mujeres se van con los mineros.” Los testimonios recogidos claramente vinculan el acceso a los recursos monetarios, el estatus masculino y la capacidad de “mantener a una mujer a su lado”, es decir de control sobre “su” mujer. Los celos hasta violentos de los esposos – con insultos refiriendo a la sexualidad femenina y su posible infidelidad, reflejados en entrevistas y archivos judiciales – es otra expresión de la sensación de pérdida de control sobre las mujeres. Así, en este contexto, se puede entender el ejercicio de la violencia de género como un intento para mantener o recobrar el control sobre las mujeres (Tabet, 2018), cuyas opciones matrimoniales parecen ampliarse en desmedro de los hombres espinarenses no mineros. Asimismo, las leyes que protegen a las mujeres ante la violencia de género son percibidas como otra forma de amordazar su autoridad masculina sobre ellas, alimentando una frustración latente.

III. Masculinización del acceso a los recursos y control sobre las mujeres

          Para los hombres, pues, acceder a buenos ingresos económicos es crucial para asegurar su estatus masculino: de ahí que la masculinización del trabajo asalariado no sólo es una situación de facto, sino que es un proceso continuo para excluir a las mujeres del acceso a los recursos y reforzar su dependencia económica, como lo veremos a continuación.  

Una consecuencia importante de la masculinización del trabajo asalariado es una suerte de derecho exclusivo al goce de los frutos de dicho trabajo. En base a observaciones directas, testimonios y archivos judiciales, parece ser una situación común que las mujeres estén “rogando” a su esposo para que “pase plata” para los gastos familiares – tenga ingresos importantes o no. El uso de la violencia para que no reclame más dinero al esposo, o para que no acceda a un trabajo remunerado, no es extraño. Así cuenta A., comunera ahora separada del padre de sus hijos:

“La violencia era porque no me daba plata, entonces yo exigía alimentos para su hijo, […] “estoy sin plata” me dice, se fue corriendo en moto a donde su mama. Bonito le dije, qué vamos a comer en todos los santos, ya llegaron los hijos, dame plata, le digo. “no tengo plata” me dice. […] Su hermana sale, “a qué vienes tu, qué quieres con mi hermano, a qué vienes” ella me mete la mano, él también. El juicio con ellos todavía sigue.”

Notemos la ruptura importante que ello representa en sociedades andinas donde las mujeres suelen ser las gestoras de la economía familiar (Ruiz Bravo, 2004): los hombres consideran cada vez más que su salario es exclusivamente de ellos ya que su esposa “no trabaja” (de forma remunerada). Según las palabras de una comunera de Huarca: “Para él era su salario, su trabajo que había hecho durante todos los años que hemos vivido, solo era de él, más no la mía”. De alguna forma, el salario es percibido como la retribución individual de un trabajo individual, contrastando con la lógica colectiva del tipo de trabajo agrícola tradicional (Gonzales de Olarte, 1984).

Empero, y de forma contradictoria, se observa una presión para que las mujeres no realicen trabajos remunerados: “le trata de mantenida que gracias a su sudor ella come y vive, habla de su plata es por eso que ella se puso a trabajar sin embargo […] no quiere que trabaje, que sólo trabajan las mujeres que putean con varones”, señala un testimonio para el Centro Emergencia Mujer. También se me mencionó el pedido de hombres a distintas organizaciones como el Municipio (importante proveedor de empleos en regiones rurales) que no se otorgue empleos a mujeres, “porque se metían con los ingenieros” subraya una entrevistada.

Resistencia a redistribuir los ingresos masculinos dentro de la familia, y a la vez, presión para que las mujeres no consigan ingresos propios: lo que parece estar aquí en juego, es la exclusión de las mujeres del acceso y del manejo de recursos monetarios. Ello implica mayor dependencia económica, y por ende capacidad de control de los esposos sobre ellas (DHSF, 2019) : en las palabras de una comunera de Alto Huarca, “las mujeres tienen que aprender a buscar dinero con un negocio, porque así casi no nos controlan. No saben cuanto ganamos o perdemos”.

Al masculinizarse el acceso al dinero, se masculinizan también aquellas cosas que el dinero permite: el tiempo libre (contraparte del tiempo “trabajado” para conseguirlo) y la capacidad de consumo (en particular de alcohol, símbolo mismo de la diversión). Esto es particularmente observable en las ferias, donde las mujeres venden comida y cerveza (trabajo productivo, aunque poco rentable) y cuidan los hijos (trabajo reproductivo no remunerado), mientras los hombres disfrutan del consumo y tiempo libre. La masculinización del salario y del tiempo libre, la estigmatización de las mujeres que toman y/o que se divierten[9] – una forma de exclusión simbólica de las mujeres de esas prerrogativas masculinas – así como el incremento global de la carga de trabajo femenino, es lo que permite la apropiación del trabajo de las mujeres por parte de los hombres (Tabet, 2018).

Ahora bien, el control sobre las mujeres y la apropiación de su trabajo no es algo fluido, sino que encuentra oposiciones y crea conflicto. Las mujeres acuden cada vez más a las instituciones judiciales del Estado (Juez de Paz, Tribunal Mixto) para exigir que se imponga la participación económica del varón a los gastos familiares, a través de juicios por alimento. En un contexto donde solían ser los hombres los interlocutores entre el Estado y las comunidades (Oliart, 2005; De la Cadena, 1992), eso es un proceso relativamente novedoso. Sin embargo, esta estrategia no deja de tener ambigüedades. Por un lado, la legislación nacional prohíbe la contratación de varones que tendrían juicios por alimentos, teniendo como consecuencia que algunas mujeres duden en denunciar el hecho, por miedo a entorpecer su propio acceso a recursos monetarios a través del varón. Segundo, la relación con algunos funcionarios del Estado reproduce formas de violencia racista y clasista (Méndez, 2000 ; Ruiz Bravo, 2004): por ejemplo, durante una entrevista, un juez expresa: “tu qué crees, que porque son campesinas así sucias no son… ¡son tremendas!”, o también “todos son iguales, embrutecidos por el alcohol, ahí está su animalidad”. En la misma linea, la forma en la que otros funcionarios policiales o judiciales tutean a las usuarias, o se dirigen a ellas con irritación o enojo mientras ellas bajan la mirada, también llama la atención. Tercero, hacer denuncias judiciales es una estrategia bastante costosa en términos de tiempo, dinero, y daños emocionales – ya que a veces los juicios no desembocan en nada. Son pocas las mujeres residentes en Espinar que, habiendo accedido a estudios, a migrar a la ciudad y a garantizar ingresos propios, viven las separaciones como una liberación más que como una catástrofe que amenaza su capacidad de sobrevivencia.[10]

En estas relaciones de género bajo tensión, donde se disputan recursos económicos y sociales para el control sobre, o la autonomía de las mujeres; la estrategia masculina más eficiente es garantizar ingresos todavía más altos para si. Las únicas personas que no realizan un trabajo asalariado y/o remunerado son las parejas de mineros, que gozan de un salario importante y estable. Si es un “alivio” de la responsabilidad de asegurar un trabajo remunerado (y una menor carga de trabajo), es un argumento de negociación y ejercicio de    una forma de control sobre el espacio físico y social en el cual se desenvuelve la mujer, en un « ideal femenino de movilidad controlada » (Bonfil, 1998, citada en Oliart 2005: 20). Cumplida su obligación de proveer ingresos monetarios, parece desaparecer cualquier otra responsabilidad exigible a los hombres. En las palabras de J., joven madre de familia con educación superior:

“he visto que varias esposas de los que trabajan en la mina: no trabajan. Ellas están mas en casa, atendiendo a los hijos. Entonces hay supongo que hay varias limitantes, pues no. La mujer no tiene poder económico, y también he visto se dice ‘pero si el trabaja, puede engañar, puede hacer lo que quiera, porque él trabaja’ ”.

De hecho, según el Tribunal letrado de paz, la mayor parte de infidelidades viene de hombres, pero sólo son denunciadas cuando dejan de “pasar plata”. Las infidelidades masculinas, a su vez, crean una forma de competencia entre mujeres por el hombre que les provee: para la secretaria de la parroquia de Yauri, para “ganarle a la otra” hay que ser una “buena mujer”, darle placer al hombre. Esta competencia funciona así como un mecanismo de disciplinamiento de las mujeres y de domesticación de su comportamiento, reforzando estereotipos y roles de género. La consciencia de que la masculinización de los altos ingresos monetarios funciona como un dispositivo de control (Tabet, 2018) parece ser difusa pero extensa en las entrevistas realizadas.

Como lo señaló Paola Tabet (2005), esta asimetría económica por género más aguda se refleja en la acentuación de la unidireccionalidad de la sexualidad en el marco del espacio “legítimo” del intercambio económico-sexual: el matrimonio y la familia heterosexual. A su vez, para los “mineros” y varones con altos ingresos económicos en general, la ostentación de una multiplicidad de parejas – y por tanto, del ejercicio de control sobre una multiplicidad de mujeres – sirve de demostración de una alta posición en la jerarquía de los hombres.

Por supuesto, la dominación masculina no ha aparecido con las actividades mineras. Más bien, al igual que De la Cadena (1992), me interesa aquí analizar las reconfiguraciones de las formas de dominación masculina a través del tiempo y en el marco de las transformaciones socioeconomicas que genera la gran minería. Si, como lo muestra Hervé (2013 : 69), el trabajo asalariado – que se generaliza con la introducción de la actividad minera – es un “instrumento de dominación” que asegura una forma de control de la empresa minera sobre las comunidades ; siguiendo la idea de “patriarcado del salario” de Federici (2018), también es un dispositivo de control de los hombres asalariados sobre las mujeres. Subrayar las modalidades de articulación de las relaciones de dominación y dependencia económica y sexual, sirve para poner de relieve las complicidades y los acuerdos tácitos que permiten la reproducción de las mismas (Lugones, 2008). Dentro del “pacto patriarcal dependiente” (de Assis Clímaco, 2016), vemos como el patriarcado central (minero, urbano, capitalista) asegura la colaboración de los hombres campesinos a cambio de una cuota de poder sobre las mujeres: a través de la promesa de un buen salario, para lo cual buscan negociar con la empresa minera (o, en algunos casos, con el Estado).

IV. Hombres conquistadores, mujeres sexualizadas, y desplazamiento del intercambio económico-sexual

          La cuestión de la infidelidad es transversal y central en las entrevistas, y como lo hemos visto, íntimamente articulada a la cuestión económica en acelerada transformación con la presencia minera. Interesarse detenidamente en la recomposición de la ideología y de las prácticas sexuales es, pues, clave para entender cómo la minería afecta las relaciones de género. En esta última parte del presente artículo, me limitaré a presentar algunos esbozos de análisis que surgen de mi tesis de maestría, pero que merecerían mayores indagaciones y futuros trabajos que lo detallen con más precisión.

En muchas de las entrevistas realizadas, se mencionó que “los hombres cambian” cuando empiezan a trabajar con la mina o a ganar mucho dinero. Como lo comenta V., periodista espinarense:

“es notable eso […] como una persona que antes era humilde, era social, una vez que llega a trabajar en una empresa minera, llegan a tener lógicamente dinero, a raíz del dinero en sí, […] cambia no solamente con sus amigos, con su comunidad, sino también, lo peor es que cambia con su propia familia, en este caso con su pareja, abandonando a sus hijos, o llegan a tener otras parejas, fuera de su hogar. Y el cambio es radical, hay mucha gente que lamentablemente ha llegado a separarse primero.”

En una conversación con dos trabajadores mineros, me explican además : “Viene gente de fuera que traen otra cultura. Dicen ‘qué, pudiendo [tener a otra], nunca lo has hecho?’ Y pling, el otro se pone a pensar y quiere probar”. Este testimonio sugiere que se van ‘aprendiendo’ otras masculinidades, entrando en contacto las normatividades de género locales, rurales con las urbanas y hegemónicas (Connell, 1997 ; Segato, 2015). En efecto, hay indicios que el recurrir a la infidelidad “porque se puede”, es un elemento aprendido en contacto con los mineros “venidos de otros lugares”, es decir, de las principales zonas urbanas del país. El mostrar, ante otros hombres, la capacidad de iniciativa sexual parece ser central de ese ‘aprendizaje’: desde ostentar camionetas caras al frente de los lugares de prostitución, hasta llevar ropa de trabajo minero en los bares y las discotecas, o reivindicar, en espacio de homosociabilidad, el tener varias parejas… Esto se ve reflejado en un anécdota personal en la plaza central de Yauri, cuando me encontré objeto de seducción de un minero bastante mayor que yo, originario de una comunidad “afectada” y que venía trabajando en la mina por una década. Frente a sus colegas que lo pifeaban, riéndose, su actitud coqueta hacia mi, que contrastaba netamente con el comportamiento que suelen adoptar los comuneros con mi persona (una mujer joven, blanca, extranjera), es un ejemplo de la actitud ‘conquistadora’ de los hombres en contacto con el sector minero, y de su dimensión performativa ante sus pares. Sin embargo, el máximo ejemplo de esto, sigue siendo la frecuentación de lugares de prostitución, y así demostrar de que uno “puede”, económica y sexualmente.

En un contexto poscolonial donde la masculinidad indígena ha sido, y sigue siendo, feminizada y asociada a la impotencia sexual (Segato, 2015), se podría sugerir que se trata, para los hombres espinarenses, de adquirir los medios materiales pero también de demostrar su masculinidad adoptando los patrones de la masculinidad hegemónica (Connell, 1997) –  urbana, “blanqueada”[11] por la conquista sexual – para así restaurar la “virilidad perjudicada” de la “masculinidad racializada” (Segato, 2015: 87).

Este aprendizaje de una masculinidad urbana-hegemónica ‘conquistadora’ se da paralelamente a una sexualización de los cuerpos femeninos, inevitablemente enmarcada también en patrones etno-raciales. Así, vemos cómo en Espinar, se han multiplicado los bares y discotecas desde hace unos diez años, frecuentados por una población más bien urbanizada  (trabajadoras del Estado o del municipio, de programas sociales diversos, etc. – las mujeres originarias de las comunidades suelen “tener miedo de pisar ese lugar”). Se observa en esos espacios una suerte performance de los cuerpos femeninos sexualizados (en cuanto a la postura del cuerpo y las miradas lascivas hacia los hombres, y una cierta consciencia del cuerpo propio como objeto de deseo en el espacio). Esta sexualización “a lo urbano” llama la atención por el contraste con lo que se puede observar en las calles, de día, en las mujeres originarias de las comunidades (más bien tímidas, con ropa menos pegada al cuerpo). Es de notar que en los lugares frecuentados por los mineros, las mujeres tienden a asumir esta forma de vestir y de actuar : desde las discotecas hasta los restaurantes de Tintaya Marquiri (comunidad más cercana al centro de operaciones mineras), pero también en propagandas como la del consorcio TEPSUR, empresa de formación técnica en el sector minero, cuyo imaginario pone en escena ese tipo de cuerpos femeninos sexualizados (véase la fotografia adjunta).

Caroline Weill Imagen

Fuente: fotografía realizada por la autora

Pero los espacios que favorecen la percepción sexual de las mujeres comuneras también se multiplican: la cantidad de fiestas, de ferias, de concursos y demás ha aumentado mucho debido a la cantidad de dinero en circulación en la provincia minera. La multiplicación de esos espacios de diversión es comprendida   Pero lo que más contribuye a sexualizar a las mujeres es el desarrollo de un abanico de trabajos remunerados que presentan un carácter más o menos abiertamente sexual. El desarrollo de la prostitución en las zonas mineras, a menudo ejercido por mujeres provenientes de otras regiones del país (Cuadros, 2011), es un hecho ya ampliamente documentado (Grieco, 2018 ; Machado, 2018). Sin embrago, otros tipos de servicios de carácter sexual se desarrollan también : la atención en bares o cantinas, que no implica necesariamente prostitución, sino servicios de compañía que no dejan de tener un carácter sexual, como es el sistema de ficha. Mujeres, a menudo muy jóvenes y provenientes de las comunidades de Espinar y provincias vecinas, acompañan a los clientes del bar  (generalmente trabajadores de los proyectos mineros cercanos y que pasan por Espinar) y les hacen consumir licor. El pago por su servicio es en tickets (de un valor de unos 10 Soles) entregado por los dueños del bar por cada jarra que sus clientes compran mientras ellas los acompañan. Además, incluso para acceder a trabajos remunerados que no son aparentemente sexuales (ser cantante folclórica, por ejemplo) es a menudo insinuado que es necesario brindar una contraparte sexual.

Particularmente, la precariedad económica y la desvalorización simbólica de las madres solteras les empuja a buscar trabajo en un sector donde se les exige disponibilidad sexual. En las palabras de una comunera: “si una mujer se separa, hasta un perro tiene más valor que ella, es lo que dicen”.  Si una mujer está separada, o ha tenido varias parejas en su vida, sería más facil tener relaciones sexuales con ella : así, fuera de la estricta unión con un hombre, las mujeres podrían ser potencialmente disponibles para todos los hombres. Así, por un lado, muchas madres abandonadas lo son como resultado de un intento fallido de formar pareja estable con un minero; y por otro lado, deben buscar dinero fácil prestando servicios más o menos abiertamente sexuales. Ya que las infidelidades con un minero siempre son una posibilidad, significa que la presencia de los mineros, en sí, implica una potencial puesta a disposición sexual de todas las mujeres, y la gran asimetría de posición social que implica su presencia en Espinar es a la vez causa y consecuencia de dicha puesta a disposición sexual.

Se puede entonces afirmar que la reconfiguración de las relaciones de socio-económicas impactan la forma concreta que cobra el continuum del intercambio económico-sexual (Tabet, 2005): los servicios sexuales brindados por las mujeres se van mercantilizado, en la base material de una mayor asimetría de acceso a los recursos, y en la base simbólica de la construcción de una femineidad sexualizada y de una masculinidad sexualmente conquistadora.

Conclusiones

      Lo analizado aquí en el contexto de Espinar no pretende ser algo nuevo o novedoso; más bien, constituye un ejemplo paradigmático de distintas dinámicas que atraviesan las sociedades andinas a medida que se van articulando a la globalización capitalista (Martínez, 2004). La reconfiguración de las relaciones económicas bajo la influencia de la gran minería ha tenido impactos directos en las relaciones de género y en la división sexual del trabajo, devaluando el trabajo de las mujeres, profundizando el desigual acceso a los recursos, y agudizando los conflictos dentro de las parejas y las familias. Se viene reconfigurando la modalidad de control sobre las mujeres para seguir garantizando la apropiación de su trabajo y de sus cuerpos, lo cual genera una sensación de competencia desleal entre mineros y comuneros. En ese proceso, el (buen) salario es un mecanismo central – lo cual es parcialmente desafiado por las mujeres, en función de sus recursos sociales, económicos, educativos, etc. Finalmente, como se vio, las modalidades concretas del intercambio económico-sexual se desplazan del ámbito estricto de la familia al mercado de servicios, en medio de una profundización de la unilateralidad de la sexualidad vinculada a las crecientes desigualdades de acceso a recursos entre varones y mujeres.

Las transformaciones de las relaciones sociales de género bajo la influencia de la megaminería siguen siendo un tema amplio que merecen mayores indagaciones. Los primeros resultados de esta tesis de maestria subrayan la pertinencia de mobilizar un marco de lectura feminista materialista para pensar conjuntamente las dinamicas socioeconomicas y las relaciones de género. A partir de este trabajo, nuevas interrogantes surgen, entre las cuales, la exploración de paralelos a veces mencionados por las personas con quienes pude hablar: ¿será que “los mineros son los nuevos hacendados”? ¿Los “engaños” de la mina con las comunidades (para poder explotar los minerales) serán el reflejo de los “engaños” de los hombres con las mujeres (para tener relaciones sexuales)? ¿Qué rupturas y continuidades en los patrones de poder en los Andes, desde la Reforma Agraria hasta la megaminería moderna?

Notas de fin

[1]    Cita de una joven comunera entrevistada en Yauri, Espinar, abril 2017.

[2]    El concepto de intercambio económico-sexual fue acuñado por la antropóloga italiana Paola Tabet en los años 1970. Plantea que, en base a la exclusión de las mujeres del acceso a los recursos económicos (propiedad de la tierra, salario, ingresos, herramientas, etc.), éstas desarrollan una sexualidad “de servicio”, que intercambian con los hombres (entendidos como clase social) que monopolizan el acceso a dichos recursos. Las modalidades concretas de este intercambio varían de un contexto al otro, los dos puntos opuestos en este continuum siendo el matrimonio (en el cual está globalmente apropiado el trabajo productivo, reproductivo, sexual y emocional de las mujeres) y la prostitución – donde se establecen tarifas, temporalidades, etc. El análisis que desarrolla Tabet sobre la violencia de género como mecanismo de sanción para perpetuar la apropiación de la sexualidad y del trabajo femenino en el marco de normas sociales establecidas, permite además pensar estas dinámicas fuera de un marco moralista, y en relación con los intereses materiales concretos que están en juego en las relaciones sociales de género.

[3]    “Relaciones sociales de género” como traduccion tentativa del concepto de “rapports sociaux de sexe” tal como lo define Kergoat (2005).

[4]    Los estudios sobre la “nueva ruralidad” (Castillo y Brereton, 2018), es decir las relaciones sociales en los Andes, tienden a mostrar lo “artificial” de la dicotomía entre urbano y rural. En el distrito de Espinar, en particular, la ubicación cercana de las comunidades “del área de influencia” al centro urbano de Yauri (entre 20 y 30 minutos en transporte motorizado) implica una fuerte movilidad (a menudo, diaria o semanal) entre comunidades rurales y centro urbano, y cierta fluidez entre ambos espacios. En las palabras de E., mujer de edad media viviendo en Yauri: “Si viven en el pueblo, en los dos viven. La mayoría van al campo, temprano ordeñan la vaca, después dejan en cancha eléctrica, después al medio día van, en la tarde lo cierran, se vienen al pueblo, así. Mayoría ya tienen moto.” Como se detallará más adelante, la repartición geográfica y laboral entre urbano y rural tiene un fuerte componente de género.

[5]    La contaminación de los suelos y las aguas del río Cañipía ha sido establecida por varios informes oficiales (MINAM, 2013 ; CENSOPAS, 2014),  aunque ninguna responsabilidad ha sido oficialmente establecida.

[6]    Las empresas mineras trabajan en base a una tipología de zonas de afectación social y ambiental, lo que da distintos derechos y posibilidad de negociación a las comunidades ubicadas en las zonas “de impacto directo” o “indirecto”.

[7]    Entre otras, entrevistas a una profesora del colegio de Tintaya Marquiri, a un comunero y a la presidenta del Club de Madres de la comunidad.

[8]    Es difícil construir una cifra estable sobre las infidelidades ; sin embargo, los y las entrevistadas consideran que en promedio una quinta parte de las infidelidades serían por parte de las mujeres. Según el Tribunal Mixto de Espinar, las separaciones provocadas por la infidelidad y/o decisión de irse de una mujer son apenas una décima parte del total de sus expedientes. La abundante mayoría de separaciones serían, entonces, provocadas por hombres que “abandonan” a su familia por “conseguir otra pareja” – lo cual veremos en la siguiente parte del presente artículo.

[9]    Con expresiones como “mariposa borracha”, “mujer en perdición”, pero también que “toman como hombres”.

[10]  Por lo general, se limitan a las mujeres empleadas por las instituciones del Estado: en el municipio, en programas sociales o de desarrollo, o en instituciones judiciales. Según el gerente de Recursos Humanos de la municipalidad, las mujeres que trabajan en el municipio ocupan en mayoría las categorías de trabajo más bajos, indicando que dichas mujeres con mayores recursos sociales y económicos son una minoría.

[11]  “Blanqueada” en el mismo sentido que Marisol de la Cadena habla de la “desindianización” de los hombres campesinos a través de su contacto con la urbanidad y el empleo remunerado.

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Para citar este artículo
Caroline Weill,
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A poesia de Gilka Machado e a crítica literária da Belle Époque brasileira 

La poésie de Gilka Machado et la critique littéraire de la Belle Époque brésilienne

Resumo
Este artigo tem por objetivo analisar a relação que se estabelece entre a poesia de Gilka Machado e o campo intelectual do Rio de Janeiro do início do século XX, período que a historiografia especializada identifica como a Belle Époque brasileira. Nessa perspectiva, investigamos a recepção dos críticos literários à obra da autora, realizando uma comparação com a produção de autoria feminina que lutava por espaço e legitimação. A metodologia de pesquisa utilizada consiste no estudo de crônicas publicadas em periódicos da época, realizando uma reflexão sobre as questões enfrentadas pelas poetas, como o confronto à enunciação tradicional e à temática da musa em seus poemas. Como resultados, averiguamos que a crítica literária da Belle Époque brasileira utilizava padrões limitantes para avaliar a literatura escrita por mulheres, oscilando entre um olhar condescendente e uma postura excludente.

Palavras-chave: Gilka Machado; Poesia; Crítica brasileira.

Résumé
Cet article vise à analyser la relation établie entre la poésie de Gilka Machado et le champ intellectuel de Rio de Janeiro au début du XXe siècle, période que l'historiographie spécialisée identifie comme la Belle Époque brésilienne. Dans cette perspective, nous avons étudié l'accueil réservé par les critiques littéraires au travail de l'auteure, en lien avec la production des écrivaines qui se battaient pour l'espace et la légitimité littéraire. La méthodologie de recherche utilisée consiste à étudier les chroniques publiées dans les périodiques de l'époque, en menant une réflexion sur les enjeux littéraires pour les poétesses : comme la confrontation à l'énonciation traditionnelle et au thème de la muse dans leurs poèmes. En conséquence, nous avons constaté que la critique littéraire de la Belle Époque brésilienne utilisait des critères particuliers pour l’évaluation de la littérature écrite par des femmes : oscillant entre un regard condescendant et une posture d’exclusion.

Mots clés : Gilka Machado; Poésie; Critique brésilienne.

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Suzane Silveira

Doutoranda em Literatura Brasileira
Universidade Federal do Rio de Janeiro (UFRJ)
Núcleo Interdisciplinar de Estudos da Mulher na Literatura (NIELM)

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Reçu le 11 octobre 2020/Accepté le 12 juillet 2021

A poesia de Gilka Machado e a crítica literária da Belle Époque brasileira

Introdução

          Analisar a relação entre a produção de autoria feminina no período da Belle Époque brasileira e sua recepção crítica é adentrar o pensamento discriminatório contra a mulher vigente no século XIX e a construção de um imaginário em torno da literatura produzida por mulheres, uma vez que o difícil acesso à educação formal e aos meios de publicação e de divulgação de livros, disponíveis às escritoras, eram limitados. Paralelamente, podemos observar uma grande expansão do número de autoras no final do século XIX e início do XX (principalmente em matéria de poesia) colocando para a sociedade a questão da mulher escritora. Esse fato motivou a opinião reacionária da crítica literária, dividida entre um olhar condescendente – que admirava a obra, mas procurava separá-la da vida da autora como se essa dissociação preservasse a integridade moral da artista; e uma crítica mordaz – que buscava coibir a produção de autoria feminina, à procura de espaço e viabilização. Assim, mesmo os críticos que se mostravam apreciadores da qualidade dos livros das autoras condenavam o seu conteúdo, especialmente aqueles com teor erótico, como é o caso de Gilka Machado.

Com isso, a literatura de autoria feminina apresentou um verdadeiro problema de cunho ético e teórico para a crítica da época, cujas leituras partiam principalmente de aspectos biográficos das autoras. Não foi à toa, portanto, que o livro Cristais partidos, publicado em 1915 por Gilka, provocou sentimentos simultâneos de fascínio e fúria na crítica da Belle Époque brasileira. Tal furor deveu-se não só à temática sensual dos versos, mas, sobretudo, ao questionamento direto e indireto do lugar da mulher em uma sociedade que a incapacitava intelectualmente, privando-a dos meios efetivos de seu livre desenvolvimento criativo e artístico. A nossa proposta oferece um novo olhar sobre a dinâmica presente no campo literário da virada do século XIX e início do XX, pois se propõe a investigar o jogo de interesses que permeava a intelectualidade brasileira em vias de consolidação de suas instituições legitimadoras, como a fundação da Academia Brasileira de Letras em 1897 – o que resultou na exclusão de muitas autoras do cânone nacional e na posição subalterna da literatura de autoria feminina na historiografia literária. Ademais, analisar a obra de Gilka Machado é relevante, pois a autora subverteu alguns importantes paradigmas na poesia escrita por mulheres do período: como a relação com a convenção da musa e a delimitação da marca de gênero no sujeito da enunciação, apresentando, assim, um eu-lírico feminino que fala a partir das experiências e sensações de um corpo de mulher.

I. A recepção dos críticos da Belle Époque brasileira e o problema da poesia máscula

     Conforme aponta Brito Broca, em A vida literária no Brasil – 1900 (1975), o fim do século XIX e início do XX foi um momento profícuo de expansão literária de autoria feminina, fruto das transformações – ainda que lentas – na mentalidade, na imprensa e no trabalho de educação das mulheres, possibilitando o seu acesso ao mundo das letras e da intelectualidade da Belle Époque. Período que, conforme aponta Jeffrey Needell, em Belle Époque tropical (1993) estendeu-se aproximadamente da proclamação da República no Brasil, em 1889, até à Semana de Arte Moderna em 1922, quando a sociedade fluminense experimentou uma efervescência econômica e cultural.

Segundo aponta a pesquisadora Sylvia Paixão (1990), a crítica literária sempre se manifestou com um olhar condescendente em relação à mulher que escrevia no século XIX, contribuindo, de certa forma, para que a produção literária de escritoras se apresentasse como um sinal-a-menos. O sentido dessa diferença estava baseado no preconceito de gênero que distinguia a produção de autoria masculina com critérios como “cerebral” e “universal”, de uma escrita de autoria feminina que trataria apenas de questões específicas das mulheres como a maternidade e o amor. Esse processo discriminatório influenciou de modo significativo a produção de autoria feminina com reflexos até os dias atuais no sentido de direcionar a recepção às obras de escritoras sempre dentro de uma chave estereotipada de gênero com certos temas, considerados próprios “à fala da mulher”.

Desse modo, ao tomarmos como campo de análise o Rio de Janeiro da então Capital Federal, podemos perceber que aí se manifesta uma situação pitoresca na recepção à produção literária das mulheres. Se, por um lado, há certa condescendência na leitura dos críticos homens a respeito das escritoras, por outro lado há uma crítica feroz a esse comportamento considerado “desviante” segundo as normas e parâmetros de uma sociedade patriarcal. Notamos, contudo, que ambas as abordagens se inserem dentro de uma dialética político-ideológica: a mulher escritora brasileira surgia como signo de progresso, sendo frequentemente comparada às americanas e às britânicas, e modelo de uma nova conduta de mulher cidadã e participante da vida culta que a recente instaurada República suscitara – imagem que alguns críticos assumiam em “defesa” das escritoras.

Paralelamente a essa visão, segundo Dal Farra (2014), a expectativa de emancipação das mulheres por meio da transição para um regime mais democrático foi frustrada, uma vez que a República propunha cidadania para os homens e maternidade para as mulheres. Segundo a pesquisadora, existia um medo generalizado de que a mudança de postura da mulher, e sua consequente saída do claustro do lar e independência intelectual e financeira, desestabilizasse por completo a estrutura social que era baseada em sua submissão e servidão. Deu-se, pois, um fato curioso na crítica literária de autoria masculina do período, que apresenta uma análise esquizofrênica da produção feminina: elogiam os livros das autoras – que classificam como exceção de pensamento, já que a ação de pensar era tida por eles como atributo masculino – certificando-se de separar vida e obra das escritoras, numa tentativa de preservar uma pretensiosa pudicícia dessas mulheres, mesmo que o seu ato de escrita fosse francamente transgressor.

Podemos citar, como exemplo dessa empreitada, uma crônica[1] de Monteiro Lobato publicada no Correio da Manhã do 23 de julho de 1920, intitulada “Em pleno sonho”, em que discorre sobre a produção literária feminina do início do século novecentista. O texto se inicia com um tom aparentemente otimista em relação à produção feminina que surgia, afirmando que as modernas escritoras não mais apresentavam em seus trabalhos o aspecto lamurioso ou suspirante de antes: “Outrora, no Brasil de anquinhas, ser poetisa era suspirar (...) Hoje tudo mudou. Se há suspiros é em casa de doceiras: clara d’ovo batida com açúcar e assada em pingões ao forno” (Lobato, 1920: 2). Entretanto, aquilo que poderíamos supor como uma novidade inspiradora para o autor de Sítio do pica-pau amarelo é considerada por ele como um decréscimo.

Suspiro poético, arrancado do imo d’alma, à força de contrações do diafragma e sibilo de nariz, isso morreu, saiu da moda, acabou. E é pena. Se não tinha graça num marmanjão de cabeleira que morria hético aos 20 anos, tinha-a de mais nas representantes do sexo hoje ex-frágil, cujos corações não eram consultados nem para o negócio supremo das suas vidinhas: casar (Lobato, 1920: 2).

O modo sarcástico com que o crítico defende a sua visão, tecendo a argumentação de que, ao equipararem-se ao escritor homem, as autoras perderam certa “aura” que as distinguia como “seres fatais” é emblemática da crítica condescendente que apresenta a estratégia de enaltecer uma figura idealizada de escritora, justamente para alijá-la de qualquer seriedade ou efetiva participação social: “(...) assim também a poetisa desfatalizou-se e não há mais discerni-las à janela pelo negror das olheiras, nem à noite pelo modo canino de ferrar o olho na lua” (Lobato, 1920: 02). Com isso, Lobato apresenta, paradoxalmente, como defeito das obras das autoras justamente o fato de serem mulheres, o que as levaria a extrapolar a emoção poética em uma contraditória “sensibilidade feminina”, tornando-as inaptas ao ofício da escrita. É evidente que essa forma de crítica condescendente tem por base as desigualdades sociais de gênero, o que transparece na análise do crítico José Oiticica (que assinava os seus textos sob o pseudônimo de G.B.) em crônica sobre o primeiro livro de Gilka Machado, publicada no periódico Correio da Manhã em fevereiro de 1916. Na crítica de Oiticica, apesar de ressaltar as qualidades artísticas, segundo ele louváveis de Cristais partidos, afirma que o livro não é uma leitura recomendada para “moças” e se configura, em sua opinião, como um sintoma maléfico da falta de educação religiosa das meninas. Com isso, relata, como consequência da ausência de um ensino cristão, o suicídio de adolescentes que alarmava pelo número de casos, preocupando as mães da época.

O livro de D. Gilka Machado é a revelação de uma belíssima artista, de uma poetisa de primeira ordem. Pena é que seja, ao lado disso, um triste sintoma destes tempos. Vê-se que a falta de educação religiosa está a produzir outros frutos além do suicídio de adolescentes cansadas do sofrimento de quatorze ou quinze anos de vida, ao lado de bonecas e de papás. O conde Affonso Celso, em carta recentemente publicada, com grande calor aplaudiu a autora dos Cristais Partidos, felicitando-a pelo seu triunfo. As mães que com tanta razão confiam na opinião do eminente escritor católico devem ficar sabendo que ele só considerou o livro como obra de arte. Como obra de arte é realmente um triunfo. Mas não é uma leitura para meninas (Oiticica, 1916: 2).

Na passagem acima, é notória a preocupação de José Oiticica em separar o livro de Gilka, enquanto obra de arte, de seu conteúdo temático que ele não considera “uma leitura para meninas”. Com isso, é importante observar que o crítico possui uma visão moralizante da leitura para mulheres, levando a crer que deve ter um caráter doutrinador ou domesticador. Por isso, admite serem os Cristais partidos um triunfo, porém, ao mesmo tempo, afirma que o livro é um sintoma da falta de educação religiosa das meninas. É muito sutil, portanto, o modo como o crítico desqualifica a obra relacionando-a ao suicídio de jovens e, por consequência, colocando a escrita de mulheres como um fator de perversão da sociedade, por isso enfatiza o “alerta às mães”.

Ora, o sofrimento dessas jovens, evocadas por Oiticica, pode na verdade ser fruto não da ausência de educação religiosa, mas justamente da opressão e controle sociais reafirmados pelo próprio discurso do crítico. Segundo nos apontam as críticas feministas estadunidenses Sandra Gilbert e Susan Gubar (2017: 203-204) em “Infecção na sentença: a escritora e a ansiedade de autoria”, capítulo de The Madwoman in the Attic, as consequências maléficas para a sanidade mental, e até mesmo física, das mulheres por conta da obrigatoriedade de (sobre)viver em uma sociedade que as adverte de que serão monstros se não se comportarem como anjos são o imobilismo e o colapso nervoso. No referido texto, Gilbert e Gubar analisam como o processo de escrita entre homens e mulheres diverge, uma vez que, enquanto o escritor tenta se distanciar dos autores homens anteriores – o que será nomeado de “ansiedade de influência” por Harold Bloom em A angústia da influência: uma teoria da poesia (2002) –, a mulher, a princípio, tem sua presença marcada na literatura com personagens estereotipadas. A escritora sofreria, assim, segundo as pesquisadoras americanas, de “ansiedade de autoria”, pois, diferentemente do homem que sente medo de não ser original, a mulher teria medo “de não poder criar, de que, porque ela nunca poderá vir a ser uma ‘precursora’, o ato de escrever irá isolá-la ou destruí-la” (Gilbert e Gubar, 2017: 1993). Assim, essa ansiedade seria intensificada pela necessidade de combater os predecessores homens, resultando na experimentação de sua própria identidade e na busca por um modelo feminino para se autenticar no espaço literário.

Como Oiticica, o crítico Agrippino Grieco expressa em ensaio intitulado “As poetisas do segundo Parnasianismo”, publicado em Evolução da poesia brasileira em 1947 pela editora José Olympio[2], afirma que a subjetividade feminina confrontadora da poesia de Gilka não deve ser confundida com a pessoa real da escritora, que não se comportaria, segundo ele, como uma “madama desabusada”, ou seja, não seguia a tendência de algumas feministas mais radicais do início do século XX que vestiam roupas masculinas e podiam ser vistas fumando charuto e usando binóculo e gravata. É sintomática também a grafia errada do nome da autora – fato que se percebe também em outras antologias da época – e que pode denotar certo desconhecimento efetivo de sua obra.

Queremos falar da sra. Gilca (sic) da Costa Machado. Objetarão em seus poemas uma inversão de papéis, apressando-se ela em dizer aos homens, como poetisa, certas coisas que devia esperar que eles lhe dissessem primeiro. Mas isso é apenas nos domínios da arte e, em sua vida modesta e altiva, nunca ninguém a viu tomar a atitude de certas madamas desabusadas – misto de sabichonas de Molière e de bas-bleus de 1830 – que pretendem adotar as maneiras masculinas, virando ulanos de saias, usando gravata e monóculo, fumando pelos botequins, quase indo ao extremo de andar travestidas pelas ruas, como fazia em Paris a quinquagenária Jane Dieulafoy, esposa de um célebre arqueólogo e ela mesma uma raridade de arqueologia (Grieco, 1947: 93-94).

II – A questão da musa na poesia da Belle Époque brasileira

      No cerne da discussão entre poesia e gênero proposta por escritoras, como Gilka Machado, no início do século XX, está a concepção da musa na poesia e o confronto ao enunciado poético tradicional. As nove Musas (Calíope, Clio, Erato, Euterpe, Melpômene, Polímnia, Tália, Urânia e Terpsícore) eram, dentro da mitologia grega, as entidades divinas que inspiravam cada qual uma arte diferente nos humanos – matriz para a noção de musa da poesia ocidental. Dentro dessa concepção, a figura feminina serviu, durante um longo tempo, apenas como inspiração para os homens, pois eram estes que possuíam os meios de produzir arte enquanto as mulheres, as silenciosas criaturas observadas, eram os temas de suas criações. Em relação a Safo de Lesbos (630 a.c.-580 a.c.), uma das mais conhecidas escritoras da tradição clássica grega, a fim de resolver esse “paradoxo” convencionou-se chamá-la pela contraditória alcunha de “a décima musa”, como podemos notar na famosa epigrama atribuído a Platão: “Dizem que há nove musas, que falta de memória! Esqueceram a décima, Safo de Lesbos” (Waltz; Soury, 1960: 63).

No Brasil do final do século XIX, o ideal da musa foi retomado fortemente pela escola parnasiana, que buscava recuperar elementos da poesia grega clássica. E, nessa retomada de estilo de escrita, o conceito de musa foi utilizado por muitos críticos como modelo de mulher: uma estátua muda e impassível, responsável por provocar nos homens poetas deliciosos e destruidores sentimentos. Essa visão equivocada foi utilizada, como demonstra Nádia Gotlib (2016), para defender a posição de que a poesia era uma atribuição masculina e, quando raras vezes se manifestavam “espíritos ardentes de escritoras”, estas deveriam escrever como se fossem homens. Conforme aponta Nádia, para sustentar essa tese o crítico e escritor gaúcho Leal de Souza utilizou como “musa suprema” a poetisa parnasiana Francisca Júlia (1871-1920), a qual gozava de prestígio nos meios literários do início do século XX. Na sua análise, a poesia “máscula” de Francisca Júlia era a produção superior que as mulheres escritoras produziram até então justamente por não apresentar nenhum vestígio do feminino nos seus poemas, muito menos em sua voz poética.

É claro que o poeta gaúcho associa o sujeito lírico a um ponto de vista masculino, enfatizando que a poetisa parnasiana imaginou a sua poesia como um homem o faria, ao criar as suas esfinges e estátuas, “submissa” às regras gerais da tradição clássica que utilizava o ideal das musas impassíveis, o qual Leal de Souza associa igualmente como motivo para poetas homens. Assim, contanto que uma escritora não se deixasse levar por seu ser feminino, ou seja, um ponto de vista a partir da mulher (questionamento do seu lugar na sociedade, seus sentimentos, seu corpo), ela poderia fazer parte do grupo seleto de mulheres que receberam a “benevolência” de serem aceitas pelos poetas homens, com ressalvas – nada de rebeldias.

Nada, nos másculos versos de FRANCISCA JÚLIA, denuncia a mulher. Diante de Vênus, é a de um homem a sua atitude. Dirigindo-se a um poeta ou falando a um artista, exalta-se o espírito ardente da escritora, porém a carne da mulher não pulsa. Na composição De volta da guerra, ela imagina ser um anoso veterano mutilado, mas em nenhuma alude à sua condição feminina (Souza, 1918: 78).

Por esse motivo, ao analisar a poesia de Gilka Machado e se defrontar com uma escrita identificada com o feminino, Leal de Souza tenta desqualificar a sua obra justamente com aquilo que a exalta: ela escreve a partir de suas experiências como mulher. Ele até identifica uma revolta social em sua poesia, mas, em seu conservadorismo, credita essa indignação aos “monótonos cenários prosaicos” e ao “amor convencional”, como se a denúncia em sua escrita do lugar restrito da mulher na sociedade se limitasse ao tédio de uma “vida feminina”. 

Gilka da Costa Machado, cantando com uma poderosa voz cheia de imprevistos acentos nunca dantes escutados, acende na delicada volúpia dos seus poemas, convulsivamente carinhosa, as enérgicas chamas das revoltas supremas: revoltas sociais da mulher ferida pela organização iníqua do mundo; revoltas estéticas da artista desgostosa dos monótonos cenários prosaicos; revoltas sentimentais do coração limitado a um círculo de amor convencional; revoltas audazes do espírito ébrio e sedento de liberdade! (Souza, 1918: 78).

Gilka Machado em seu livro de estreia parece responder literariamente a essa visão de um suposto modelo de escrita para as escritoras, as quais deveriam incorporar um neutro masculino para serem aceitas ou vistas como “sérias”. Em vez disso, no poema que abre Cristais partidos, a voz poética feminina gilkiana evoca a musa não para inspirá-la a escrever ou para contemplá-la, mas para produzirem juntas, cada uma compondo os seus versos, o trabalho poético: “No tórculo da forma o alvo cristal do Sonho,/ Ó Musa, vamos polir, em faina singular:/ os versos que compões, os versos que componho,/ virão estrofes de ouro após emoldurar” (Machado, 2017: 52) . Essa convocação fica expressa pelo verbo “vamos” enfatizando as duas influências estéticas que permeiam o livro: a parnasiana “no tórculo da forma” e a simbolista “o alvo cristal do Sonho”. O primeiro verso também denota esforço de escrita na palavra “tórculo” e de imaginação no vocábulo “Sonho”.

Na segunda estrofe do poema, a voz poética fala com a musa como se falasse a uma jovem escritora, ainda inexperiente e tímida, iniciando no ofício da escrita, aconselhando-a a abandonar o seu jeito acanhado, triste e submisso para que empregue a sua “perfeição”, ou a sua criatividade e inteligência, na “artística empresa” do fazer poético: “Para sempre abandona esse teu ar bisonho,/ esse teu taciturno, esse teu simples ar;/ a perfeição de que dispões e de que disponho,/ nesta artística empresa, é mister empregar” (Idem). Nesse sentido, parece falar com todas as mulheres que estão se lançando como escritoras, sendo o livro Cristais partidos também a primeira publicação de Gilka Machado e seu lançamento ruidoso no mundo das letras.

Na terceira estrofe, é apresentada a imagem do cristal como espelho (signo que está presente no título do livro e que reaparece posteriormente em outros poemas) que reflete duas imagens geralmente atribuídas à mulher – uma feição demoníaca e trágica e o símbolo da beleza infinita: “Seja espelho o cristal e, em seu todo, reflita/ a trágica feição que o mal consigo traz/ e o infinito esplendor da beleza infinita” (Machado, 2017: 52). Na quarta e última estrofe, a voz poética parece se dirigir à musa (ou às escritoras) avisando que ela se sentirá envaidecida quando “a rima soar”, ou seja com a sua obra pronta, e sentirá os efeitos no ser (na autoimagem) que palpita pela Arte (que produz arte) o som dos cristais se partindo em uma referência à estrofe anterior em que o cristal simbolizava espelho.

Assim, os cristais a que se refere o último verso são as imagens femininas da estrofe anterior, da mulher signo do mal e da mulher-objeto, reflexos dos cristais-espelhos da história, que se partirão com o soar da rima ou com a escrita das mulheres. De acordo com o final do poema, o choque dos cristais será sentido em todo o ser repentinamente envaidecido da musa (já que na segunda estrofe ela foi caracterizada com um ar bisonho, taciturno e simples) e será sonoro esse rumor dos cristais se partindo como a reverberação da recusa e da luta contra as imagens femininas aprisionadoras para as futuras gerações de mulheres – uma revolução empreendida pelas escritoras precursoras que ousaram escrever e colocar o que pensavam. E foi, de fato, sonora a repercussão do livro Cristais partidos na época de sua publicação fazendo sentir os seus ecos na produção de outras escritoras até os dias atuais, a respeito da “luta pelos direitos de acesso à inclusão do prazer erótico na poesia feminina brasileira” (Gotlib, 2016).

O ponto central da importância de Cristais partidos naquele contexto histórico-social, em meio a movimentos de defesa de maior representatividade social para as mulheres, é a apresentação de uma poesia na qual elas poderiam, finalmente, se mirar não como objeto de contemplação ou de especulação, mas como sujeito do discurso e de seu desejo sexual. Gilka apresenta um novo projeto estético, no qual questiona o lugar da mulher na sociedade e sua representação inferiorizada. Essa proposta se torna evidente no poema “Ânsia de Azul” (presente no mesmo livro) o qual, não por acaso, é dedicado a Francisca Júlia. No texto, a voz poética expõe a sua revolta com a posição rebaixada da mulher em uma sociedade que a aprisiona e a imobiliza. Segundo Gilbert e Gubar (2017), podemos entender esse endereçamento como forma de conexão a uma das poucas predecessoras, em uma busca por referências literárias maternas.

O início do poema apresenta um cenário primaveril de manhãs azuis de muita luz solar em que aves, entoando cantos de libertação, invadem o espaço aéreo e, metaforicamente, a mente do sujeito lírico, retomando a imagem da ave associada à imaginação poética. A vastidão da paisagem faz com que a voz poética deseje a infinita liberdade que vislumbra nos elementos da natureza. O sol tem lugar privilegiado nessa cena lúdica, derramando sobre todas as coisas uma luz radiante, multicor e sugestiva: “À vossa cor sublime, sugestiva, / onde há dedos de luz levemente a acenar, / por invencível sugestão cativa, / a alma das coisas sobe e flutua pelo ar” (Machado, 2017: 57). Em comparação à amplidão da paisagem natural, o sujeito lírico se depara com a sua condição pobre, pequena, dentro de uma sociedade que vigia e julga a todos, defendendo “bons costumes” de castidade e pureza quando, na verdade, é corrupta e hipócrita: “E que gozo sentir-me em plena liberdade, / longe do jugo atroz dos homens e da ronda/ da velha Sociedade/ - a messalina hedionda/ que, da vida no eterno carnaval, / se exibe fantasiada de vestal” (Idem). A voz poética prefere o autoexílio na natureza, caracterizada como “festa sacra de luz” enquanto a sociedade, em oposição, é tida como corrompida e depravada. Ao contemplar a vivacidade da natureza, o sujeito lírico medita sobre o seu próprio ser e flagra uma “alma tolhida” e um “corpo exausto e abjeto” de tanto ter de se acostumar a ser, na vida, um simples objeto:

Esta alma que carrego amarrada, tolhida,
Num corpo exausto e abjeto,
Há tanto acostumado a pertencer à vida
Como um traste qualquer, como um simples objeto,
Sem gozo, sem conforto,
E indiferente como um corpo morto;
Esta alma, acostumada a andar de rastros;
(Machado, 2017: 58)

Acontece, assim, um desejo do sujeito lírico em sair de si mesmo, em um movimento de transmutação em um animal selvagem. Interessante notar que a voz poética feminina identifica os seus gestos humanos como já animalizados (humanizada lesma), resultado da imobilização social de um gênero: “E analisando então os meus movimentos/ indecisos e lentos, / de humanizada lesma, / toma-me a sensação de fugir de mim mesma, / de meu ser tornar noutro, / e sair, a correr, qual desenfreado potro, / por estes campos/ escampos” (Machado, 2017: 58). Desse modo, essa subjetividade feminina, presente no poema, identifica a casa – que a disseram ser um lar – como uma terrível prisão (ergástulo), na qual tem as ideias agrilhoadas e aprisionado o corpo na inércia a que o submetem os preceitos sociais. Termina por maldizer a representação até então nula da mulher e se volta para o desejo por liberdade, de poder voar, como uma ave, acima das podridões terrenas, saciando-se de espaço e de luz.

Aves!
Quem me dera ter asas,
Para acima pairar das coisas rasas,
Das podridões terrenas,
E sair, como vós, ruflando no ar as penas,
E saciar-me de espaço, e saciar-me de luz,
Nestas manhãs tão suaves,
Nestas manhãs azuis, liricamente azuis!...
(Machado, 2017: 59)

A problemática em torno de uma escrita “máscula” como parâmetro para a autoria feminina se intensifica quando, em 1921, a Academia Brasileira de Letras decide propor um concurso literário para eleger o mais eminente escritor do período, em comemoração ao vigésimo quinto aniversário de sua fundação. Esse evento permeado por polêmicas intelectuais terminou por constatar dois fatos irrefutáveis: a grande produção literária de autoria feminina, principalmente em matéria de poesia, e o evidente sucesso dessas mulheres como escritoras, cujos livros estavam no topo dos mais vendidos na época. Infelizmente, outro fator ganharia relevo nesse concurso acadêmico da Casa de Machado de Assis e que se relacionou aos critérios utilizados pela banca julgadora para avaliar a obra que deveria ganhar o concurso. Segundo o que revela crônica do crítico João da Maia do Semanário Fon-Fon (RJ), publicada em 13 de agosto de 1921, os argumentos utilizados pelos imortais encarregados da escolha do melhor livro se pautariam pela linguagem refinada e pela forma parnasiana clássica: A Sra. Rosalina Coelho Lisboa Rademaker obteve o prêmio, porque (...) o seu livro é vazado em português castiço, em estilo acadêmico, (...) quando o Parnasianismo era ainda uma das mais belas expressões do sentimento poético...” (Maia, 1921).

Entretanto, o motivo mais contundente que teria levado ao primeiro lugar o Rito Pagão de Rosalina Coelho Lisboa não seria o caráter formal ou técnico de sua poesia, mas o conteúdo de seus versos, os quais apresentariam uma escrita “máscula”, de acordo com as palavras de João da Maia: “Como o impecável bardo dos Poémes Antiques, a Sra. D. Rosalina Coelho Lisboa Rademaker prefere os assuntos másculos, celebrando as batalhas homéricas, as legendas da Grécia, da Índia e da Idade Média” (MAIA, 1921, grifos nossos). Ao final da crônica de João da Maia temos a confirmação de sua opinião acerca da votação: que esta fora tendenciosa e injusta, uma vez que a Academia privilegiou a poesia de Rosalina, cujos versos, voltando-se para um passado remoto e saudoso, não apresentavam vestígios do feminino, em detrimento da obra de Gilka, a qual, em sua opinião, apresenta realmente uma proposta original em que a voz da mulher e suas ânsias poderiam ser ouvidas. Diplomático, João da Maia afirma que a decisão da Academia deve ser respeitada, apontando, porém, que o que definiu a decisão dos jurados foi mesmo a questão da poesia máscula, ou como grifamos no texto: “Dizem que o estilo é... a mulher”: “A Academia coroou a Sra. D. Rosalina Coelho Lisboa Rademaker. Nós já o sabíamos. Toda a gente o sabia. Os ruídos da pugna Academia ecoaram cá fora... Dizem que o estilo é... a mulher. A Academia premiou assim as altas virtudes de um temperamento olímpico e geométrico” (Maia, 1921, grifo nosso).

Conclusão

     O trabalho poético empreendido por Gilka Machado se configurou como uma espécie de mola propulsora para uma conscientização da produção artística de autoria feminina que, mais tarde, seria talvez o fenômeno mais significativo da literatura brasileira na segunda metade do século XX. Assim nos confirma Nelly Novaes Coelho (1993), em relação à transgressão do cânone patriarcal, ressaltando ser inegável que a literatura produzida por mulheres na Belle Époque brasileira foi um dos grandes instrumentos conscientizadores do século XX no Brasil. Desde as vozes femininas pioneiras, que na poesia do início do século se assumiram como transgressoras, até os dias atuais, a autoria feminina vem dando voz a uma nova consciência para as mulheres, não só em relação a si mesma, mas também em sua tarefa na construção da História, servindo como referência poética a várias escritoras posteriores, notadamente a partir dos anos 70 e 80, como Adélia Prado, Ana Cristina César, Astrid Cabral, Helena Parente Cunha, Heloneida Studart, Hilda Hilst, Lya Luft, Márcia Denser, Marly de Oliveira, Myriam Fraga, Nélida Piñon, Patrícia Bins e Sônia Coutinho, dentre tantas outras.

A obra de Gilka Machado se situa numa perspectiva decisiva na contestação aos padrões impostos pela crítica da época, numa provocação às bases de uma literatura conservadora, pois ousou escrever a partir de um ponto de vista feminino, numa época em que a convenção poética parnasiana pregava que as escritoras deveriam escrever “como se fossem homens”. Desse modo, o objetivo deste artigo foi recuperar a importância da participação intelectual da autora no início do século XX, contribuindo para um novo olhar sobre a sua poesia e sobre a literatura de autoria feminina do período, a qual teve que superar inúmeros desafios para a sua legitimação, perante uma crítica parcial e sexista. Injustamente relegada ao ostracismo pelo cânone, o seu projeto poético se pautou na realização de uma escrita marcada pelo feminino e pela subversão dos modelos literários, superando paradigmas limitantes, como a questão da musa na poesia produzida por mulheres.

Notas de fim

[1]As crônicas de primeira fonte utilizadas no presente texto foram obtidas através da hemeroteca digital da Biblioteca Nacional, cuja transcrição foi adequada à atual ortografia do português, segundo os parâmetros do vigente Acordo Ortográfico da Língua Portuguesa (1990), permanecendo, entretanto, certas marcas de estilo como a elisão da vogal em “d’ovo”, por exemplo, bem como a presença de neologismos.

[2] Livro publicado originalmente pela Ariel Editora Ltda., em 1932.

Bibliografia

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Pour citer cet article
Suzanne Silveira, « A poesia de Gilka Machado e a crítica literária da Belle Époque brasileira », RITA [en ligne], n°14 : septembre 2021, mis en ligne le 23 septembre 2021. Disponible en ligne: http://www.revue-rita.com/articlesvaria14/a-poesia-de-gilka-machado-e-a-critica-literaria-da-belle-epoque-brasileira-suzanne-silveira.html

 

Exemples d’exploration de la matérialité des plantes dans les récits de Jean-Baptiste Labat (XVIIe - XVIIIe siècle)

Examples of the exploration of plants materiality in the writings of Jean-Baptiste Labat (XVIIth - XVIIIth Century)

 

Résumé
Cet article apporte un nouveau regard sur l’écriture de l’histoire naturelle, culturelle, matérielle et visuelle des objets végétaux à l’époque moderne dans le cadre du « Nouveau Monde ». Pour cela, nous puisons nos exemples dans les publications des journaux des voyages aux Caraïbes écrits par Jean-Baptiste Labat entre le XVIIe et le XVIIIe siècle en analysant le discours produit par le colon européen sur de tels objets. Nous étudions ainsi les plantes d’une part, traces souvent imperceptibles, témoins muets de l’histoire, et les personnes, d’autre part, exécutant les tâches difficiles des plantations ; autant d’indices des usages et des pratiques des sociétés autochtones et des esclaves amenés par les colons européens sur des objets « non occidentaux ».

Mots clés : Pharmacopée ; Nouveau Monde ; Méthodologie ; Histoire naturelle ; Histoire matérielle et visuelle.

Summary
This article offers a new methodological approach to the writing of natural, cultural, material, and visual histories of plants in early-modern period. For this, we draw on examples from the published journals of Jean-Baptiste Labat regarding his exploration of Caribbean islands and territories in the seventeenth century and eighteenth centuries. On the one hand, our goal is to study plants as objects and their invisible traces as silent witnesses of history. On the other hand, we examine the harsh working conditions on plantations, and the practices of colonists, indigenous Americans and slaves dealing with plants as materials of knowledge in the form of drugs / remedies, food, artisanal and ethnographic objects. This “work-in-progress” research and methodological approach aim at looking anew at the sources, decentering our perception, considering the materiality of these “non-Western” objects, and analyzing the discourse produced by the European colonists concerning such objects.

Keywords: Pharmacopeia; New World; Methodology; Natural history; Visual and material history.

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Tassanee Alleau

Doctorante contractuelle en Histoire
Centre d’études supérieures de la Renaissance, UMR-CNRS 732.

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Reçu le 11 octobre 2020/Accepté le 12 juillet 2021

Exemples d'exploration de la matérialité des plantes dans les récits de Jean-Baptiste Labat (XVIIe - XVIIIe siècle)

 
Introduction

Les Mémoires que je donne au Public, ne sont autre chose & que la Relation & Journal du Voyage & du sejour que j’ai fait aux Isles de l’Amérique pendant environ douze années. […] On le verra par le détail dans lequel je suis entré, tant des Arbres, des Plantes, des Fruits, des Animaux, que des Manufactures qui y sont établies & qu’on y pourroit établir (Labat, 1724 : i).

      Par ce passage, Jean-Baptiste Labat (1663-1738), missionnaire dominicain, naturaliste, explorateur et propriétaire terrien, montrait qu’il avait le souci du détail et de l’exhaustivité dans les récits de voyage qu’il voulait faire publier. Il développa une expertise en botanique et devint célèbre par les récits qu’il s’attacha à rédiger et à diffuser pour rétablir, selon lui, les erreurs émises par d’autres auteurs de journaux de voyage comme ceux de Jean-Baptiste Du Tertre, dominicain et botaniste français. Dans sa préface, Labat s’empressait de faire la liste de tous les récits de voyages dont l’Histoire de la France Exquinoxiale du prêtre Antoine Biet, critiquant leur manque d’exactitude. L’intérêt d’une telle source réside dans l’étude du discours produit par l’auteur pour décrire des données naturelles. De nombreuses recherches ont été consacrées à Labat, au sujet des rapports entre Indiens caraïbes et colons, de ses connaissances scientifiques et de ses descriptions très techniques des plantations de sucre, de tabac ou de cacao. L'une d'elles porte sur la crédibilité des textes écrits par Labat. Marcel Chatillon pose ainsi une question simple « Peut-on faire confiance à Labat » ?[1]. À son époque déjà, le travail du Père Labat était critiqué comme une œuvre qui ne citait pas suffisamment ses sources et qui n’apportait pas les preuves nécessaires et originales comme le Père du Tertre le faisait :

Les Commissaires du Roi avoient en général évité, dans leur premier Mémoire, de citer le Père Labat, parce que son Ouvrage est moins une Histoire qu’une Relation de Voyage ; qu’il l’a presque toujours tirée de son Confrère le Père du Tertre, dont il a assez souvent copié négligemment les passages, & dont quelquefois il s’est écarté sans aucune preuve […] (Le Long, De Fontette, 1771 : 666).

Pourtant, les études historiques et littéraires sur les voyages le citent souvent tant son cas est à la fois riche d’enseignements et paradoxalement stéréotypé. Les écrits de Labat montrent une vision des plantations coloniales à travers les transformations culturelles et scientifiques des XVIIe et XVIIIe siècles. La rhétorique des journaux ou des mémoires des colons comme Labat se teintait d’exotisme[2], empruntant d’ailleurs à la littérature scientifique (récits ethnographiques, récits d’explorations scientifiques, cas d’études, cas médicaux, descriptions botaniques).

Les plantes sont des témoins du passé que l’histoire cherche à retrouver à l’aide de nouvelles méthodes exploratoires, dont certaines qui s’intéressent aux données épistémologiques par l’étude de la bioprospection[3], c’est-à-dire l’observation et la récolte des données relatives à la biodiversité. Cette bioprospection avait déjà été mise en place dès les premières expéditions dont l’objectif était de décrire les ressources naturelles des territoires explorés. L’objectif n’était pas sans lien avec les ambitions commerciales des colonies, la production de savoirs autour des spécimens et échantillons naturels observés, profitant en effet aux empires marchands européens[4].

Pour comprendre comment était écrite l’histoire culturelle, matérielle et visuelle de l’objet végétal en tant que matériau-savoir chez les colons du XVIIIe siècle, nous nous sommes penchés plus spécifiquement sur les sources imprimées que sont les journaux de Labat, écrits dès 1693 et publiés en 1722 dans le cadre de ses voyages aux Antilles (et plus largement dans les Caraïbes). À travers eux, nous pouvons observer les interactions humaines avec la nature végétale. Les relations complexes entre un être humain et un objet nécessitent de dérouler le long fil des usages particuliers, quotidiens ou exceptionnels, esthétiques ou symboliques, « dans de multiples situations de vie »[5]. La question de la matérialité et des voyages d’exploration du monde a déjà été longuement traitée dans les ouvrages de Marie-Noëlle Bourguet[6], tout comme l’importance de l’historicisation des plantes et des collections naturalistes a été relevée par Dominique Juhé-Beaulaton[7], afin de les appréhender comme des sources d’archives à part entière. L’autre intérêt des sources textuelles et iconographiques est de dévoiler le rôle des intermédiaires dans la construction de ces connaissances et le rôle de ceux et celles par qui le savant tenait ses informations.

Mais le problème des sources qui nous sont parvenues demeure le silence vis-à-vis de sociétés colonisées. L’historiographie récente cherche à déconstruire le mythe des « Grandes Découvertes », expression dont le biais colonialiste porte plus sur la vision des vainqueurs évoquée par Serge Gruzinski : « Une culture historique et une longue tradition d’ethnocentrisme n’incitent guère en effet à prendre en compte le regard des autres, […] »[8], disait-il dans le cas du Mexique. Ce discours était encore bien présent dans les mentalités du XVIIIe siècle et singulièrement chez Labat qui insistait sur les possibilités d’établir des plantations et des colonies supplémentaires, cherchant à fournir une description la plus réaliste et la plus mercantile et rentable possible[9] des plantations et manufactures qui lui appartenaient ou dans lesquelles il séjournait.

Les sources iconographiques et textuelles mises en relation dans cet article nous serviront, dans la première partie, à porter notre analyse sur le discours littéraire et la réception d’un tel ouvrage, afin d’établir le contexte intellectuel de la fabrication des savoirs sur la nature à cette époque. Et dans un second temps, nous nous intéresserons aux exemples précis d’« objets végétaux » comme le manioc ou l’arbre à enivrer dans le texte des Nouveau Voyage aux isles Françoises de l'Amérique (tomes I à VI). Ces objets sont des liens précieux entre des sociétés colonisées et le continent européen, signe d’une forme de rapprochement des « deux mondes », les intégrant dans une histoire globale, une histoire connectée et une histoire de la consommation. Cette approche apporte une vision resserrée du contexte culturel, social et économique du XVIIIe siècle dans lequel s’insèrent les produits végétaux, et permet de recentrer le regard sur les rencontres entre acteurs et intermédiaires étrangers et locaux dans la transmission des savoirs botaniques.

I. Le discours colonial et la naissance d’une attente d’« exotisme » dans les récits de voyage

          A. Étudier le contexte littéraire…

          Lorsque Jean-Baptiste Labat publia Nouveau Voyage aux isles Françoises de l'Amérique en six volumes, le sous-titre s’intitulait « L’histoire naturelle de ce pays, l’Origine, les Mœurs, la Religion & le Gouvernement des Habitans anciens & modernes. Les Guerres et les Evènemens singuliers qui y sont arrivez pendant le long sejour que l’Auteur y a fait ». Le genre « histoire naturelle » était issu d’une littérature scientifique de l’époque moderne, largement inspiré des auteurs antiques. L’émergence et la forte hausse des parutions d’ouvrages d’histoire naturelle au xviie siècle naissaient de l’ambivalence et de la polysémie du terme historia[10]. Ce genre littéraire convenait en effet à un grand nombre de disciplines (philosophie, grammaire, médecine, botanique ou cosmographie, etc.). La structure des textes et traités des érudits « humanistes » révélait la construction même de la pensée naturaliste. L’examen de la nature ne se faisait jamais sans refléter, implicitement ou explicitement, les usages moraux, politiques et religieux de l’époque moderne.

Les caractéristiques du récit de voyage sont celles du genre littéraire viatique. L’homo viator, l’homme voyageur, y racontait ses pérégrinations. Ces récits n’étaient pas dénués d’impartialité puisque, comme Jean-Baptiste Labat en faisait la démonstration dans ses journaux, il était question, pour les chroniqueurs et relationnaires[11], d’atténuer considérablement la « réussite » coloniale des Espagnols ou de couvrir les échecs coloniaux, commerciaux et scientifiques des Français, accentuant les enjeux de l’acclimatation des plantes. Avec l’usage du pronom « je », le Père Labat était un narrateur actif qui se mettait en scène.  Il proclamait d’une part le succès de ses entreprises, racontait quelques actes de bravoure et faits d’arme contre l’attaque d’animaux sauvages[12] et livrait des illustrations graphiques de son expérience. Le récit de voyage de Labat avait l’avantage de suivre une chronologie en partant de l’année 1693, facilitant la contextualisation. Il était également écrit sous la forme de chapitres thématiques successifs, allant du manioc au cacao, en passant par le palétuvier, le café et la description des évènements tels que les guerres, les attaques des Caraïbes, des Anglais, les décès de personnages importants ou l’arrivée d’Européens sur les îles. Le recours à une rhétorique de comparaisons entre les coutumes des Amérindiens et des Européens permettait à l’auteur de donner des ordres de grandeur et des analogies compréhensibles aux lecteurs et lectrices. D’un autre côté, il s’agissait du meilleur moyen de donner une apparence péjorative à certains usages étrangers. Enfin, une autre caractéristique du récit de voyage était de faire un inventaire exhaustif des connaissances par les textes et les gravures.

Du XVIIe au XVIIIe siècle, le nombre de publications de récits de voyage double (Roche, 2011). Ils sont la démonstration de nouvelles pratiques scientifiques et méthodologiques pour la prospection de données naturelles. Dans ce contexte, les « instruments et les mesures dans le cadre des voyages scientifiques […] ont contribué à l’émergence de nouvelles catégories perceptives et esthétiques, d’un nouveau type de rapports entre l’homme et la nature »[13]. Ces considérations, à la fois de l’écriture d’histoires naturelles et des mesures et relevés effectués dans le cadre des voyages, offrent la possibilité de comprendre comment et pourquoi de tels établissements coloniaux étaient construits.

Dans son propos liminaire, Jean-Baptiste Labat dressait une liste d’ouvrages sur les voyages et se plaçait dans une posture historiographique critique. Il citait les travaux publiés de Jean-Baptiste Du Tertre, Histoire générale des Antilles habitées par les François en 4 tomes, de 1667 à 1671 et de Joseph-Antoine Le Febvre de La Barre, intendant puis gouverneur des Antilles et de la Nouvelle-France. S’ajoutaient à cela les ouvrages des botanistes Charles Plumier, Amédée François Frézier ou Louis Feuillée et d’un copieur, le « Sieur Durret », et son Voyage de Marseille à Lima de 1720, que Labat prenait pour un imposteur qui n’avait peut-être jamais voyagé à Lima.

D’autres ont été plus loin : ils les ont décrites [les îles] sans les avoir vûës, & ont travaillé sur des Mémoires si vieux, si peu exacts, pour ne pas dire quelque chose de pis, qu’ils ont faut autant de faussetez qu’ils ont écrit de lignes, […] » (Labat, 1724 : v).

Sa principale critique envers les relationnaires se retournait parfois contre lui, car il était en effet lui-même sujet au jugement critique d’autres botanistes. On lui reprochait parfois de ne pas être assez exact dans ses descriptions botaniques et d’exagérer. Dans le Journal des beaux-arts et des sciences (Volume 306, 1727), le botaniste en charge de la recension des livres de Labat prétendait qu’il n’avait pas donné une illustration authentique de l’abricotier de Saint-Domingue, ou de l’ananas, et qu’il n’avait pas de connaissances suffisantes au sujet des divers « bois d’Inde », de la plante « Cassier », etc. (Journal des beaux-arts et des sciences, 1727 : 1304-1318).

Tous ces titres sont la preuve d’un succès littéraire auprès d’un lectorat composé de savants et de lettrés. Ils montrent que ces livres ne présentaient pas une image immuable ni exacte des paysages connus et parcourus puisque, comme le rappelait Labat dans sa préface, les nouveaux territoires ne cessaient d’être continuellement explorés. Pour nous, ils sont des indices importants pour l’étude des environnements naturels et notamment des plantes cultivées dans les colonies, éléments récurrents présents dans ces histoires naturelles.

          B. … Et les attentes du public

La possibilité de traverser les océans constituait un déplacement important qui transformait les mentalités de l’époque moderne et les territoires explorés qui s’agrandissaient au-delà des horizons connus. L’attrait pour les récits de voyage répondait au besoin des auteurs ou des éditeurs de mettre en avant la « nouveauté » et même l’« exclusivité » du voyage en question. Dans sa dédicace préliminaire, Jean-Baptiste Labat disait :

Quoique le Voyage que j’ai l’honneur de vous présenter, contiennent des observations curieuses & des descriptions nouvelles & intéressantes, je n’oserois me flater que le Public lui fasse un accueil favorable, […] » (Labat, 1722 : iii-iv).

Cette emphase n’était pas neutre car elle s’inscrivait dans une démarche commerciale et scientifique. L’aspect unique et original de l’œuvre relevait ici d’une vérité que peu de gens pouvaient vérifier, à une époque où les voyages transocéaniques étaient encore exceptionnels. Labat indiquait que « Le Ministre Rochefort, qui n’a jamais vû les Isles de l’Amerique que par les yeux d’autrui » (Labat, 1722 : vii) avait commis de trop grandes erreurs dans son in-4° d’histoire de l’Amérique, en plagiant des parties entières des récits de Du Tertre, un autre missionnaire dominicain et botaniste qui précéda Labat à la Guadeloupe, la Martinique, la Grenade, la Dominique et bien d’autres « îles d’Amérique ».

Le succès de l’ouvrage du Père Labat dépassait les frontières françaises, comme en témoignent « trois éditions pirates parues en Hollande dans les dix ans qui suivent » (Chatillon, 1979 : 13). Il était cité dans des notices biographiques dont celle d’Antoine Sabatier de Castres qui notait déjà, à la fin du xviiie siècle, les limites d’une telle source :

Quoiqu’il paroisse tomber quelquefois dans les travers des Ecrivains voyageurs, qui observent mal & exagerent toujours, on trouve néanmoins des détails vrais & intéressans dans son Nouveau voyage aux Isles de l’Amérique. Il y donne une idée assez étendue de l’Histoire Naturelle de ce pays, des Mœurs, de la Religion, du Gouvernement & du Commerce de ses Habitans. Ce Voyage est écrit avec un ton de liberté & de franchise qui plaît, malgré la prolixité de l’incorrection du style. L’Auteur le composa, dit-on, sur les lieux. (Sabatier De Castres, 1779 : 350).

Il était mentionné dans l’ouvrage d’Antoine François Prévost Histoire générale des voïages (1759), dans les chapitres sur les voyages et établissements à Saint-Domingue et dans les Antilles, ainsi que dans le Dictionnaire Universel De Commerce (1742). Labat y était décrit comme ayant une soif inextinguible de voyager et comme quelqu’un de curieux, appréciant à la fois de partir explorer des territoires et de faire des relevés des ressources naturelles et tout autant porté sur l’« amusement », dont la chasse (Prévost, 1759 : 223). Les travaux du botaniste dominicain apparaissaient dans un catalogue aux rubriques « Histoire des différens Etats de l’Asie, de l’Affrique & de l’Amérique » et « Voïages » (De La Porte, 1747 : 40 et 57). Labat est fréquemment présenté comme l’auteur du Voyage des Isles françoises de l’Amerique, par exemple dans le volume 17 du Journal littéraire de 1731. Son œuvre figurait également dans le Catalogue des livres et estampes de defunts M[essieu]rs. Geoffroy, de l'Académie royale des sciences, affichée au prix de 9 livres et 2 sous[14].

Cette « mise en scène progressive de la subjectivité vagabonde et de la mise en forme du moi » (Roche, 2011) façonne de nouvelles règles d’écriture dont Jean-Baptiste Labat ne faisait pas mystère. Son désir de recevoir un « accueil favorable » du public dans son épître dédicatoire indiquait une attente forte de ce dernier. Car ce sont les attentes des lecteurs et des lectrices qui alimentaient le « marché » du livre de voyage. La « connoissance sûre, entière, & parfaite d’un Païs » dont se flattait Jean-Baptiste Labat était confortée par sa volonté d’exactitude et ses intentions lucratives et mercantiles. C’est par cette entrée naturaliste, représentation aussi réaliste que possible de la nature, que Labat préfaçait son étude. Cette préface a donc été pour nous l’occasion de présenter les ambitions du missionnaire dominicain. Sa conception de la nature qui l’environnait dans les colonies nous fournit des cas d’études et des exemples sur lesquels nous allons nous pencher dans la seconde partie de cet article.

II. Observer la matérialité des récits de voyage par l’étude des objets végétaux

          A. Premier exemple : le manioc comme source d’une histoire « coloniale »

          À travers les usages du manioc apparaissent des rapports flagrants de domination, entre l’esclave astreint à des tâches difficile ou l’Indien caraïbe et le Père Labat. Le manioc a surtout été étudié au sein d’une histoire globale de l’alimentation ou bien d’une histoire des pratiques agricoles, par des anthropologues et ethnographes tels que Milena Estorniolo[15] et des sociologues spécialistes de la biodiversité comme Florence Pinton[16]. Dans le cas du manioc de notre voyageur dominicain, le « découvreur » Jean-Baptiste Labat, ce sont les consommateurs de cette racine qui sont décrits par Labat comme des « habitans blancs, noirs & rouges des Isles, c’est-à-dire aux Europeens, aux Negres & aux Sauvages » (Labat, 1722 : 379). Le manioc, arbrisseau à l’écorce grise, rouge et violette était une ressource alimentaire que les colons s’approprièrent dès le xvie siècle. Cependant le manioc, s’il est mangé tel quel, est toxique. Il a donc fallu que le colon apprenne les techniques spécifiques de sa préparation. Comme Jean-Baptiste Labat le montrait dans son chapitre XV, précédant celui sur le manioc, de nombreuses « tubéreuses », légumes à bulbe et légumes-racines, poussaient déjà en abondance dans les jardins potagers coloniaux, même s’ils n’étaient dotés que de terres pauvres. Cette facilité d’acclimatation ne laissait aucunement présager que les colons européens s’intéresseraient au manioc alors qu’ils ramenaient et plantaient aisément des herbes venues du Vieux Continent. L’intérêt pour le manioc n’apparût que dès lors que les colons apprirent à en faire de la farine.

Il ne faut pas une grande force pour arracher ces sortes d’arbres, car outre que les terres ne sont pas extrêmement fortes, les racines ne sont pas bien avant dans la terre. Quand ces racines sont arrachées, les Negres destinez à cet ouvrage, en gratent ou ratissent l’écorce avec un méchant couteau comme on fait aux navets, & les jettent dans un canot plein d’eau où on les lave bien, après quoi on les grage, c’est-à-dire qu’on les réduit en une espece de farine fort humide qui ressemble à de la grosse scieure de bois, ce qui se fait en passant fortement la racine sur une rappe de cuivre, comme on passe le sucre.  (Labat, 1722 : 382)

Ici, c’est par la succession de gestes décrits par Labat que se dessine une pratique et que l’enquêteur peut examiner des rapports sociaux et matériels aux objets végétaux. Le couteau, le canot, la râpe en cuivre, l’eau, les verbes « gratter », « ratisser », « grager » « réduire » sont des indices concernant la matérialité d’un objet végétal tel que le manioc. Mais qui utilisait le manioc ? Le colon qui s’appropriait le manioc étudiait en fin de compte un savoir pluriel et hybride : celui des Amérindiens qu’il observait, consommateurs ancestraux du manioc, et celui des Noirs, esclaves venus d’Afrique, qui apprenaient à maîtriser de nouveaux outils fournis par les colons ou les Indiens. Le manioc, plante à tubercules et à feuilles comestibles, était à l’origine des mutations alimentaires en Amérique comme en Afrique car sa farine était transformable en pain nourrissant. Aux alentours de 1585, le manioc venu d’Amérique apparaissait sur les côtes d’Afrique centrale, remplaçant petit à petit l’igname par son plus grand rendement et sa plus grande résistance face aux aléas climatiques[17]. En Amérique centrale et en Amérique du Sud, le manioc comblait les échecs d’acclimatations des colons, ou le manque d’attractivité de certaines denrées, par exemple, la vigne et le blé :

[…] & j’ai connu par experience, que la culture du bled & de la vigne étoit inutile, & comme impossible aux Isles, particulièrement celle du bled. Je la regarde comme inutile, parce que très-peu de gens mangent du pain de froment, les Negres, les engagez, les domestiques, les ouvriers ne mangent que de la farine de Manioc ou de la Cassave ; presque tous les Créolles, ceux mêmes qui sont riches & qui font servir du pain sur leurs tables par grandeur ou pour les étrangers, mangent plus volontiers de la cassave & la préfèrent au pain. Il n’y a donc qu’un très-petit nombre de gens qui mangent du pain […]. (Labat, 1724bis : 353)

En évoquant les modes de consommation des différents groupes d’habitants des îles, le Père Labat inscrivait la culture des plantes de subsistance dans un contexte d’« accommodations » aux environnements plutôt hostiles pour les plantes européennes. Labat allait jusqu’à décrire les moyens exercés par les « Negres Marons », c’est-à-dire ceux qui fuyaient les plantations pour se réfugier dans les forêts, afin d’« ôter la mauvaise qualité du manioc en exprimant son suc [au manioc] » (Labat, 1724bis : 395-396). Les techniques de ce groupe particulier lui paraissaient utiles car elles étaient mobilisées sans les outils présents dans les plantations coloniales. La simplicité des gestes mis en œuvre par les esclaves justifiait qu’il s’y intéressât. Il expliquait que les « Negres Marons » coupaient par morceaux le manioc puis les mettaient à tremper pendant sept ou huit heures dans de l’eau courante des rivières ou des ravines. « Le mouvement de l’eau ouvre les pores de la racine, & entraîne ce trop de substance. » (Labat, 1724bis : 396).

Une seconde manière de traiter le manioc pour pouvoir le consommer était, pour les esclavages en fuite, de mettre les tubercules à cuire : « tout entier sous la braise. L’action du feu met ses parties en mouvement, & on le mange comme on fait des châtaignes ou des patates sans aucune crainte. » (Labat, 1724bis : 396). La simplicité de ces gestes autour du manioc contrastait avec la description de la préparation du manioc à l’aide de la râpe que nous avons vue plus haut.

De plus, Labat s’intéressait aux habitudes de consommation des Amérindiens et à leurs gestes techniques. Au chapitre XVII sur les boissons ordinaires des îles, il évoquait ce que les Européens avaient appris « des Sauvages » au sujet d’une boisson appelée l’Ouycou, à base des restes de manioc « qui ont échappé à la grage, les grumeaux qui n’ont pû passer au travers de l’herbichet, & généralement tous les restes qu’on appelle les passures, ne sont pas inutiles » (Labat, 1724bis : 396) :

On se sert pour cela de grands vases de terre grise que l’ont fait dans le pays. Les Sauvages, & à leur imitation les Européens les appellent Canaris ; nom generique qui s’étend à tous les vaisseaux de terre grands & petits, & à quelque usage qu’ils soient destinez. Il y en a qui contiennent depuis une pinte jusqu’à soixante & quatre-vingt pots. On se sert de ces grands pour faire le Ouycou, on les remplit d’eau jusqu’à cinq ou six pouces près du bord ; on y jette deux de ces grosses cassaves rompuës, avec une douzaine de certaines pommes de terre, appelées patates, coupées par quartier, trois ou quatre pots de gros sirop de cannes, […] La liqueur qui est dans les Canaris ressemble pour lors à de la bierre […]. Nos François s’y accoutument aussi facilement qu’à la bierre. (Labat, 1724bis : 397-398)

Le terme d’« imitation » ne concernait ici que l’appellation du vase ou encore le nom de la boisson, et non pas la technique de fabrication du breuvage. Le Père Labat avançait que si cette boisson était bien la préférée des Amérindiens, elle n’était pas exempte de défauts (Labat, 1724bis : 398) : « ils en font qui est terriblement forte, sur tout quand ils veulent faire quelque festin ; c’est avec cela qu’ils s’enyvrent, & que se souvenant alors de leurs vieilles querelles, il se massacrent » (Labat, 1724bis : 399). Ces descriptions des boissons ordinaires comportaient des appréciations sur le goût, l’une proche de la bière, l’autre plus proche du « meilleur poiré que l’on boive en Normandie » (Labat, 1724bis : 399) ainsi que des jugements de valeurs et moraux sur les liquides produits. Ces derniers, parfois décrits comme malfaisants, étaient en effet réservés à ceux qui n’avaient pas de vin sur leur table et à ceux qui voulaient s’enivrer « plus facilement ».

Au cours de la recherche, pour saisir la matérialité des plantes, nous avons examiné des images produites tout au long des xviie et xviiie siècles. Ces dernières offrent un point de vue européanocentré tout en nous informant des gestes et de la position sociale de ceux et celles qui utilisaient les végétaux comme le manioc.

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Figure 1 : Manioc, extrait de : Charles de Rochefort, Histoire naturelle et morale des iles Antilles de l'Amérique : enrichie d'un grand nombre de belles figures en taille douce, des places & des raretez les plus considerables, qui y sont décrites : avec un vocabulaire caraïbe, 1665, p.105. Source : manioc.org

Sur la figure 1, on reconnaît l’esclave par sa tenue et la couleur de sa peau. Si ce dernier paraît trop petit et la plante disproportionnée, le plant de manioc pouvait tout de même atteindre quatre mètres de hauteur, et la racine pouvait faire trente centimètres de long. Les outils que l’esclave manipulait, la râpe par exemple, laissent soupçonner à quel point son travail devait être pénible. Le but de cette technique était de retirer le plus de suc possible du manioc car « on regarde ce suc comme un poison, non seulement pour les hommes, mais aussi pour les animaux qui en boivent ou qui mangent de ces racines avant que le suc en soit exprimé » (Labat, 1722 : 383). Cette toxicité n’interpelait pas vraiment Labat, qui dressait plutôt une liste de contre-poisons que le Père Du Tertre avait élaboré. Les savants du XVIIIe siècle s’appuyaient sur une philosophie simple : on pouvait trouver dans la nature tous les poisons et tous leurs antidotes. Jean-Baptiste Labat atténuait de lui-même les effets du poison dont il avait entendu parler en expliquant que les animaux s’accoutumaient au manioc petit à petit et que par conséquent il ne paraissait pas si dangereux. Il comparait cette étrange réaction du corps à la consommation d’opium des Turcs, accommodés à la toxicité de cette drogue hallucinogène. Il ajoutait : « Nos Sauvages qui en mettent dans toutes leurs sauces n’en sont jamais incommodez parce qu’ils ne s’en servent jamais que quand il a boüilli » (Labat, 1722 : 383).

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Figure 2 : Les étapes de la préparation du manioc, in Jean-Baptiste Labat, Nouveau voyage aux isles de l'Amerique, Tome Premier, chez P. Husson, vol. 1, p. 397.

Sur l’image 2 issue du second volume de Labat est représenté le processus complexe de préparation du manioc. Cette planche dépliable est un argument visuel qui démontre la difficulté de rendre le manioc comestible, par rapport aux usages plus simples des esclaves réfugiés dans les forêts. Nous pouvons voir sur l’image un aperçu de la matérialité des gestes autour du manioc et surtout la diversité des outils mis en avant sur l’illustration : presse, grattoir, râpe à « grager », tamis, corbeille, couteau, baquet, sont mobilisés pour la production de farine alimentaire. Les observations de Labat oscillaient entre simples constatations empiriques et aveu de la maîtrise technique des Amérindiens comme des esclaves qui enchaînaient des gestes et actions bien précis. Ses remarques visuelles ou textuelles nous invitent à considérer l’objet « manioc » comme un élément d’hybridité culturelle[18], permettant de comprendre les techniques et les savoirs détenus par les différents acteurs autour de la plante : esclaves, colons, sociétés amérindiennes.

          B. Deuxième exemple : Une histoire du « bois à ennyvrer les poissons », timbo ou cinchona ?

Dans une entrée de son journal de 1694, Jean-Baptiste Labat racontait le moment où il avait assisté à l’enivrement d’une rivière :

Le lendemain nous fîmes ennyvrer la grande riviere, à près de mille pas au dessus de son embouchure. […] On se sert pour ennyvrer les rivières des racines & des feuilles d’un arbre qui n’a point d’autre nom que celui de bois à ennyvrer. (Labat, 1722 : 417-418)

La « nivrée » ou « pêche au poison » est une technique traditionnelle de pêche qui a recours aux plantes toxiques pour les poissons (dites plantes ichtyotoxiques). Elle a été rapportée par les Portugais qui l’étudiaient chez la population wayana (peuple amérindien de Guyane) et l’herbe fut nommée « cipo-timbo » au Brésil dès le XVIe siècle[19]. Elle a par ailleurs été observée dans des sociétés du Pacifique et de l’Océanie ainsi que chez les chamanes des Achuar contemporains que Philippe Descola décrit dans Par-delà nature et culture. Les lianes de Guyane sont des plantes du genre Lonchocarpus et de la famille des Fabaceae tandis qu’au Brésil, les timbo sont des espèces de plantes ligneuses des genres Paullinia et Serjania, de la famille des sapindacées. Au XVIIe siècle déjà, Johannes de Laet, géographe et explorateur néerlandais, directeur de la Compagnie hollandaise des Indes occidentales, décrivait le timbo comme une « admirable herbe » grimpant au sommet des arbres et dont l’écorce contenait un venin mortel capable de tuer les poissons en très peu de temps (De Laet, 1640 : 502).

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Figure 3 : « Guaiana Timbo », dans Willem Piso, Gulielmi Pisonis... De Indiae utriusque re naturali et medica libri quatuordecim, apud Ludovicum et Danielem Elzevirios, 1658, conservé à la Bibliothèque municipale de Lyon, p.249.

Sur l’image 3, le timbo de l’ouvrage de Willem Piso, médecin de Leyde, est présenté comme un remède exotique. Le dessin figure trois longs fruits à cosse. Il s’agit de la Paullinia pinnata L., qui diffère de la Guarana ou Paullinia cupana, de la famille des Sapindacées en Amazonie brésilienne, dont le fruit est plutôt rond. Sur l’image n’apparaissaient que les feuilles et les fruits tandis que les effets du poison utilisé pour la nivrée sont expliqués dans le premier paragraphe.

Toujours est-il que la nivrée que décrivait Labat était différente et semblait plutôt inédite, selon les sources que nous avons consultées. De fait, elle nécessitait l’usage d’arbres et non de lianes. Labat, en botaniste scrupuleux, donnait des détails physiques et morphologiques de cet arbre et précisait que les esclaves qu’il possédait refusaient de s’en servir « à cause de la qualité qu’il a d’ennyvrer les poissons » (Labat, 1722 : 418). La méconnaissance du nom de l’arbre « qui n’a point d’autre nom que celui de bois à ennyvrer » montre que Labat ne cachait pas son inaptitude à déterminer si cette plante avait déjà été cataloguée dans la nomenclature botanique de son temps. Lors de notre recherche, nous avons trouvé deux plantes aux noms vernaculaires de « bois à enivrer », l’une qui fut nommée Piscidia carthagenensis Jacq. et l’autre appelée Cinchona caribaea Jacq. en 1760, espèces originaires des Antilles. Il s’agissait d’arbres qui pouvaient rester petits ou bien atteindre sept à huit mètres de haut. Contrairement à l’herbe timbo citée dès le XVIe siècle, considérée comme bois à enivrer pour son écorce, l’arbre était moins connu. Il apparaissait bien une espèce de ce bois en 1723 sous l’appellation d’« Arbre à enivrer », dit Quinquina du Pérou dans le volume 1 du Dictionnaire universel de commerce (A-E)[20], et en 1752 dans le Dictionnaire universel françois et latin de Trévoux. Le Cinchona caribaea n’avait du quinquina du Pérou que l’apparence et c’est par cette similitude qu’il fut nommé ainsi, alors qu’il ne contient en vérité aucune molécule de quinine ni de cinchonine.

C’est donc de l’écorce des racines de l’arbre que l’on tire le fameux poison après les avoir pilées avec les feuilles dans de la chaux vive. Cette drogue était l’instrument principal de la technique de pêche observée par Labat, puisqu’on en jetait dans les rivières après avoir barré le lit de cette dernière avec des broussailles et des pierres. L’étonnement de Labat est appuyé par l’expression de joie qu’il eut lors de la pêche miraculeuse : une « partie de plaisir qu’on fait assez souvent dans les Isles, & qui a ses agrémens » (Labat, 1722 : 419). Son discours nourrit l’attrait pour les voyages et les coutumes extraordinaires. Le récit de la « nivrée » servait une littérature ethnographique qui intéressait les savants européens. Cette littérature naquit de la contribution des explorateurs et plus spécifiquement des missionnaires à la constitution des savoirs anthropologiques, sur les sociétés qu’ils rencontraient lors des voyages. L’ethnographie était la méthode d’enquête sur le terrain qui s’occupait du recueil des données, textuelles ou matérielles. Il s’agissait de récolter des objets et de donner une description des lieux, des mœurs et des coutumes des populations étrangères. Les dictionnaires du XVIIIe siècle qui reprenaient la curieuse découverte du timbo, comme celui de Prévost en 1755, laissaient entendre que les propriétés des lianes/racines utilisées pour la pêche au poison n’étaient peut-être que de simples rumeurs : « On prétend que son écorce [au « timbe »], jettée dans l’eau, y fait mourir tout le poisson » (Prévost, 1755 : 484). Cette assertion montrait bien que l’idée des lianes timbo était trop lointaine pour être vérifiée, ainsi l’emploie du verbe « prétendre » illustre ici la méfiance face aux témoignages que peu de gens pouvaient alors réfuter ou confirmer.

Jean-Baptiste Labat vérifiait lesdites techniques (enivrement, culture du manioc, etc.) en développant ses propres expériences et plantations. Pour autant, sa vision de colon restait assez critique voire péjorative sur les savoirs provenant des esclaves, même si quelquefois il tirait son savoir de l’observation de ces derniers dans les jardins qui leur étaient spécialement alloués pour la culture d’ignames, de patates, de choux caraïbes et autres aliments (Labat, 1722 : 57-58).

Labat abordait aussi la question des savoirs médicinaux des Nègres ou des femmes esclaves noires dont les enfants sont ce qu’il appelait les « Mulâtres », c’est-à-dire les enfants nés d’un parent esclave noir et d’un parent blanc. Ces savoirs relevaient parfois de l’étonnement et de la crainte puisqu’il citait les « avortemens frequens que les Negresses se procuroient » (Labat, 1724bis : 125-126). Un tel savoir sur les avortements ne pouvait être étudié plus avant par le Père Labat et le détail était passé sous silence malgré l’aveu de la maîtrise adroite des simples[21] abortifs par les femmes esclaves noires. Les plantes utilisées entre le XVIe et le XVIIIe siècle étaient alors utilisées selon un système encore proche de la théorie des humeurs, un système « chaud et froid », d’origine hippocratique[22]. Dans un article sur les plantes martiniquaises, Alice Peeters[23] précise que les plantes emménagogues (qui provoquent le cycle menstruel ou le rétablit) et les plantes abortives étaient nombreuses à être connues par les femmes et le sont toujours aujourd’hui. Elle mentionne ainsi des simples comme la menthe-à-femme ou l’herbe-à-femme (Ageratum conyzoïdes L.), l’herbe-puante (Cassia occidentalis L.) et les herbes rouges dont la couleur laissait à penser qu’elles étaient efficaces pour les menstruations[24]. Le silence de Labat sur les plantes entraînant l’avortement montre ici peut-être que la transmission des connaissances qu’il était désireux de produire dans ses mémoires avait des limites que la morale de l’époque et son statut de dominicain lui imposait de ne pas évoquer ni questionner.

Conclusion

      Ainsi, c’est en recueillant les détails des gestes et usages observés par Jean-Baptiste Labat que surgissent des pratiques diverses autour des plantes telles que le manioc ou le bois à enivrer. La prise en compte du contexte historique, culturel et littéraire d’une telle production d’écrits de voyage et de récits ethnologiques et botaniques semble être une clé essentielle à la compréhension des usages des végétaux par les hommes et les femmes du XVIIIe siècle. Par ce nouveau regard sur les plantes et cette approche méthodologique des sources iconographiques et textuelles des journaux et récits de voyage, nous pouvons envisager une histoire matérielle et culturelle des plantes, prises comme exemples permettant de saisir les mentalités, les usages, les techniques, les pratiques et les savoirs du XVIIIe siècle.

Néanmoins, par cette méthode et par ce type de sources, nous n’avons pu mettre en avant les usages des végétaux que le prisme du colon. Il existe aussi des incertitudes épistémologiques en ce qui concerne l’inventaire des savoirs végétaux des colonisés, esclaves ou Amérindiens, principalement lorsqu’un colon entrait en contact avec une plante déjà utilisée par des Amérindiens, et tentait de la faire entrer dans le cercle conceptuel des savoirs européens[25]. Pour Jean-Baptiste Labat les questions de la créolisation et du métissage ne se rapportaient guère qu’à des catégorisations sociales liées à la couleur de la peau et à la naissance, dont il fit des descriptions sociologiques et moralisatrices dans ses mémoires. Il évoquait ainsi les « Métifs » et les « Mulatres » ainsi que les « Creolles » sans penser ces catégories par le prisme des syncrétismes et du mélange des savoirs que nous avons aujourd’hui.

Toutefois, cette lecture de l’objet végétal sous l’angle de l’histoire « culturelle » et des métissages peut servir de point d’appui et d’appareil critique à l’examen des relations entre l’homme, la femme et les plantes, notamment dans les échanges, les transferts et bien sûr les silences de la transmission des connaissances, comme pour les plantes abortives. Cette notion des silences reste un champ d’investigation captivant, en considérant d’un côté les silences liés à la question de la morale et d’un autre côté, les silences liés à la question économique et scientifique des secrets. Le croisement de plusieurs approches culturelles, matérielles, scientifiques et de différents angles d’analyses documentaires peut servir à éclairer un passé où les traces invisibles du végétal illustrent la vie quotidienne des colons, des esclaves ou des Amérindiens.

Les cas du manioc, des lianes timbo, de l’arbre à enivrer et des plantes pour avorter que nous avons extraits des journaux de Labat ouvrent des pistes pour réfléchir à ce que pourrait être une histoire culturelle et matérielle des plantes et illustrent les liens entre l’altérité, l’esclavage, la colonisation, la botanique, dans le contexte de la réception de ces journaux, du commerce colonial, de la production et de la circulation des savoirs botaniques. Dans cette perspective, il est envisageable d’appliquer cette méthode à d’autres cas, plus connus encore, tels que le tabac, le sucre, le café, le coton, les produits tinctoriaux ou les épices importées. Il serait par ailleurs intéressant d’étudier précisément la réception de ces savoirs botaniques coloniaux par les populations natives, autochtones ou créoles dans tous les Caraïbes.

Notes de fin

[1] Lire Marcel Chatillon (1979), « Le père Labat à travers ses manuscrits », Société d’Histoire de la Guadeloupe, n°40-41-42. Université de Virginie.

[2] L’exotique était un qualificatif peu utilisé à l’époque moderne, sauf par certains lettrés comme François Rabelais. Nous utilisons le terme d’exotisme pour son acceptation analytique de « ce qui vient d’ailleurs » dans un rapport de confrontation avec « ce qui vient d’Europe ou d’Occident » et qui est regardé par le même prisme que l’orientalisme colonial d’Edward Saïd, entre autres.

[3] Lire Schiebinger, 2004.

[4] Lire Schiebinger, 2005 : 7-22.

[5] Lire « Avant-propos », in Oghina-Pavie, Taïbi, Trivisani-Moreau, 2015. 

[6] Lire Marie-Noëlle Bourguet, Christian Licoppe (1997). « Voyages, mesures et instruments : une nouvelle expérience du monde au Siècle des Lumières », Annales, 52-5 : p. 1115-1151.

[7] Juhé-Beaulaton (2018).

[8] Lire Serge Gruzinski (2011). Les Quatre parties du monde : histoire d’une mondialisation. Paris : éditions de La Martinière : 20.

[9] Yves Charbit (2006). « Les colonies françaises au xviie siècle : mercantilisme et enjeux impérialistes européens », Revue européenne des migrations internationales, vol. 22 - n°1 : 183-199.

[10] Selon Pomata et Siraisi (2005).

[11] Les relationnaires sont ceux qui relatent leurs voyages et explorations sous le format textuel de la « relation » de voyage.

[12] Labat, 1724 : 302-303.

[13] Lire Marie-Noëlle Bourguet, Christian Licoppe (1997). « Voyages, mesures et instruments : une nouvelle expérience du monde au Siècle des Lumières ». Annales, n°52-5 : 1115-1151.

[14] Martin, 1754 : 83.

[15] Dans Estorniolo, Milena (2018). « Prendre soin des maniocs et séduire les poissons. Conservation et partage d’aliments chez les Baniwa (Amazonie, Brésil) ». Techniques & Culture, vol. 69, n° 1 : 148-151.

[16] Pinton, Florence (2003). « Savoirs traditionnels et territoires de la biodiversité en Amazonie brésilienne ». Revue internationale des sciences sociales, vol. 178, no. 4 : 667-678.

[17] Voir Bethwell A., Ogot (1999). L’Afrique du xvie au xviiie siècle. Ed. UNESCO : 584 et 618.

[18] Nous utilisons l’expression « hybridité culturelle » comme une grille analytique née des études postcoloniales et transculturelles, dont nous pensons qu’elles sont pertinentes pour cet article. Lire Jeannotte Marie-Hélène (2010). « L’identité composée : hybridité, métissage et manichéisme dans La saga des Béothuks, de Bernard Assiniwi, et Ourse bleue, de Virginia Pésémapéo Bordeleau ». International Journal of Canadian Studies, n°41 : 297-312.

[19] Jacques Savary des Brûlons. Dictionnaire universel de commerce (A-E). Chez Jacques Estienne : 128.

[20] En créole, il s’agit d’une « liane carré », dite « kahapta » ou « kutupu » en wayana, « cururu-ape » ou « cipo-timbo » en portugais. Lire « S-Z (Sapindaceae à Zingiberaceae) ». Dans, (2004) Pharmacopées traditionnelles en Guyane : Créoles, Wayãpi, Palikur. Marseille : IRD Éditions.

[21] Un simple est une plante aux vertus médicinales.

[22] La théorie hippocratique est une doctrine médicale née dans l’Antiquité et basée sur le fonctionnement du corps et du monde selon les quatre éléments terre, eau, air et feu, et les quatre qualités qui leur sont attribuées : chaud, sec, froid et humide.

[23] Voir Peeters Alice (1976). « Le petit paysannat martiniquais et son environnement végétal. Recherches en cours ». Dans, Journal d'agriculture tropicale et de botanique appliquée, vol. 23, n°1-3 : 47-56.

[24] Les plantes comme la menthe consommée à haute dose pouvait entraîner de graves accidents vasculaires et de sérieuses atteintes à la santé. Lire « L’avortement en Amérique latine et dans la Caraïbe », Une revue de la littérature des années 1990 à 2005.

[25] Lire Boumediene (2016).


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Pour citer cet article
Tassanee Alleau, « Exemples d’exploration de la matérialité des plantes dans les récits de Jean-Baptiste Labat (XVIIe - XVIIIe siècle) », RITA [en ligne], n°14 : septembre 2021, mis en ligne le 23 septembre 2021. Disponible en ligne: http://www.revue-rita.com/articlesvaria14/exemples-d-exploration-de-la-materialite-des-plantes-dans-les-recits-de-jean-baptiste-labat-xviie-xviiie-siecle-tassanee-alleau.html